SORTIR !
Et voilà ! malgré toutes mes précautions, je me retrouve enfermé au Centre de rétention de Vincennes. Centre de rétention, quezaco ? Centre de rétention administrative, dites CRA. C’est une sorte de prison où on enferme les étrangers sans papiers.
Et on les enferme pour quoi faire ? Pour pouvoir les expulser plus facilement : ils sont enfermés, on peut les mettre plus facilement dans un avion et hop, retour au bled !
Donc, à mon tour, je me suis fait embarquer : le lieu, bien classique, gare du Nord. On le sait bien, il faut éviter les gares, où les flics peuvent faire des vérifications d’identité plus facilement, mais, bon, éviter les gares, il faut bien aller travailler. Et je dois travailler d’autant plus, que je n’ai pas de papiers, donc, le patron me paie au lance pierre. Aussi, pour survivre et envoyer un petit quelque chose à ma famille, je dois travailler et prendre ce qu’on me propose.
Donc, gare du Nord, c’est toujours risqué, mais jusqu’à présent, j’ai pu éviter les contrôles. Aujourd’hui, le scénario a changé et je me suis fait choper. Deux gars m’ont violemment bousculé, furax, je me dégage et crie : « Vous pourriez au moins vous excuser ! »
⁃ Police, vos papiers, me répond l’un des gaillards, et en route pour le commissariat, car à part mon pass Navigo, je n’ai pas les papiers qu’il faut.
Je passe les détails, me voici bel et bien enfermé. Alors, je me concentre, il faut que je sorte, coûte que coûte. Tout, plutôt que débarquer au pays, entre deux policiers, comme un voleur et sans un sou en poche !
Au CRA, je me renseigne et je me dépêche d’aller voir l’ASSFAM, l’association qui s’occupe de l’accès au droit des retenus : il y a peut-être un moyen légal de sortir…
Mouais… plutôt compliqué, mais y a pas à dire, il faut essayer : donc premier moyen, le tribunal administratif (dites TA) : j’ai 48h pour faire un recours et contester l’OQTF (obligation de quitter le territoire français), que le préfet a prononcée et qu’il veut bien sûr, exécuter !
Aidé par la juriste de l’ASSFAM, je rédige mon recours. Sait-on jamais ? Mais bon, je n’ai pas les moyens de me payer un avocat, j’aurai l’avocat commis d’office…
Deuxième moyen : le juge des libertés et de la détention, devant qui je serai présenté dans 48h. Si j’ai bien compris, ce juge (le JLD) doit vérifier si mon arrestation a été réalisée dans les règles, si pendant le temps où je suis resté au commissariat, on m’a bien expliqué mes droits et si j’ai pu en bénéficier. Et là, pareil, je n’aurai que l’avocat commis d’office. La juriste m’a dit que les juges libéraient 30% des retenus : cela vaut la peine d’essayer malgré tout.
En fait, ça n’a pas marché : le TA n’a pas annulé mon OQTF et mon arrestation a été jugée régulière : j’ai bien fait valoir qu’on ne m’avait donné ni à manger, ni à boire au commissariat, le juge a dit qu’il n’y avait pas de preuves ! Retour au CRA et maintien pendant 28 jours !
Ca va faire vraiment long, le patron, qui est sur un gros chantier, ne va pas m’attendre et prendra un autre gars ! Et puis, rester un mois entier à tourner en rond dans cette cage…Pas possible, je dois sortir !
Je me renseigne auprès des copains : on n’a rien d’autre à faire, à part regarder la télé et encore, on se dispute pour choisir les chaînes, alors, autant bavarder avec les autres. Pour certains, c’est leur 3ème séjour au CRA ! On n’a pas réussi à les expulser, mais ils ont toujours une OQTF et la police les a arrêtés à nouveau ! Dingue, leur système !
Les copains m’expliquent qu’on peut se faire libérer pour raisons médicales : si on est malade, si notre état de santé ne nous permet pas de supporter l’enfermement, puis l’expulsion. Il faut en parler à l’infirmière, puis au médecin. Je pense que je n’ai guère de chance de ce côté : je suis en bonne santé, même si, depuis que je suis enfermé, je n’ai pas envie de manger et que j’ai maigri.
Les copains me parlent aussi de moyens plus risqués : les tentatives de suicide, les mutilations.
