VENIR DU SOUDAN… IMMENSE SOLITUDE
Je rentre du CRA, très alarmée ! Je me précipite sur mon ordi et je cherche les dernières nouvelles sur l’état des droits et des libertés à Khartoum. Il me semblait bien que rien ne paraissait s’améliorer ! Je ne suis pas déçue : de violentes manifestations ont bien eu lieu en janvier, le prix du pain a été multiplié par trois, des journalistes ont été arrêtés, il y a eu des morts. La guerre sévit toujours au Darfour et dans les états de Kordofan-Sud et du Nil bleu ; enfin, l’état d’urgence a été proclamé dans 2 autres états, le Kassala et le Kordofan-Nord.
En revanche, la situation diplomatique du dictateur Ben Béchir, elle, s’améliore : fin des sanctions prises par les États-Unis, reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, rupture avec l’Iran, accords économiques et militaires avec la Turquie… Est-ce à cause de cette vitrine diplomatique que l’on renvoie des demandeurs d’asile soudanais dans l’enfer de leur pays ?
Nous venons de quitter Nour, un retenu soudanais qui nous a été signalé, lors de notre visite précédente par un retenu algérien. Le CRA était en ébullition : un retenu soudanais avait été conduit à Roissy et l’action militante de Chapelle debout avait évité son expulsion. Information confirmée par l’ASSFAM et par La Chapelle debout.
Grâce au téléphone de notre aimable retenu algérien, nous prenons contact avec Nour pour une visite le lundi suivant : il parle bien anglais. Nous nous trouvons devant un jeune homme très grand, d’une élégance pleine de dignité. Avec un grand sourire, il nous embrasse.
Son histoire tragique est un pur concentré de tous les obstacles auxquels se heurtent les demandeurs d’asile. Il arrive de Khartoum à Roissy avec des papiers en règle : somme d’argent, réservation d’hôtel et visa d’un mois délivré par le HCR, visa désormais périmé !
Toutefois, il est arrêté au poste de contrôle, conduit au centre de police de l’aéroport et directement enfermé dans la zone d’attente pour personnes en instance (ZAPPI).
En principe, la police aux frontières peut l’y maintenir pendant 4 jours au maximum. Ensuite, seul le juge des libertés et détentions (JLD) peut prolonger ce placement pour 8 jours maximum (renouvelable 1 fois).
Nour va y rester 8 jours, durant lesquels il demande l’assistance d’un avocat : ce dernier l’escroque d’une forte somme et ne lui apporte aucune aide : Nour n’avait que 24 heures pour contester l’ordonnance du JLD de maintien en zone d’attente. De plus, cet appel n’est, en tout état de cause, pas suspensif et Nour pouvait être reconduit (c’est-à-dire expulsé vers le Soudan) avant même que le juge n’ait rendu sa décision. A fortiori, n’ayant pu, à cause de l’avocat, exercer son droit au recours, il est menacé de reconduite et refuse en effet un premier vol.
Il est transféré au CRA. C’est au CRA qu’il demande l’asile et dépose plainte contre l’avocat véreux (déjà condamné, précédemment par la justice !). La demande d’asile de Nour, étudiée selon la procédure accélérée (96 heures d’examen de la demande et entretien en visioconférence…), est rejetée ; il saisit la CNDA et fait une demande d’aide juridictionnelle. Malheureusement, en centre de rétention, ces démarches n’ont pas de caractère suspensif et ce malgré une directive européenne et une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme. Nour risque alors, à tout moment d’être expulsé : c’est ainsi qu’il subit une seconde tentative d’expulsion (mise en échec par Chapelle Debout).
Dans ce contexte, le juge administratif a « donné » à Nour encore 15 jours de rétention au bout desquels il pourrait être libéré.
La demande de Nour est simple : « La France ne veut pas de moi, soit, j’accepte : je ne parle pas français, je ne connais personne ici… Envoyez-moi dans n’importe quel pays, mais pas au Soudan, où ma vie est menacée ! » Nour a perdu son père et son oncle, il ne lui reste plus que sa mère, son frère et sa sœur. En évoquant sa famille, cet homme, qui paraît si calme et si maître de lui, s’effondre littéralement. Il fond en larmes, sans pouvoir s’arrêter, ni articuler un mot. Muettes d’émotion, nous lui prenons la main, puis, comme c’est la fin des visites, nous le serrons dans nos bras. Il nous souffle un remerciement et s’éloigne…
De la France, Nour ne connaît que ses lieux d’enfermement : le poste de police, la zone d’attente, le CRA et s’il s’oppose à un 3ème vol, il pourrait bien aussi connaître la prison…
Plus tard….
