QUAND LES DISCRIMINATIONS S’ACCUMULENT…
Boualem, algérien, 31 ans, J+ 22
Boualem est arrivé en France en 2012 en passant par la Turquie et la Grèce.
Ce jeune homme nous alerte tout de suite sur un gros problème. Il hésite à nous en parler, nous le mettons en confiance. Il annonce qu'il est homosexuel et menacé par sa famille en Algérie mais aussi en France (Paris et Marseille).
Il craint particulièrement son oncle maternel qui est le chef de famille depuis le décès de son père et qui l'a déjà menacé à trois reprises. Il le décrit comme un homme violent, qui a fait déchiré la page du livret de famille qui le concernait. Il ne possède malheureusement pas de preuve de ces menaces, et ses deux frères et sa sœur qui refusent eux aussi son homosexualité ne veulent pas témoigner.
Il a travaillé en Algérie comme gestionnaire de magasin et a effectué des études dans le domaine de l’informatique. En France il ne travaille pas, il est hébergé chez un ancien ami dans le 3ème arrondissement. Celui-ci lui a d’ailleurs rendu visite au CRA et en a profité pour lui apporter des vêtements.
Malgré cela, Boualem vit très mal l'enfermement. Il a peur de ne plus pouvoir se contrôler et s'isole de plus en plus dans sa chambre. Il y a trois ans, il a fait une tentative de suicide et se sent à nouveau très dépressif. Nous lui conseillons de revoir le médecin et l' I.D.E. qu'il a déjà vu le matin et qui lui aurait proposé du Tramadol.
Il est content d'avoir pu nous parler de ses problèmes.
Hussein, marocain, J+ 21
Hussein nous a été signalé par l'ASSFAM. Le jeune homme, très angoissé, semble au cours de notre visite très souvent au bord des larmes.
Il insiste sur le fait qu'il est berbère venant d'une région montagneuse très pauvre. Ses 5 frères et ses 2 sœurs vivent au Maroc et sont sans emploi, ses parents sont malades. Il a une formation de pâtissier et a occupé quelques postes à Casablanca et Marrakech.
En 2012, avec l’aide de sa mère qui vend vêtements et bijoux pour financer le voyage, il a quitté le Maroc pour la Lybie où il a trouvé un peu de travail et gagné un peu d'argent. Puis il a décidé de reprendre la route jusqu’en Italie où sa présence a été officialisée (prise d’empreintes).
Il est arrivé en France en 2014 en auto-stop. Il s'est inscrit à la Mairie de Clichy pour suivre régulièrement des cours de français, et a d’ailleurs prévu de poursuivre son apprentissage de la langue à la rentrée prochaine, début octobre. Il partage dans cette commune un appartement avec un ami sans papier qui ne peut lui rendre visite mais l'appelle régulièrement.
Il n'a plus de contact avec sa famille et nous en révèle la raison : il est homosexuel et ne peut en parler sans se mettre en danger.
Il ne travaille que de manière épisodique comme pâtissier, du fait de la réticence des employeurs à lui fournir un emploi stable. Il a effectué sa déclaration d'impôts et il est titulaire du Pass Navigo qu'il renouvelle chaque mois. C'est en sa possession qu'il a été arrêté au métro Mairie de Clichy.
Il est retenu au CRA depuis le 7 septembre. Il est depuis passé devant le Tribunal et a repris 20 jours. Il a eu un premier avocat, à qui il a versé 500 € mais celui-ci ne s'est pas présenté à l'audience. Grâce à la solidarité d'un groupe d'amis, il a pu régler les honoraires (2 000€) d'un second avocat qui lui semble plus fiable et lui a rendu visite la semaine dernière.
Malgré tout, il garde l'espoir de faire reconnaître les grandes difficultés d'un retour au pays, compte tenu de son homosexualité.
Claudia, kenyane, 20 ans
En moins de trois mois, Claudia a vécu en accéléré toutes les étapes répressives mises en place par la législation française : son parcours est impressionnant, bouleversant. Cette jeune femme de 20 ans, qui paraît si vulnérable se révèle posséder une énergie considérable.
D’emblée, elle nous annonce son engagement pour défendre les homosexuels persécutés au Kenya. C’est d’ailleurs en raison de cet engagement qu’elle quitte son pays avec deux copines et atterrit à Roissy.
Les ennuis commencent tout de suite : bien qu’elles aient un passeport, elles n’ont pas les papiers pour entrer légalement en France et sont donc placées en zone d’attente. Elles demandent toutes les trois l’asile. Selon la législation en vigueur, l’OFPRA, après un entretien, doit transmettre son avis au ministère de l’Intérieur sur « le caractère manifestement infondé » de la demande d’asile. A partir de ce moment, Claudia, déjà déstabilisée par son placement en zone d’attente, perd tout repère : ses amies sont autorisées à sortir de la zone d’attente et à présenter en préfecture une demande d’asile, mais pas elle ! Elle ne comprend pas cette décision, sa situation étant en tout point identique à celle de ses amies. Véhémente, elle s’exclame : « J’ai apporté des documents pour justifier ma demande d’asile ; personne ne les a regardés. J’ai juste pu m’entretenir au téléphone avec un interprète. Avais-je donc l’air de mentir, moi et pas mes deux amies ?» Elle tente de faire appel de cette décision de refus, mais le délai de 48h court pendant le week-end et elle ne peut le déposer à temps, faute de présence des associations pour l’aider. Après 18 jours en zone d’attente, elle doit être renvoyée dans son pays, elle refuse : un retour au Kenya mettrait sa vie en danger. Qu’à cela ne tienne : menottée, mais non bâillonnée elle est embarquée dans l’avion, où ses cris et ses pleurs émeuvent le commandant de bord, qui la fait débarquer.
Mais le rouleau compresseur répressif est en marche, rien ne l’arrêtera : pour rébellion, elle est enfermée un mois à Fresnes, où ne parlant qu’anglais, elle est dans l’incapacité de faire valoir éventuellement ses droits. Au bout d’un mois, elle est transférée au CRA. Son entretien avec un avocat ne lui apporte aucun soutien. Ce dernier lui conseille d’accepter de repartir, puisque tous les recours légaux semblent vains.
En plein désarroi, Claudia n’a qu’un seul soutien à l’extérieur : tous les jours, elle appelle ses deux amies, difficilement du reste, car on lui a confisqué son téléphone qui contient un appareil photo. Désarroi, mais pas désespoir : elle doit passer devant le JLD la semaine prochaine et même en cas d’échec devant ce dernier, elle se dit que si elle peut rester au CRA jusqu’à la fin des 45 jours, une fois dehors, elle pourra agir ! Cela l’amènera au début du mois de décembre.
Nous allons lui rendre visite une autre fois, avec des magazines en anglais : elle échange peu avec ses co-retenues, des Algériennes et des Chinoises. Et si des Algériennes prétendent parler anglais, « l’anglais algérien n’a rien à voir avec l’anglais kenyan », nous dit-elle avec un certain humour…
Nous sommes consternées par son récit et sidérées par son énergie et son sourire à toute épreuve. Nous tentons de l’encourager à tenir bon, mais nous sentons terriblement impuissantes (la police a son passeport, l’éloignement sera facile…). Nous la serrons dans nos bras à la fin de la visite.
« Dieu vous bénisse, nous dit-elle en nous quittant ». Mais où se cache le Dieu des demandeurs d’asile ?
Claudia a été expulsée avant que nous ayons pu la revoir…