« Si c’est vraiment grave, on t’envoie à l’hôpital, là soit ils te soignent et te renvoient au CRA, soit ils te soignent et demandent ta libération au Préfet. Mais bon, fais gaffe, le préfet, il fait ce qu’il veut de l’avis des médecins, il peut le suivre ou pas… »
Vraiment risqué leur affaire, c’est se mettre réellement en grave danger et pas sûr du résultat, si le préfet s’acharne à ne pas libérer….
Et pourtant, crac ! ce matin, dix Afghans ont été libérés ! Mes potes, toujours bien informés, supposent qu’ils avaient besoin de places.
« Besoin de places, pour quoi faire ? je demande ;
⁃ Ben, la police a peut-être détruit un campement ce matin et en a ramassé quelques uns qui ont une OQTF, donc ils les envoient ici. Comme c’est plein, le préfet a été obligé d’en libérer certains, pour pouvoir enfermer ceux-là. »
De plus en plus dingue, leur système ! Mais dans tout ça, moi, je suis toujours là et je veux SORTIR ! Je commence à n’en plus pouvoir de leur bouffe dégueulasse, de cette télé qui braille tout le temps, des types qui font du bruit toute la nuit et m’empêchent de dormir. J’ai bien envie d’y mettre le feu, à leur sale prison pour innocents ! Car enfin, on n’a rien fait de mal, on n’a pas de papiers, parce la prèf’ refuse de nous en donner ! On veut juste une vie meilleure, on est prêts à accepter n’importe quel boulot !
J’en parle à mes copains.
« Mettre le feu, oui, ça arrive ; une fois, ça a même bien marché. Un type en était à son 44ème jour, il devait être libéré le lendemain, et la police est venue le chercher, juste ce jour-là, pour l’emmener à l’avion. Le gars s’est débattu et ses copains, pour l’empêcher d’être embarqué, ont mis le feu à plusieurs matelas. Ils l’ont payé assez cher, condamnés à une peine de prison, mais pendant ce temps-là, 24 heures ont passé, le gars avait fait ses 45 jours, la prèf’ a bien été obligée de le libérer !
⁃ Alors, s’y mettre à plusieurs donnerait peut-être des résultats…
⁃ Mouais… il faut des circonstances vraiment exceptionnelles. Tu vois, suite à cet incendie, on a fermé le bâtiment et on a agrandi le vieux centre. Mais comme ils ont fait ça à l’arrache, n’importe comment, dans le désordre, un gars a trouvé un passe qui ouvre la porte, sans déclencher l’alarme. Là, ils se sont bien organisés ; comme la fin de l’année approchait, ils ont décidé de profiter de la nuit du 31 décembre pour agir. A 23h59 pile, alors que les flics devaient se souhaiter une bonne année, ils ont ouvert la porte, puis sauté le mur. Des copains les attendaient dehors, en voiture. Ils étaient bien 17 ! À ce qu’on sait, aucun n’a été retrouvé !
Cette discussion me laisse songeur : nous sommes en janvier, une telle occasion ne se retrouvera pas avant longtemps : le coup du passe perdu, ça n’arrive qu’une fois. Ma rage fait place à un profond découragement : au mieux, je vais faire 45 jours et je n’aurais plu qu’à chercher un autre patron, au pire, c’est l’avion et le retour honteux au pays ! Tristement assis sur une chaise, je baisse la tête en contemplant la porte. Et là, que vois-je ? Je ne peux pas y croire, la porte est manifestement mal fermée ! Pas possible, ce serait trop beau, après le passe perdu, la porte serait mal fermée ? Pour éviter de sauter de ma chaise et de me mettre à crier de joie, je me parle le plus fermement possible « Doucement, on n’est pas au cinéma, il faut te calmer et examiner soigneusement la situation. Attendre la nuit, donner un coup de pied à la porte et filer dans le bois de Vincennes, jusqu’à la gare du RER, toute proche. »
Sans hésiter, je décide d’associer à ma chance les copains qui m’ont parlé, conseillé et remonté le moral depuis mon arrivée ici.
Tard le soir, nous tentons le tout pour le tout : un bon coup de pied… miracle, la porte, en effet mal fermée, s’ouvre !
Quelques minutes plus tard, bien installé dans le RER, je me remémore mes démarches, recherches et tentatives pour SORTIR. J’avais bien cru avoir fait le tour de toutes les possibilités et je n’aurais jamais pu imaginer celle-ci : sortir, après avoir tout simplement poussé la porte !