Je ne croyais pas si bien dire, hélas ! Nour a été une fois de plus emmené à l’aéroport, où il a refusé un 3ème vol. Il a été mis en garde à vue pour obstruction à une mesure d’éloignement. Nous sommes sans nouvelles… mais ne pouvons que saluer l’acharnement de la Préfecture à renvoyer un homme chez un dictateur contre lequel 2 mandats d’arrêt internationaux ont été lancés pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité…
Odile
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En revanche, la situation diplomatique du dictateur Ben Béchir, elle, s’améliore : fin des sanctions prises par les États-Unis, reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, rupture avec l’Iran, accords économiques et militaires avec la Turquie… Est-ce à cause de cette vitrine diplomatique que l’on renvoie des demandeurs d’asile soudanais dans l’enfer de leur pays ?
Nous venons de quitter Nour, un retenu soudanais qui nous a été signalé, lors de notre visite précédente par un retenu algérien. Le CRA était en ébullition : un retenu soudanais avait été conduit à Roissy et l’action militante de Chapelle debout avait évité son expulsion. Information confirmée par l’ASSFAM et par La Chapelle debout.
Grâce au téléphone de notre aimable retenu algérien, nous prenons contact avec Nour pour une visite le lundi suivant : il parle bien anglais. Nous nous trouvons devant un jeune homme très grand, d’une élégance pleine de dignité. Avec un grand sourire, il nous embrasse.
Son histoire tragique est un pur concentré de tous les obstacles auxquels se heurtent les demandeurs d’asile. Il arrive de Khartoum à Roissy avec des papiers en règle : somme d’argent, réservation d’hôtel et visa d’un mois délivré par le HCR, visa désormais périmé !
Toutefois, il est arrêté au poste de contrôle, conduit au centre de police de l’aéroport et directement enfermé dans la zone d’attente pour personnes en instance (ZAPPI).
En principe, la police aux frontières peut l’y maintenir pendant 4 jours au maximum. Ensuite, seul le juge des libertés et détentions (JLD) peut prolonger ce placement pour 8 jours maximum (renouvelable 1 fois).
Nour va y rester 8 jours, durant lesquels il demande l’assistance d’un avocat : ce dernier l’escroque d’une forte somme et ne lui apporte aucune aide : Nour n’avait que 24 heures pour contester l’ordonnance du JLD de maintien en zone d’attente. De plus, cet appel n’est, en tout état de cause, pas suspensif et Nour pouvait être reconduit (c’est-à-dire expulsé vers le Soudan) avant même que le juge n’ait rendu sa décision. A fortiori, n’ayant pu, à cause de l’avocat, exercer son droit au recours, il est menacé de reconduite et refuse en effet un premier vol.
Il est transféré au CRA. C’est au CRA qu’il demande l’asile et dépose plainte contre l’avocat véreux (déjà condamné, précédemment par la justice !). La demande d’asile de Nour, étudiée selon la procédure accélérée (96 heures d’examen de la demande et entretien en visioconférence…), est rejetée ; il saisit la CNDA et fait une demande d’aide juridictionnelle. Malheureusement, en centre de rétention, ces démarches n’ont pas de caractère suspensif et ce malgré une directive européenne et une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme. Nour risque alors, à tout moment d’être expulsé : c’est ainsi qu’il subit une seconde tentative d’expulsion (mise en échec par Chapelle Debout).
Dans ce contexte, le juge administratif a « donné » à Nour encore 15 jours de rétention au bout desquels il pourrait être libéré.
La demande de Nour est simple : « La France ne veut pas de moi, soit, j’accepte : je ne parle pas français, je ne connais personne ici… Envoyez-moi dans n’importe quel pays, mais pas au Soudan, où ma vie est menacée ! » Nour a perdu son père et son oncle, il ne lui reste plus que sa mère, son frère et sa sœur. En évoquant sa famille, cet homme, qui paraît si calme et si maître de lui, s’effondre littéralement. Il fond en larmes, sans pouvoir s’arrêter, ni articuler un mot. Muettes d’émotion, nous lui prenons la main, puis, comme c’est la fin des visites, nous le serrons dans nos bras. Il nous souffle un remerciement et s’éloigne…
De la France, Nour ne connaît que ses lieux d’enfermement : le poste de police, la zone d’attente, le CRA et s’il s’oppose à un 3ème vol, il pourrait bien aussi connaître la prison…
Plus tard….
Je ne croyais pas si bien dire, hélas ! Nour a été une fois de plus emmené à l’aéroport, où il a refusé un 3ème vol. Il a été mis en garde à vue pour obstruction à une mesure d’éloignement. Nous sommes sans nouvelles… mais ne pouvons que saluer l’acharnement de la Préfecture à renvoyer un homme chez un dictateur contre lequel 2 mandats d’arrêt internationaux ont été lancés pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité…
Odile
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