PASSER L'AÏD EN RÉTENTION...
Passer l’Aïd en rétention : entre violence et désespoir
En appelant les cabines, j’avais eu Lounès (le prénom a été changé) au bout du fil : j’avais été frappée par la qualité de son français, à la fois riche et précis. Nous allons donc le voir, Guy et moi. L’entrée est rapide, un visiteur avec nous, pas de fouille.
Lounès, Algérien, 29 ans, J+10
Nous avons devant nous un homme impressionnant, maigre, le visage profondément marqué, mais surtout, ses deux bras sont entièrement couverts de pansements.
Il nous apprend tout de suite que sa mère lui a téléphoné le matin même, pour l’Aïd el Kebir et que de désespoir, il a fait une tentative de suicide : il s’est tailladé les bras et a voulu se pendre : la marque du lacet est bien visible sur son cou. C’est un retenu qui l’a trouvé avant qu’il soit trop tard. Il se trouve que le camarade qui l’a sauvé est dans le parloir, à côté de nous : un monsieur tunisien, le visage empreint d’une grande douceur, depuis 10 ans en France, enfermé lui aussi au CRA.
Après la coupure de l’été, nous replongeons brutalement dans l’insupportable réalité du quotidien des étrangers dans notre pays : le retenu tunisien travaille, paie ses impôts et risque aujourd’hui l’expulsion.
Lounès nous raconte son histoire : il est issu de la bourgeoisie algérienne, mère médecin, père directeur d’entreprise (Sonatrach). Son excellent français lui vient de ses parents et des vacances qu’il a passées en France. En Algérie, il était ouvrier professionnel « gazier », c’est-à-dire qu’il réalise les branchements de gaz entre la conduite et les appartements. Mais le salaire est maigre, l’équivalent de 150 euros, Lounès est contraint de vivre chez ses parents, il décide donc de passer en France pour se construire un meilleur avenir, il arrive en novembre 2016 avec un visa. Il semble n’avoir aucune famille en France, mais un ami lui a fait un certificat d’hébergement et il a une copine française. Pour le travail, il fait beaucoup de bricolage et trouve des opportunités en mettant des annonces sur sa page Facebook. En cas de besoin, ses parents lui envoient de l’argent.
Il a été arrêté sur le Champ de Mars, suite à une affaire pas très claire, emmené au poste, gardé à vue 24h, sans que ses droits soient semble-t-il respectés ; puis suite à l’abandon des charges, transféré au CRA. Il se plaint d’avoir été mal conseillé par l’ASSFAM et de n’avoir pas pu déposer de recours au TA. Il a vu le consul la veille ; il a prétendu ne pas être algérien. « Pourtant, déclare le consul, vous avez un passeport algérien. »
- Il est faux, rétorque Lounès, sans se démonter. »
Comme nous semblons surpris, il nous explique, goguenard :
« Mais pour 700 euros, moi je vous fais faire un passeport ! » Cette remarque détend un peu l’atmosphère et nous rions avec lui.
Il nous apprend par ailleurs qu’un des retenus que j’avais eu hier au téléphone, a été expulsé ce matin, triste fête pour ce monsieur ! A ce sujet, Lounès nous affirme qu’il est inutile de refuser un vol. Selon lui, le seul moyen efficace pour éviter l’expulsion, c’est d’arriver à se faire hospitaliser. Nous ne répondons pas, ne connaissant que trop le prix à payer et les risques encourus dans ce cas, mais nous voyons bien que Lounès est prêt à mettre sa vie en danger pour éviter un retour en Algérie.
Nous sortons pour demander notre seconde visite ; justement, une visite s’apprête et nous demandons à voir notre retenu « dans la foulée ».
« Pas question, nous répond sèchement une policière mal lunée, vous patientez et après, c’est la relève ! » Nous risquons donc d’avoir une visite bruyante, la relève s’accompagnant toujours de salutations entre les équipes et de remarques plus ou moins virulentes sur l’organisation du service.
Nous nous asseyons sur le banc, trois jeunes hommes s’assoient, derrière nous, dans l’herbe. Très gênés, nous nous poussons et leur proposons de s’assoir avec nous, sur le banc.