Un scénario imaginé d'après des histoires vraies...
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Et on les enferme pour quoi faire ? Pour pouvoir les expulser plus facilement : ils sont enfermés, on peut les mettre plus facilement dans un avion et hop, retour au bled !
Donc, à mon tour, je me suis fait embarquer : le lieu, bien classique, gare du Nord. On le sait bien, il faut éviter les gares, où les flics peuvent faire des vérifications d’identité plus facilement, mais, bon, éviter les gares, il faut bien aller travailler. Et je dois travailler d’autant plus, que je n’ai pas de papiers, donc, le patron me paie au lance pierre. Aussi, pour survivre et envoyer un petit quelque chose à ma famille, je dois travailler et prendre ce qu’on me propose.
Donc, gare du Nord, c’est toujours risqué, mais jusqu’à présent, j’ai pu éviter les contrôles. Aujourd’hui, le scénario a changé et je me suis fait choper. Deux gars m’ont violemment bousculé, furax, je me dégage et crie : « Vous pourriez au moins vous excuser ! »
⁃ Police, vos papiers, me répond l’un des gaillards, et en route pour le commissariat, car à part mon pass Navigo, je n’ai pas les papiers qu’il faut.
Je passe les détails, me voici bel et bien enfermé. Alors, je me concentre, il faut que je sorte, coûte que coûte. Tout, plutôt que débarquer au pays, entre deux policiers, comme un voleur et sans un sou en poche !
Au CRA, je me renseigne et je me dépêche d’aller voir l’ASSFAM, l’association qui s’occupe de l’accès au droit des retenus : il y a peut-être un moyen légal de sortir…
Mouais… plutôt compliqué, mais y a pas à dire, il faut essayer : donc premier moyen, le tribunal administratif (dites TA) : j’ai 48h pour faire un recours et contester l’OQTF (obligation de quitter le territoire français), que le préfet a prononcée et qu’il veut bien sûr, exécuter !
Aidé par la juriste de l’ASSFAM, je rédige mon recours. Sait-on jamais ? Mais bon, je n’ai pas les moyens de me payer un avocat, j’aurai l’avocat commis d’office…
Deuxième moyen : le juge des libertés et de la détention, devant qui je serai présenté dans 48h. Si j’ai bien compris, ce juge (le JLD) doit vérifier si mon arrestation a été réalisée dans les règles, si pendant le temps où je suis resté au commissariat, on m’a bien expliqué mes droits et si j’ai pu en bénéficier. Et là, pareil, je n’aurai que l’avocat commis d’office. La juriste m’a dit que les juges libéraient 30% des retenus : cela vaut la peine d’essayer malgré tout.
En fait, ça n’a pas marché : le TA n’a pas annulé mon OQTF et mon arrestation a été jugée régulière : j’ai bien fait valoir qu’on ne m’avait donné ni à manger, ni à boire au commissariat, le juge a dit qu’il n’y avait pas de preuves ! Retour au CRA et maintien pendant 28 jours !
Ca va faire vraiment long, le patron, qui est sur un gros chantier, ne va pas m’attendre et prendra un autre gars ! Et puis, rester un mois entier à tourner en rond dans cette cage…Pas possible, je dois sortir !
Je me renseigne auprès des copains : on n’a rien d’autre à faire, à part regarder la télé et encore, on se dispute pour choisir les chaînes, alors, autant bavarder avec les autres. Pour certains, c’est leur 3ème séjour au CRA ! On n’a pas réussi à les expulser, mais ils ont toujours une OQTF et la police les a arrêtés à nouveau ! Dingue, leur système !
Les copains m’expliquent qu’on peut se faire libérer pour raisons médicales : si on est malade, si notre état de santé ne nous permet pas de supporter l’enfermement, puis l’expulsion. Il faut en parler à l’infirmière, puis au médecin. Je pense que je n’ai guère de chance de ce côté : je suis en bonne santé, même si, depuis que je suis enfermé, je n’ai pas envie de manger et que j’ai maigri.
Les copains me parlent aussi de moyens plus risqués : les tentatives de suicide, les mutilations.
