" EST-CE NORMAL QUE JE SOIS LÀ ALORS QUE JE VIS EN FRANCE DEPUIS 10 ANS ? "
Une disposition de la future loi asile-immigration qui prévoit d'enfermer encore plus longtemps les étrangers sans titre de séjour (90 jours au lieu de 45 actuellement, et jusqu'à 135 jours) a pour effet de pousser certains parlementaires LRM à visiter les centres de rétention un peu partout en France.
Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat ont visité celui de Vincennes.
Marilyne Baumard, journaliste au journal Le Monde, les y a accompagnés. Voici son article publié le 20 février dernier.
En bas de page, le lien vers l'article de Cécile Dubois publié dans 94 Citoyens.com, qui fait une description très précise de la visite et du lieu, photos à l'appui.
" Est-ce normal que je sois là alors que je vis en France depuis dix ans ? "
Au centre de rétention administrative de Vincennes, sur 4 085 personnes, près d'une sur deux sera remise dans un avion vers son pays d'origine.
La télé allumée tente d'habiller la grande salle commune. Mais personne ne la regarde ni ne l'entend vraiment. Ici, chacun vit dans son petit monde avec sa galère.
" Vous trouvez normal que je sois là alors que je vis en France depuis dix ans ? ", s'insurge un Algérien. " Moi j'ai été arrêté en allant bosser. Vous croyez que je vais perdre mon travail ? ", lance un Marocain interpellé à la gare du Nord. En 2017, 4 085 personnes sont passées entre les murs du centre de rétention administrative de Vincennes (CRA), dont 1 298 Maghrébins. Ils constituent le premier groupe enfermé dans cet endroit. Au CRA 1, la matinée de ce jeudi 8 février s'éternise un peu. Comme si, dans l'enceinte de ce lieu qui ne s'appelle pas " prison " mais y ressemble fort, le temps s'écoulait plus doucement que dehors. Dans le bois de Vincennes, pourtant, les joggeurs courent, ignorant qu'on prive de liberté si près d'eux. Le centre de rétention de Vincennes, comme les 25 autres que compte la France, est fait pour préparer les éloignements d'étrangers à qui il manque un titre de séjour. Odile Ghermani s'accommode mal de cette idée, alors, cette retraitée membre de la Cimade et de la Ligue des droits de l'homme, visite les " retenus " et invite les parlementaires, pour sensibiliser. C'est ainsi que deux députés La République en marche (LRM), Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat, se sont retrouvés dans ce lieu à tenter d'imaginer ce que pourraient signifier cent trente-cinq jours dans les préfabriqués. Cent trente-cinq jours, c'est cette durée de rétention que la loi " pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif ", présentée en conseil des ministres mercredi 21 février, pose comme limite en lieu et place des quarante-cinq jours actuels. Pour comprendre, les yeux de Mme Dubré-Chirat fouillent les détails du lieu, tentent d'imaginer ce que vivent les retenus. M. Masséglia, lui, s'inquiète plus des troubles à l'ordre public que ces étrangers auraient pu occasionner à un moment de leur vie de sans-papiers. Deux approches de la vie et du monde qui se côtoient au sein de LRM.
Une " passoire "
L'espace est tenu par une cinquantaine de policiers, en sortie de formation, qui rêvent eux aussi de partir. " Ici, on ne reste pas, j'ai des fonctionnaires en transit pour douze ou dix-huit mois ", observe le commandant Bruno Marey, qui, en quatorze ans de maison, a appris à faire avec le turnover. La moitié des pensionnaires seront libérés, un jour, par le juge ou la préfecture. Près d'un sur deux (1 913 sur 4 085) sera remis dans un avion et " éloigné ". Sur le tableau de la salle de gestion sont inscrits les " vols cachés ". Pour éviter que le migrant ne refuse de partir, on peut venir le chercher par surprise dans sa chambre, " dans 20 % des cas ", reconnaît le commandant Marey… Et puis, spécificité vincennoise, quelques-uns trouvent eux-mêmes la sortie. Le 31 décembre, les 20 et 21 janvier, de petits groupes se sont enfuis. Ce qui a fait dire au syndicat Alliance que le lieu ressemble à une " passoire ". En réalité, le CRA de Vincennes est surtout une superposition de préfabriqués qui n'avaient pas vocation à durer, puis ont brûlé plusieurs fois. Par morceaux. Les deux députés observent. Ils veulent comprendre ces laissez-passer consulaires, le sésame pour les renvois. " Sans ce passeport éphémère, on ne peut pas renvoyer ", observe le commandant.
En finir
Or, certains consulats traînent des pieds pour le délivrer, ne souhaitant pas reprendre leurs ressortissants. C'est pour eux que le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, veut multiplier par trois la durée de rétention dans son projet de loi. Sur place, quelques fonctionnaires expliquent que " cela ne changera rien, puisque les consulats qui veulent le donner le font très vite et les autres attendent symboliquement le 46e jour pour répondre ", c'est-à-dire le lendemain de la libération du retenu. Ici comme ailleurs, les deux tiers des expulsions ont lieu durant les douze premiers jours. Le commandant leur explique " en technicien de terrain " comme il dit, que c'est difficile quand le juge lors de la première présentation leur annonce qu'ils passeront au moins vingt jours en rétention… après la première présentation à la justice. Les élus imaginent mal laisser quelqu'un pendant cent trente-cinq jours dans un lieu de transit où il ne peut rien faire. Parfois, les retenus veulent en finir. Les tentatives de suicide sont rebaptisées " actes auto-agressifs ". Un Algérien s'est ainsi entaillé le bras cinq fois et le commandant a connu deux décès en quatorze ans. " Un homme asthmatique, le 22 juillet 2008. Et en 2014, un homme qui s'est étouffé par régurgitation. L'enquête est en cours ", récite M. Marey. Deux dates qui marquent une carrière.
