L’HUMOUR S’INVITE AU CRA

Ahmed et Oussama, algériens, 29 et 20 ans
Nous entrons à nouveau : comme c’est une autre équipe de policiers, nous repassons les contrôles. Nos retenus nous attendent. J’avais téléphoné la veille à la cabine, étais tombée sur Ahmed, à qui j’avais demandé le nom d’un co-détenu (selon la méthode Jacqueline, qui est excellente !)               
Quel contraste ! Nous avons devant nous le type du « Titi maghrébin » : un homme jeune, jovial, à l’humour décapant, au rire communicatif : nous rions de bon cœur avec lui et dans la tristesse générale de ce jour maussade et de ces destins tragiques, ce rire est libérateur.


Ahmed est de la région d’Oran (c’est pour cela que je comprends assez bien son arabe dialectal), il a 29 ans et en paraît plus. En France depuis 9 ans, il avait ses papiers, mais les a perdus suite à une histoire pas très nette : il a voulu contracter un mariage avec une Française, pour stabiliser sa situation en France. Il lui a donc versé une forte somme mais la femme l’a dénoncé et il a été condamné. La condamnation est aujourd’hui prescrite et il ne désespère pas de pouvoir un jour récupérer ses papiers.
Oussama a 20 ans et est quant à lui originaire d’Alger. En France depuis 2 ans, il parle et comprend assez mal le français. Ahmed sert donc d’interprète. Oussama a d’abord été hébergé par sa tante, avec qui il s’est brouillé. Il habite une « colocation », à 4 par chambre, qu’il paie 150 euros par mois. « C’est le tarif », confirme doctement Ahmed. Il vit de petits trafics de cigarettes à Barbès : Ahmed nous mime le tableau que nous connaissons : « Malborough, Malborough ! » glousse-t-il en riant de plus belle. Mais la meilleure est pour la fin : Oussama nous apprend qu’il est né un 11 septembre et qu’il s’appelle Oussama ! Nouvelle tempête de rires.
A notre question sur l’ennui au CRA, Ahmed répond comme à son habitude avec humour qu’ils ont un excellent moyen de se distraire : semer la zizanie et provoquer la violence chez les policiers. L’avant-veille, il y a ainsi eu une belle bagarre au CRA1, les bouteilles de shampoing ont volé, plusieurs policiers ont été atteints. « Un bon moment en fait ! » aux dires des retenus.                            Jacqueline, en visite ce jour-là, avait entendu parler de cet incident.
Malgré toute cette gaité, un peu forcée parfois, le regard d’enfant perdu d’Oussama nous ramène à la triste réalité !

Areski, algérien, J+7
C’est un colosse très décontracté qui débarque. De sa voix forte, Areski nous dit tout de go qu’il a un vol demain après-midi, pour…Budapest. « Je rentre chez moi », nous dit-il tranquillement. 
Content de son effet, il nous donne toutes les explications. En vacances en Tunisie, il a fait la connaissance d’une jeune femme hongroise, qu’il a promptement emballée (indépendamment de son impressionnante stature, il est très bel homme et semble être un baratineur de première !). Après s’être marié à cette dernière, il est parti s’installer en Hongrie où il a obtenu des papiers hongrois. 
Malheureusement, le travail y est rare. Aussi a-t-il pris pour habitude de se rendre en France tous les étés, où il retrouve ses 10 frères et sœurs. Avec l’argent gagné au noir, lui et ses frères font des courses puis embarquent tous ensemble pour la Kabylie, direction le Djurdjura, d’où leur père est originaire. Cette année, cette arrestation intempestive a bouleversé ses projets. Mais peu importe. Vienne n’est pas loin, ils feront les courses à Vienne et iront en Algérie !
« De toutes façons, je reviendrai en France : c’est l’espace Schengen », nous dit-il placidement. « Pour nous, les Maghrébins, c’est facile de trouver du travail en France, la communauté est importante, on s’entraide beaucoup. Les Turcs vont plutôt en Allemagne. On trouve facilement un patron, ravi de vous embaucher au noir. Je travaillais avec un ami sans papiers qui vient d’être régularisé. Cela fait 2 mois qu’il cherche du travail déclaré mais personne ne veut de lui. Résultat ? Il est revenu chez le patron qui l’a réembauché au noir ! »
Puis, il nous interroge très précisément sur ce que nous faisons ici. Nous insistons bien sur le fait que nous sommes complètement indépendantes du CRA et même de l’ASSFAM (qui, soit dit en passant, a réussi à récupérer son passeport, bloqué à la Préfecture). « Vous êtes de gauche sans doute, d’extrême gauche, non ? Sinon, vous ne seriez pas là…Pourtant, nous les immigrés, nous avons aidé Hollande à être élu et maintenant, il fait pire que Sarkozy. J’ai un ami, qui a manifesté en mai 2012, et bien maintenant, il est là, au CRA, comme moi !  C’est habituel chez les socialistes, rappelez-vous la guerre d’Algérie », continue-t-il en faisant allusion à Guy Mollet.
Puis, il nous raconte l’histoire de son grand-père, ce montagnard du Djurdjura, père de 7 filles et d’un garçon, embarqué pendant la guerre vers Strasbourg, fait prisonnier en Allemagne et qui au retour en Algérie, a écopé de 7 ans de prison !
Enfin, il nous remercie pour notre visite et pense que c’est important que les retenus sachent que tous les Français ne sont pas racistes et que certains s’opposent à la politique actuelle. « Sinon, ils auraient la haine de la France et cela pourrait être dangereux », poursuit-il. 
Nous l’interrogeons sur les nationalités présentes au CRA : des Afghans, des Érythréens, très isolés par la langue - et dont certains semblent mineurs -, des Chinois - complètement mutiques mais qui ont de l’argent et toujours de bons avocats -, des Egyptiens et des Mongols qui parlent russe.                       
Pourtant, le CRA n’est pas plein : manifestement, on attend le retour de congé des policiers !


Après notre visite, comme convenu, je l’appelle sur son portable : « Ah ! s’exclame-t-il, j’ai parlé de vous à tout le monde ici ! Encore merci pour ce que vous faites ! » Puis il me passe un retenu afghan anglophone avec qui nous prenons RDV le samedi suivant.