RETENUS EN ZONE D'ATTENTE DE ROISSY

Nous publions ici un compte-rendu datant du 14 septembre 2017 mais qui révèle un aspect totalement inconnu du public de la rétention des étrangers dans les aéroports

AUDIENCE TEST À L’ANNEXE DU TRIBUNAL DE BOBIGNY, DÉLOCALISÉE À COTÉ DE LA ZAPI (zone d'attente pour personnes en instance) DE ROISSY 




Je pensais à peu près tout connaître des turpitudes « légales » de notre République, surtout en ce qui concerne le droit des étrangers, mais connaître n’est pas voir et maintenant, j’ai vu et entendu.
A l’appel de l’ANAFÉ (association nationale d'aide aux frontières pour les étrangers), nous nous rendons Christine et moi, à la 3ème audience-test de l’annexe du tribunal de Bobigny, délocalisée à proximité de la Zone d’attente de Roissy. Nous nous trouvons donc dans ces lieux improbables autour de Roissy, entre zones commerciales, dépôts, entreprises, mais aucune habitation. Le chauffeur de bus à qui nous demandons notre chemin s’exclame :
« Ah, vous allez à la zone d’attente, oui, oui, c’est la prochaine, on me demande souvent le renseignement ! Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

Je m’empresse de lui faire un petit cours sur ce lieu d’enfermement et j’ai le plaisir de voir qu’il est indigné. Allons, nous n’avons tout à fait perdu la bataille de l’opinion. C’est donc assez guillerettes que nous arrivons au tribunal. Notre bonne humeur ne va pas durer. Dans cette salle spécialement installée pour les audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD),  il s’agit, pour ce dernier d’autoriser ou non la prolongation du maintien en ZA des personnes non admises sur le territoire à la descente de leur avion.
Ce texte n’est pas un CR d’audience calibré, tel que nous l’a demandé l’ANAFÉ ; c’est un cri de révolte et de rage que je veux partager, au-delà du seul sanglot qui a été ma première réaction.
Car le rôle affiché à la porte de la salle d’audience donne à réfléchir : trois mineurs doivent comparaître, accompagnés de leur administrateur ad’hoc (AAH) ; épouvantées, nous les voyons pénétrer dans la salle : deux adolescents et un jeune enfant. Ce dernier paraît avoir 7 ans, il en a en fait 9. Pour comble de malheur, le barreau de Bobigny a fait savoir qu’il ne délèguerait pas d’avocat volontaire : le barreau tient à faire savoir son opposition de fond à l’ouverture d’annexes de tribunal, qui sont en fait des lieux dédiés aux seuls étrangers et non des lieux pour rendre la justice ordinaire. Nous ne pouvons pas blâmer cette position : c’est aussi celle des associations de défense des droits de l’Homme, du Défenseur des Droits, du commissaire européen aux droits de l’Homme… Mais aujourd’hui, ces trois enfants n’ont que leur AAH pour assurer leur défense.
Le juge va appeler les 11 dossiers du rôle, suspendre l’audience pour permettre à chacun de déjeuner et reprendre l’audience à 16h pour faire connaître ses décisions. Les enfants vont donc rester de 10h 30 jusqu’à 13h30 dans la salle d’audience ; ils y reviendront vers 15h30 pour attendre le verdict, puis patienter encore pour savoir si le procureur a fait appel de la décision du juge. Triste et dure journée pour ces jeunes, dont le visage inexpressif dit bien l’incompréhension et une sorte d’accablement devant le sort qui leur est fait.
Après avoir appelé un maintenu qui bénéficie d’un avocat choisi, le juge fait venir N., enfant congolais de Pointe Noire. Sa maman est partie en France, à Angers, elle est en situation régulière et présente à l’audience. N. est resté au Congo, élevé par ses grands parents ; ces derniers ont fait savoir qu’ils ne pouvaient plus le prendre en charge et ont demandé à la maman de le reprendre. Le père vit au Congo, mais ne s’est jamais occupé de son enfant. Si la Maman a bien apporté tous les documents demandés, il n’y a aucune trace écrite de l’accord du père pour le transfert de N. en France. L’AAH assure l’avoir eu au téléphone et avoir reçu son accord. De plus, N. a voyagé avec un faux passeport, accompagné « par une dame et un autre enfant ». L’histoire est confuse, on n’arrive pas à savoir si la dame accompagnante était la mère, mais alors, elle aurait été séparée de son enfant à la descente d’avion, puisqu’elle est en situation régulière.
« Pourquoi des faux papiers pour votre fils ? demande le juge.
-    C’est pas facile d’obtenir un visa, répond la mère avec bon sens.
L’avocat de la préfecture plaide le maintien en ZA, dans l’intérêt supérieur de l’enfant (sic !) car les documents fournis par la mère n’ont pas été vérifiés et l’accord du père n’a pas été recueilli par écrit.
« Vous auriez pu faire une demande regroupement familial, lance-t-il.
-    C’est bien trop long, réplique la mère qui ne remplit peut-être pas non plus les conditions de logement et de ressources assez draconiennes pour voir aboutir cette procédure.
Nous comprenons que, parfaitement consciente des difficultés rencontrées pour récupérer son enfant, cette dame a décidé de « forcer la porte du droit » en quelque sorte et c’est cela qui met nos juristes en rogne. Car enfin, l’enfant est là, enfermé en zone d’attente alors que sa mère est là, prête à l’emmener. Qu’est-ce qui doit l’emporter ? le respect des procédures du regroupement familial ou le droit pour l’enfant de vivre en famille ? Le suspense durera jusqu’au soir…