Marilyne Baumard
© Le Monde
Article de Cécile Dubois dans 94 citoyens.com
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Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat ont visité celui de Vincennes.
Marilyne Baumard, journaliste au journal Le Monde, les y a accompagnés. Voici son article publié le 20 février dernier.
En bas de page, le lien vers l'article de Cécile Dubois publié dans 94 Citoyens.com, qui fait une description très précise de la visite et du lieu, photos à l'appui.
" Est-ce normal que je sois là alors que je vis en France depuis dix ans ? "
Au centre de rétention administrative de Vincennes, sur 4 085 personnes, près d'une sur deux sera remise dans un avion vers son pays d'origine.
La télé allumée tente d'habiller la grande salle commune. Mais personne ne la regarde ni ne l'entend vraiment. Ici, chacun vit dans son petit monde avec sa galère.
" Vous trouvez normal que je sois là alors que je vis en France depuis dix ans ? ", s'insurge un Algérien. " Moi j'ai été arrêté en allant bosser. Vous croyez que je vais perdre mon travail ? ", lance un Marocain interpellé à la gare du Nord. En 2017, 4 085 personnes sont passées entre les murs du centre de rétention administrative de Vincennes (CRA), dont 1 298 Maghrébins. Ils constituent le premier groupe enfermé dans cet endroit. Au CRA 1, la matinée de ce jeudi 8 février s'éternise un peu. Comme si, dans l'enceinte de ce lieu qui ne s'appelle pas " prison " mais y ressemble fort, le temps s'écoulait plus doucement que dehors. Dans le bois de Vincennes, pourtant, les joggeurs courent, ignorant qu'on prive de liberté si près d'eux. Le centre de rétention de Vincennes, comme les 25 autres que compte la France, est fait pour préparer les éloignements d'étrangers à qui il manque un titre de séjour. Odile Ghermani s'accommode mal de cette idée, alors, cette retraitée membre de la Cimade et de la Ligue des droits de l'homme, visite les " retenus " et invite les parlementaires, pour sensibiliser. C'est ainsi que deux députés La République en marche (LRM), Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat, se sont retrouvés dans ce lieu à tenter d'imaginer ce que pourraient signifier cent trente-cinq jours dans les préfabriqués. Cent trente-cinq jours, c'est cette durée de rétention que la loi " pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif ", présentée en conseil des ministres mercredi 21 février, pose comme limite en lieu et place des quarante-cinq jours actuels. Pour comprendre, les yeux de Mme Dubré-Chirat fouillent les détails du lieu, tentent d'imaginer ce que vivent les retenus. M. Masséglia, lui, s'inquiète plus des troubles à l'ordre public que ces étrangers auraient pu occasionner à un moment de leur vie de sans-papiers. Deux approches de la vie et du monde qui se côtoient au sein de LRM.
Une " passoire "
L'espace est tenu par une cinquantaine de policiers, en sortie de formation, qui rêvent eux aussi de partir. " Ici, on ne reste pas, j'ai des fonctionnaires en transit pour douze ou dix-huit mois ", observe le commandant Bruno Marey, qui, en quatorze ans de maison, a appris à faire avec le turnover. La moitié des pensionnaires seront libérés, un jour, par le juge ou la préfecture. Près d'un sur deux (1 913 sur 4 085) sera remis dans un avion et " éloigné ". Sur le tableau de la salle de gestion sont inscrits les " vols cachés ". Pour éviter que le migrant ne refuse de partir, on peut venir le chercher par surprise dans sa chambre, " dans 20 % des cas ", reconnaît le commandant Marey… Et puis, spécificité vincennoise, quelques-uns trouvent eux-mêmes la sortie. Le 31 décembre, les 20 et 21 janvier, de petits groupes se sont enfuis. Ce qui a fait dire au syndicat Alliance que le lieu ressemble à une " passoire ". En réalité, le CRA de Vincennes est surtout une superposition de préfabriqués qui n'avaient pas vocation à durer, puis ont brûlé plusieurs fois. Par morceaux. Les deux députés observent. Ils veulent comprendre ces laissez-passer consulaires, le sésame pour les renvois. " Sans ce passeport éphémère, on ne peut pas renvoyer ", observe le commandant.
En finir
Or, certains consulats traînent des pieds pour le délivrer, ne souhaitant pas reprendre leurs ressortissants. C'est pour eux que le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, veut multiplier par trois la durée de rétention dans son projet de loi. Sur place, quelques fonctionnaires expliquent que " cela ne changera rien, puisque les consulats qui veulent le donner le font très vite et les autres attendent symboliquement le 46e jour pour répondre ", c'est-à-dire le lendemain de la libération du retenu. Ici comme ailleurs, les deux tiers des expulsions ont lieu durant les douze premiers jours. Le commandant leur explique " en technicien de terrain " comme il dit, que c'est difficile quand le juge lors de la première présentation leur annonce qu'ils passeront au moins vingt jours en rétention… après la première présentation à la justice. Les élus imaginent mal laisser quelqu'un pendant cent trente-cinq jours dans un lieu de transit où il ne peut rien faire. Parfois, les retenus veulent en finir. Les tentatives de suicide sont rebaptisées " actes auto-agressifs ". Un Algérien s'est ainsi entaillé le bras cinq fois et le commandant a connu deux décès en quatorze ans. " Un homme asthmatique, le 22 juillet 2008. Et en 2014, un homme qui s'est étouffé par régurgitation. L'enquête est en cours ", récite M. Marey. Deux dates qui marquent une carrière.
Marilyne Baumard
© Le Monde
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