TÉMOIGNAGE D'UNE AUDIENCE DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION PAR VISIOCONFÉRENCE

 

La COVID 19 est une bonne occasion pour les autorités d'expérimenter (et sans doute de pérenniser) les audiences par visioconférence, la ou le magistrat.e étant au palais et le retenu restant au CRA.

Nous avons donc décidé d'aller observer comment cela se passe et les conséquences possibles pour le retenu.


C.R. de l’audience  du JLD au palais de justice de la Porte de Clichy le lundi 11 janvier 2021


Nous pénétrons dans cet univers de la justice après un contrôle de sécurité strict comparable à celui d’un aéroport.


Les espaces que nous parcourons jusqu’à la salle d’audience sont imposants et beaux.
Dans la salle d’audience, 3 avocats sont déjà présents et "papotent"...
Une balance stylisée de la justice nous fait face, fichée au mur derrière le juge.
D’autres avocats arrivent dans la salle,  2 greffières  puis la magistrate Mme L., soit 11 personnes. Pas de public autre que nous, ou de familles...


Début de l'audience : 10h30 et non 10h.

L’audience va se dérouler par visio au CRA de Vincennes.
Il n’y a donc pas de policier dans la salle.
Une interprète est arrivée, 5 avocat.e.s, dont au moins 1 a été choisi par le retenu, seront présents
pour la défense et 2 pour la préfecture.
Le nom du premier retenu à comparaître nous est annoncé.
On peut regarder l’écran en se déplaçant sur le côté droit de la salle.


Affaire 1 : Un policier accompagne le retenu jusqu’à une chaise placée devant la caméra de l’ordinateur.  Le détenu est masqué et reste seul devant l’écran.
Il est placé en rétention depuis 60 jours et la juge lui explique qu’elle est saisie par le Préfet de police de Paris qui lui demande de prolonger sa rétention.  C’est donc sa 3 ème audience devant le JLD car la 1ère audience a donné 30 jours de rétention, la 2 ème 30 jours de plus, le maximum étant de 3 mois.
L’avocat de la défense explique que prolonger la rétention si il y a une possibilité d’éloignement aurait un sens…. or, il n’y a pas de possibilité de vol !…
L’avocat de la préfecture demande une nouvelle prolongation de 30 jours parce qu’il a fait obstruction à son retour en Tunisie en refusant le test PCR. (un vol serait prévu ce soir à 19H).
La délibération se fait après que les 2 avocats ont pris la parole.
Nous attendons dans la salle.
Le retenu  attend sur sa chaise devant l’écran.
Le délibéré  est rendu : prolongation de 15 jours car il a fait obstruction en refusant le test.

Affaire 2 : Le second retenu a eu également une prolongation de sa rétention car il avait refusé le test. La magistrate lui annonce qu’il peut faire appel, qu’il peut faire la demande d’un médecin, d’un avocat ou de son consulat ou encore d’une tierce personne.

Affaire 3 : Le troisième retenu est passé en correctionnelle des “bêtises” (il s’agit de vol à la tire). La délibération est plus grave : prolongation de la rétention car interdiction définitive de territoire Français.


Les 3ème, 4ème, 5ème retenus n’ont pas accepté de faire le test PCR  : la magistrate leur explique qu’il s’agit d’un délit pour lequel ils sont passibles d’enfermement en prison.

L’un d’eux est arrivé au CRA le 20 septembre 2020, puis il a fait de la prison pendant 2 mois à “la Santé” car il avait refusé de faire le test PCR. Puis il est revenu au CRA… cela fait donc bientôt 4 mois qu’il est enfermé…
Cela n’émeut pas vraiment la magistrate qui lui dit :
 "Monsieur, il faut accepter le test !"

Nous rappelons que pour toute autre personne qu'un étranger sans papiers le consentement est requis !


Enfin arrive un 6 ème retenu qui sera libéré..!
Il a 43 ans, il a une avocate qui a beaucoup travaillé sa plaidoirie : elle porte sur l’illégalité de sa garde à vue.
Cet homme a été placé en garde à vue à 5H du matin, il était en état d’ivresse.
Le premier repas qu’il a pu prendre lui a été proposé à 21H...
Devant ce “traitement inhumain et dégradant”,  après délibération, la magistrate lui explique qu’il va sortir sauf appel suspensif du parquet qui intervient dans les 10 heures.

Enfin ! cela nous réchauffe un peu… Il fait très froid dans cette salle d’audience !...

Affaire 7 : Le retenu suivant a un avocat pour sa défense … peu attentif ou débordé (?)… qui a remis sa requête hors délai : il aurait dû la déposer 48H avant !
Il a un vol prévu le 16 janvier.
Prolongation de sa rétention…

Affaire 8 : Le même avocat qui avait beaucoup travaillé sa plaidoirie, Maître G. défend maintenant un homme Malien de 44 ans.
Il plaide longtemps et explique que le contrôle effectué de son titre de séjour est illégal, que la palpation dite de sécurité est irrégulière. il n’y a pas d’interprète au commissariat…
La prise d’empreintes  est illégale aussi, il parle du FAED (fichier automatisé des empreintes digitales), il y a un service de police technique scientifique, il faut que la personne qui prend les empreintes soit habilitée, ce qui n’était pas le cas : il parle d’un FAED détourné.
Il cite les décisions récentes prises par la cour d’appel de Paris…
L’avocate de la préfecture plaide aussi longuement…Elle explique que ses droits ont été notifiés… il les a même signés… l’interprète a été joint par téléphone…
La juge délibère longuement…
Elle annonce qu’elle met fin à la rétention administrative !!!
Le parquet a 10H pour faire un appel suspensif. (L’appelant est la Préfecture mais le parquet peut faire un appel suspensif.)


Le temps passe. Cela fait déjà 4H que siège la magistrate…. On attend un détenu qui a le Covid… il a du mal à se lever… on entend des bruits de toilettes dans l’ordinateur…
Non, finalement, il ne peut arriver jusqu’à la salle de l’ordinateur…
La magistrate demande alors à la policière de lui faire un PV.
La cour attend son envoi par mail….

Nous sortons alors…


Les dossiers de 11 retenus ont été examinés de façon professionnelle, ce que je respecte.
Je remarque qu’il n’y a pas eu, pour aucun de ces hommes, une information concernant la durée de leur séjour en France avant leur arrestation.
Ni sur leur travail en France,
Ni sur leur vie de famille en France.

Deux hommes pourront peut-être sortir grâce aux plaidoiries de leur avocat  qui portent sur des irrégularités de procédures : il y a depuis la loi du 2018 d’une part la requête contre la décision de placement du Préfet de Police qui doit être rédigée par l’avocat ou l’association qui est présente au CRA dans les 48 h et le débat sur la chaine de privation de liberté  - interpellation, garde à vue, etc.


Nous quittons la salle d’audience en éprouvant la dureté du traitement qui leur est infligé.
Ces audiences en "visio" déshumanisent encore plus le retenu et le temps d'échange avec la juge qui se limite à l'essentiel. La relation avec l'avocat de la défense devient inexistant.


Exceptées nous deux, aucun public, pas de famille... (Avec le Covid, 9 personnes sont possiblement acceptées dans la salle).