A L'EXTERIEUR DU CRA

Et l’attente reprend…
Nous engageons la conversation avec une dame algérienne : elle vient voir son neveu pour qui elle a pris un avocat. Le nom m’est bien connu et je peux la rassurer sur ses compétences. Malgré tout, elle est très inquiète : elle vient de parler avec une jeune dame, qui attend avec sa belle-mère et son bébé dans son landau. Quand elle a dit qu’elle avait confié le passeport de son neveu à l’avocat, la jeune femme l’a vertement réprimandée, disant qu’il fallait TOUJOURS cacher le passeport (ce qui n’est pas faux). Je tente de la rassurer en lui disant que l’avocat connaît son métier et ne va pas utiliser ce passeport, si cela doit nuire à son client. Mais la pauvre dame est rongée par l’angoisse.

Une autre mère attend aussi avec un jeune homme : son fils vient d’être opéré d’un calcul au rein et a été arrêté 3 jours après l’opération ! Il n’a pas pu aller passer la visite de contrôle prévue à J+5. Ils espèrent pouvoir le faire libérer pour raison de santé. Je les assure que l’ASSFAM fera le maximum.
A ce moment, un jeune homme avec bagages sort du CRA. Nous nous avançons aux nouvelles : oui, il vient d’être libéré par le juge, au bout de 48h, car il a un enfant (sans doute français).

Alors que nous patientons, nous voyons arriver une jeune femme d’une grande beauté et d’une parfaite élégance. Elle est accompagnée de deux enfants, une fille de 9 ans et un garçonnet de 4 ans. C’est rare de voir des enfants au CRA et nous engageons tout de suite la conversation.
Cette petite famille est kurde de Géorgie. Ils sont Yézidis, minorité souvent persécutée. Toute la famille du père est en Allemagne où ce monsieur a vécu 13 ans. Sa femme (notre interlocutrice) a demandé l’asile en Allemagne mais a été déboutée. Pour pouvoir rester ensemble, ils ont choisi de s’installer en France, où ils sont sans-papiers. Leur fille est scolarisée depuis 5 ans, leur garçon est né en France. La famille, soutenue par le RESF 77, a engagé des démarches pour bénéficier de la circulaire Valls et…le père a été arrêté puis enfermé au CRA. Le préfet n’a pas voulu l’assigner à résidence, car la famille est hébergée à l’hôtel…La jeune femme vient tous les jours de Torcy, avec ses enfants rendre visite à son mari : les policiers la connaissent bien.
Malgré les pétitions de RESF, son mari sera finalement expulsé vers la Géorgie.

D’autres personnes se joignent à nous. 
Un jeune homme nous dit venir de Metz, pour rendre visite au fils d’une voisine « du bled ». Il nous avoue son malaise : « J’ai peur des flics ». En fait, il a lui-même été enfermé au CRA, quand il était sans papier, mais libéré au bout de 24 heures : « Quinze jours après, j’étais marié ! » nous dit-il en riant. Cette arrestation a manifestement balayé les réticences de la jeune Française avec qui il vivait. Il est régularisé, père de deux enfants.
C’est la 3ème fois qu’il vient de Metz pour rendre visite à son compatriote. Mais aujourd’hui, le retenu qu’il vient voir va si mal qu’il a éteint son téléphone et ne répond pas à l’appel du haut-parleur. Notre visiteur repart, dépité. Mais nous le voyons revenir une heure après : il entre, dépose ce qu’il a apporté et s’éloigne rapidement attraper son train de retour.

Un couple attend devant le CRA : la dame, enceinte de 7 mois et apparemment fatiguée, est seule à pouvoir présenter une « pièce d’identité ». Le policier réserviste s’exclame : «Elle est pas valable, cette carte, c’est une carte de l’AME, normalement, je devrais pas vous laisser rentrer ; mais je suis gentil aujourd’hui, je ferme les yeux, mais quand même, un règlement est fait pour être appliqué ! » Puis, nous prenant à parti : « C’est une carte de l’AME, ça veut dire qu’elle n’a pas de papiers, je devrais pas la laisser entrer ! » 
Je risque timidement : « C’est surtout qu’elle prend des risques…Et puis, sa carte a bien une photo… » Que n’ai-je pas dit là ? « Ah ! une photo ? Mais voyez mes cheveux blancs…on ne me la fait pas, je ne suis pas un jeunot naïf ! J’en ai vu, tout au long de ma carrière, des fausses cartes avec photo… » et il continue sa litanie, répétant sans fin : « Mais aujourd’hui, je suis gentil etc. etc. » Exaspérées, la dame et moi, pour nous calmer, entreprenons une série de grimaces dans le dos de ce si « gentil » policier, qui oublie simplement que sans papiers ne veut pas dire sans droits !

A la sortie, l’escorte me fait attendre un retenu qui doit être libéré. Comme je n’ai pas pu voir l’autre retenu que j’avais eu au téléphone hier, je taille une bavette avec ce « libé ». C’est un jeune Marocain de Rabat. Comme il ne connaît pas le chemin, je l’accompagne au RER Joinville, où je me rends. 
En France depuis 7ans, il n’a jamais demandé ses papiers : je lui donne donc la liste des permanences. Il la prend par politesse et m’apprend qu’il a RDV à la Gare du Nord avec un ami qui va l’emmener tenter sa chance aux Pays-Bas, où il a un oncle.
Il prend une cigarette mais comme il sort du CRA, il n’a bien sûr pas de feu. Alors que nous longeons la clôture, mon compagnon avise deux policiers et les interpelle : 
« Collègues, vous n’auriez pas du feu ? »
Complaisante, une policière s’approche et allume sa cigarette à travers le grillage. L’image est extraordinaire car cette fois, c’est la policière qui est dedans et l’étranger qui est dehors ! J’aurais aimé pouvoir immortaliser l’instant !
Je l’interroge sur son métier : bâtiment, peinture ? « Ah non ! me répond-il, l’air horrifié, pas le bâtiment, je fais un autre métier ». Silence. « Narcotrafiquant », lance-t-il, goguenard, avant de se reprendre. Je n’en saurai pas plus.
Il m’interroge à son tour sur ma présence au CRA et me confie que les policiers sont souvent provocateurs, même si certains sont très bien.

Alors que nos routes se séparent au RER, je lui souhaite bonne chance !