Le cas des deux ados n’est pas plus réjouissant ; le premier H. a un passeport fabriqué à Bangkok. Il serait d’origine chinoise et ses parents, au courant de sa situation, sont en Corée. L’AAH fait part de sa perplexité : H. veut bien retourner en Chine, mais surtout pas à Bangkok, il a un cousin en France, qui ne veut pas s’occuper de lui. Il n’y a pas de réponse des autorités chinoises.
Chaque protagoniste a l’air de se tortiller alors que la réponse nous paraît évidente : H. est mineur, le juge des enfants doit être saisi et H. être pris en charge par l’ASE…

Le second ado W. est vietnamien, il a 16 ans. Tout le monde nage en pleine confusion dans son histoire : le juge parle d’abord d’un vol Lima-Dubaï, mais finalement, le jeune viendrait du Vietnam, via la Chine et aurait perdu ses papiers dans les toilettes de l’aéroport (à notre avis, il a détruit ses faux papiers, comme il est recommandé de le faire, quand on veut demander l’asile…) W. explique qu’il veut retrouver sa mère, perdue de vue depuis 10 ans, car elle est partie après le décès de son père. Il avait bien une photo d’elle, mais il l’a égarée. Il veut aller à la Tour Eiffel et là, il retrouvera sa mère. Après cette explication abracadabrante, W. semble revenir sur terre pour répondre à la question : « Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? »
-    Ma grand-mère a vendu son terrain et m’a payé le billet.
L’administrateur fait part de son incompréhension et surtout de ses craintes : de nombreux enfants vietnamiens arrivent au centre de la Croix rouge où il travaille, sans doute via des réseaux de prostitution et de drogue et ajoute-t-il pathétique :
-    On est démuni face à ça, ils finissent par disparaître on ne sait où…. »
Nous apprenons que le juge des enfants n’a pas été saisi ! Alors que ce jeune est manifestement en grand danger ! Mais non, ce n’est pas un cauchemar, c’est la triste, l’insupportable réalité qui se joue devant nous, impuissantes…

Nous n’allons pas passer en revue le triste cortège de ces hommes et de ces femmes qui vont défiler devant le juge. Citons quand même 2 cas exemplaires de la suspicion de la préfecture vis à vis des étrangers :
ce couple colombien en voyage de noces ayant un billet pour l'Angleterre, 4000 dollars en liquide sur eux et un billet retour pour leur pays qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive, ce commerçant algérien qui a tout ce qu'on lui demande d'avoir pour pouvoir séjourner en France, à savoir : un visa, une réservation à l'hôtel, une assurance, suffisamment d'argent pour son séjour ! Si on lui a délivré un visa, alors pourquoi le retenir ???!

Arrêtons-nous maintenant sur le cas de Mme Z. emblématique lui aussi de la rigidité de l’administration. Mme Z., une jolie dame d’environ 50 ans, le visage gracieusement encadré par un foulard blanc, est une réfugiée palestinienne, installée, pour son malheur en… Syrie ! La guerre civile se durcit, son fils, présent dans le tribunal, réussit à passer en 2013 clandestinement en Suède, où il obtient le statut de réfugié apatride. Mme Z. veut simplement rejoindre son fils en Suède et demander le même statut pour elle-même. Pendant leur passage devant le juge, ils se tiennent tendrement la main : cela fait 4 ans qu’ils ne se sont pas vus ! Difficile toutefois d’obtenir des papiers quand on est réfugié palestinien, vivant en Syrie. Mme Z. recourt donc à un passeur, qui lui fournit un passeport marocain et prend le large à l’arrivée à Paris. Sa demande est simple, gagner la Suède, pour demander l’asile. D’une façon totalement incompréhensible pour nous, le juge et l’avocat s’acharnent à lui proposer de demander l’asile en France, car « on ne choisit pas le pays où on demande l’asile ». Mais la pauvre mère ne veut pas en entendre parler : elle craint, si elle demande l’asile en France de ne pas l’obtenir en Suède, ce qui est la voix du bon sens !

A 14h, le juge a entendu les 11 personnes : l’audience est suspendue jusqu’à 16h, le temps pour tous, d’aller manger et pour le juge de prendre ses décisions.
Les verdicts sont rapidement rendus :
Le petit N. quitte la zone d’attente et retrouve sa maman, en espérant que le procureur ne fasse pas appel. Ouf !

Les deux ados sont maintenus pour 8 jours, mais que vont-ils devenir ensuite ? Mme Z. est également maintenue.
Nous allons faire tout le trajet de retour avec son fils avec qui nous nous entretiendrons en anglais. Suite à une série d’incidents techniques sur la ligne B, ce trajet sera interminable, à peu près 3 heures ! Nous sommes très émues par ce jeune homme : il fait preuve d’une joyeuse volonté de vivre et de s’en sortir, qui est communicative. Il apprend le suédois et pour vivre a deux emplois : pas facile d’obtenir un congé de 2 employeurs pour tirer sa mère de la zone d’attente ! Sur le quai de la station Châtelet, nous nous embrassons : « Good bye, my sweet ladies » et il disparaît dans la correspondance. Nous ne savons même pas son nom, mais nous emportons le souvenir de son sourire lumineux, alors que nous luttons contre une immense tristesse !



Odile


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