« Si c’est vraiment grave, on t’envoie à l’hôpital, là soit ils te soignent et te renvoient au CRA, soit ils te soignent et demandent ta libération au Préfet. Mais bon, fais gaffe, le préfet, il fait ce qu’il veut de l’avis des médecins, il peut le suivre ou pas… »
Vraiment risqué leur affaire, c’est se mettre réellement en grave danger et pas sûr du résultat, si le préfet s’acharne à ne pas libérer….
Et pourtant, crac ! ce matin, dix Afghans ont été libérés ! Mes potes, toujours bien informés, supposent qu’ils avaient besoin de places.
« Besoin de places, pour quoi faire ? je demande ;
⁃ Ben, la police a peut-être détruit un campement ce matin et en a ramassé quelques uns qui ont une OQTF, donc ils les envoient ici. Comme c’est plein, le préfet a été obligé d’en libérer certains, pour pouvoir enfermer ceux-là. »
De plus en plus dingue, leur système ! Mais dans tout ça, moi, je suis toujours là et je veux SORTIR ! Je commence à n’en plus pouvoir de leur bouffe dégueulasse, de cette télé qui braille tout le temps, des types qui font du bruit toute la nuit et m’empêchent de dormir. J’ai bien envie d’y mettre le feu, à leur sale prison pour innocents ! Car enfin, on n’a rien fait de mal, on n’a pas de papiers, parce la prèf’ refuse de nous en donner ! On veut juste une vie meilleure, on est prêts à accepter n’importe quel boulot !
J’en parle à mes copains.
« Mettre le feu, oui, ça arrive ; une fois, ça a même bien marché. Un type en était à son 44ème jour, il devait être libéré le lendemain, et la police est venue le chercher, juste ce jour-là, pour l’emmener à l’avion. Le gars s’est débattu et ses copains, pour l’empêcher d’être embarqué, ont mis le feu à plusieurs matelas. Ils l’ont payé assez cher, condamnés à une peine de prison, mais pendant ce temps-là, 24 heures ont passé, le gars avait fait ses 45 jours, la prèf’ a bien été obligée de le libérer !
⁃ Alors, s’y mettre à plusieurs donnerait peut-être des résultats…
⁃ Mouais… il faut des circonstances vraiment exceptionnelles. Tu vois, suite à cet incendie, on a fermé le bâtiment et on a agrandi le vieux centre. Mais comme ils ont fait ça à l’arrache, n’importe comment, dans le désordre, un gars a trouvé un passe qui ouvre la porte, sans déclencher l’alarme. Là, ils se sont bien organisés ; comme la fin de l’année approchait, ils ont décidé de profiter de la nuit du 31 décembre pour agir. A 23h59 pile, alors que les flics devaient se souhaiter une bonne année, ils ont ouvert la porte, puis sauté le mur. Des copains les attendaient dehors, en voiture. Ils étaient bien 17 ! À ce qu’on sait, aucun n’a été retrouvé !
Cette discussion me laisse songeur : nous sommes en janvier, une telle occasion ne se retrouvera pas avant longtemps : le coup du passe perdu, ça n’arrive qu’une fois. Ma rage fait place à un profond découragement : au mieux, je vais faire 45 jours et je n’aurais plu qu’à chercher un autre patron, au pire, c’est l’avion et le retour honteux au pays ! Tristement assis sur une chaise, je baisse la tête en contemplant la porte. Et là, que vois-je ? Je ne peux pas y croire, la porte est manifestement mal fermée ! Pas possible, ce serait trop beau, après le passe perdu, la porte serait mal fermée ? Pour éviter de sauter de ma chaise et de me mettre à crier de joie, je me parle le plus fermement possible « Doucement, on n’est pas au cinéma, il faut te calmer et examiner soigneusement la situation. Attendre la nuit, donner un coup de pied à la porte et filer dans le bois de Vincennes, jusqu’à la gare du RER, toute proche. »
Sans hésiter, je décide d’associer à ma chance les copains qui m’ont parlé, conseillé et remonté le moral depuis mon arrivée ici.
Tard le soir, nous tentons le tout pour le tout : un bon coup de pied… miracle, la porte, en effet mal fermée, s’ouvre !
Quelques minutes plus tard, bien installé dans le RER, je me remémore mes démarches, recherches et tentatives pour SORTIR. J’avais bien cru avoir fait le tour de toutes les possibilités et je n’aurais jamais pu imaginer celle-ci : sortir, après avoir tout simplement poussé la porte !
Un scénario imaginé d'après des histoires vraies...
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