« Non merci, nous répond l’un d’eux, nous sommes Egyptiens ; au pays, nous nous asseyons dans l’herbe, c’est bon pour la santé ! Nous sommes du delta, l’herbe est bien verte, ce ne serait pas possible dans le désert, ajoute-t-il en souriant. »
Cette évocation bucolique du pays met un peu de douceur dans ce sombre après-midi.
Monsieur N. M. Algérien J+9 (CRA 2)
Algérien de 26 ans, Noureddine ( le prénom a été changé) est arrivé en France il y a un an. Policier « au bled » pendant 5 ans, il a fui l’Algérie suite aux menaces des islamistes. Il nous dit que son père a été assassiné.
Muni d’un visa, il arrive à Caen où il a un oncle, il y fait une demande d’asile. Puis, pour vivre avec sa copine, il s’installe à Paris. Il vit de petits boulots sur les marchés.
Arrêté le jeudi 24 août porte de Montreuil en achetant des cigarettes et n’ayant pas sur lui sa demande d’asile, il est emmené au CRA.
Samedi le juge lui demande de redéposer ( ?) une demande d’asile au CRA(*). Pour ce faire il va à l’Assfam. Oppressé et stressé, il préfère attendre debout près de la clim. Les policiers lui demandent de s’assoir. Comme il dit qu’il veut rester debout, les policiers le frappent pour refus d’obéissance. Il porte plainte mais c’était dans une zone sans caméras de surveillance !
Le mercredi suivant, un noir malmené par la police, s’accroche à lui en lui demandant de le protéger (le monde à l’envers !). Les flics lâchent le « renoi » et tabassent une nouvelle fois Noureddine. Coups sur la tête (2 points de suture), sur les épaules, le torse (il nous montre les marques significatives), coups à terre.
C’est sûr que ce jeune homme, qui semble plutôt frêle, était un danger important pour un groupe de policiers au point qu’il faille le tabasser !!!
Il porte une nouvelle fois plainte jeudi ; il devait y avoir des caméras à cet endroit ; y aura-t-il des images ???
Ce même jeudi sa copine vient pour lui rendre une visite. Des policiers lui signifient qu’il est interdit de visite, la jeune femme ne pourra donc pas entrer. Le lendemain, Noureddine demande des explications aux policiers, on lui dira le contraire, qu’il n’est pas interdit de visite…Nous lui conseillons de retourner à l’ASSFAM, pour faire état de ce refus de visite, qui pourrait éventuellement le faire libérer.
A la suite de sa demande d’asile, il doit se rendre à l’OFPRA. Après un report (il se sentait trop mal pour y aller ce vendredi), il est convoqué pour lundi.
Il nous dit son écœurement face au traitement des immigrés et surtout des arabes en France. Il pensait qu’ici, contrairement à son pays, la loi était respectée. Il ne sait plus quoi faire s’il sort du CRA.
La situation de Noureddine nous paraît très préoccupante, aussi, je téléphone à l’ASSFAM. La juriste que j’ai au bout du fil me dit que Noureddine est justement dans son bureau : plutôt que de faire valoir le refus de visite, l’ASSFAM va aider Noureddine à déposer une nouvelle plainte….
(*) Faire une demande d’asile en CRA est bien moins protecteur, car il s’agit alors de la procédure accélérée, en particulier non suspensive !
PS. La relève s’est passée sans bruit, mais pas la visite. A un moment, la policière de garde ouvre la fenêtre et interpelle à pleine voix un collègue qui passe en bas. L’échange se poursuit avec des hurlements tels que Guy- exaspéré- réclame une visite dans le calme. La policière ne l’entend pas, Guy répète plus fort. La policière finit par se taire et s’excuser…
Guy et Odile
En appelant les cabines, j’avais eu Lounès (le prénom a été changé) au bout du fil : j’avais été frappée par la qualité de son français, à la fois riche et précis. Nous allons donc le voir, Guy et moi. L’entrée est rapide, un visiteur avec nous, pas de fouille.
Lounès, Algérien, 29 ans, J+10
Nous avons devant nous un homme impressionnant, maigre, le visage profondément marqué, mais surtout, ses deux bras sont entièrement couverts de pansements.
Il nous apprend tout de suite que sa mère lui a téléphoné le matin même, pour l’Aïd el Kebir et que de désespoir, il a fait une tentative de suicide : il s’est tailladé les bras et a voulu se pendre : la marque du lacet est bien visible sur son cou. C’est un retenu qui l’a trouvé avant qu’il soit trop tard. