PETITE CHRONIQUE DES HUMILATIONS ORDINAIRES SUBIES PAR LES VISITEURS


Ricanements, insolences, refus plus ou moins arbitraires… petite chronique des humiliations ordinaires au CRA de Vincennes.


À priori, les premiers contacts avec les policiers du poste de garde sont corrects : on donne sa pièce d’identité, le policier vérifie la présence du retenu et c’est : « Patientez, on vous appellera ». Donc, quoi qu’il arrive, nous patientons, plus ou moins longtemps.
Toutefois, il arrive que la machine se grippe. Ainsi, l’autre jour ( en décembre quand même, il ne fait pas particulièrement chaud), le policier nous demande, très poliment, de patienter pour une raison assez étonnante : « Les collègues sont en pause déjeuner, il va falloir les attendre une demi-heure, qu’ils aient le temps de prendre leur repas. » Nous nous regardons, Jacqueline et moi, surprises : il n’y a donc pas de roulement pour la pause repas ? Le service s’arrête à l’heure du déjeuner ? Les visites sont pourtant bien prévues entre 9h et 20h, sans spécification de pause repas… Mais passons ; ce petit incident n’est pas nouveau : venues exceptionnellement faire une visite un matin, quelle n’a pas été notre stupéfaction de trouver la policière de service dans le local de visites, attablée devant un solide petit déjeuner. Ètrange conception du service… En tant que prof’, je n’ai jamais mangé devant mes élèves…


Les policiers ont mangé, on nous appelle. Avec nous, une jeune Maman tchétchène pousse sa petite fille endormie dans sa poussette. ARRRGH ! le local de visites est à nouveau au premier étage et l’escalier métallique toujours aussi périlleux. Nous proposons donc de monter la poussette au premier, afin de ne pas réveiller l’enfant, cette visite à son papa enfermé au CRA étant en elle-même suffisamment traumatisante. Les policiers rechignent, il semble que ce soit contraire au règlement (à vérifier…), mais finalement, nous nous retrouvons toutes et tous dans le local.
Depuis le début de la pandémie, les visites sont devenues extrêmement pénibles. Pour chaque visiteur-masqué, une table avec un épais plexiglas (fort sale) qui le sépare du retenu- masqué lui aussi. Les policiers occupent le fond de la salle, il n’y a AUCUNE confidentialité. Je vous laisse imaginer la cacophonie qui règne ! Les policiers- masqués discutent entre eux sans aucune considération de l’endroit où ils se trouvent : un local de visites, où pendant trente pauvres minutes un retenu reçoit un peu d’air de l’extérieur, une entrevue avec sa famille, éplorée le plus souvent, trente minutes contre des heures d’enfermement, d’ennui, de solitude et d’angoisse quant à la perspective d’une expulsion qui peut avoir lieu à tout moment. Et ce bref moment est « pollué » par les bavardages des policiers, qui parlent d’autant plus haut qu’ils sont masqués et que les visiteurs s’égosillent devant les plexiglas !
Dans le local de visites, le climat se tend de façon sensible : les policiers sont en effet extrêmement nombreux (j’en compte huit !) et bien sûr, ça bavarde, rendant les échanges avec le retenu pratiquement impossibles. Comme nous l’avions décidé lors de notre réunion, nous décidons d’intervenir sans attendre. Je me lève, m’approche des policiers et avec toute la courtoisie dont je suis capable, je leur demande de parler moins fort. Réponse très ironique d’un grand gaillard : « Ah, ah ! je parle fort, parce que je respecte le règlement, je porte mon masque, moi ! » Catastrophe ! pour essayer de me faire comprendre par le retenu, j’ai baissé mon masque ! Je sens mon visage se figer et en me contenant autant que possible, je dis, avec une émotion qui doit être visible : « Ecoutez, on essaie de faire au mieux pour que la visite se passe bien ! » Un autre policier intervient et tous promettent de parler moins fort. Mais ne peuvent-ils pas simplement SE TAIRE pour laisser aux retenus ces quelques minutes d’échange avec l’extérieur dans des conditions supportables ?


En route pour descendre la poussette, ce qui nous vaut encore des commentaires grognons sur cette action « contraire au règlement » .  Nous ressortons et attendons notre tour pour voir un second retenu. Il y a en effet trois visiteurs qui patientent, on en appelle deux. Un couple indien proteste : ils sont arrivés avant la personne appelée, c’est bien à leur tour d’entrer. Explications confuses des policiers : il semblerait qu’on fasse passer les visites en regroupant les visiteurs selon le CRA…Il y a en effet trois CRA dans l’enceinte de Vincennes. Est-ce que du coup, pour plus de facilité, on fait passer les visites des retenus du CRA 1, puis celles du CRA 2A, puis… ? Mystère, mais cela nous rappelle un incident antérieur. Lors d’une précédente visite, nous étions passées carrément devant tout le monde et j’avais cru comprendre que le CRA 1 subissait une fouille générale, donc impossibilité d’organiser une visite pour ces retenus avant la fin de la fouille ; comme notre retenu était au CRA 2, nous étions passées rapidement. Quoi qu’il en soit, le couple doit patienter trois quarts d’heure supplémentaires !


Pendant que nous attendons, c’est la relève, de nombreux policiers quittent le CRA et prennent leur moto. Encore un scénario connu : les motos sont désormais garées à côté de la cahute où s’installent les visiteurs et non plus devant la cahute, comme cela a été le cas à un moment. A côté de la cahute, il y a un banc , où justement nous avons pris place et devant lequel de nombreuses motos sont stationnées. Un policier arrive, lance le moteur (plutôt puissant, ce n’est pas un scooter, encore moins un solex !), puis tranquillement, range ses affaires, prend son casque, ajuste ses écouteurs, nous laissant dans le vacarme et les gaz du moteur. Je m’approche pour lui demander très poliment de bien vouloir déplacer son engin, pour que les gaz ne nous viennent pas directement dans la figure. Le propriétaire de l’engin semble ne pas comprendre du tout de quoi il s’agit. Je lui explique qu’une autre fois, un de ses collègues avait déplacé son engin, pour nous éviter ces inconvénients : « Ben quoi, me répond-il, de toute façon, je pars ! Au revoir ! » Et le manège recommence : le casque, les écouteurs etc. Il démarre enfin, dans un vacarme insupportable.


Après avoir vu notre second retenu, nous quittons les lieux, littéralement sonnées par les conditions de visite où il faut tenter de se faire entendre au milieu du brouhaha des policiers et par l’attente à l’extérieur, dans le froid, où nous subissons le bruit des voitures qui entrent et sortent sans arrêt du CRA, avec en prime les gaz des motos qui chauffent !


En une après-midi, nous avons ainsi subi cinq incidents, certes peu graves, mais très révélateurs du climat qui règne dans ces lieux : la toute puissance policière qui peut facilement tourner à l’arbitraire.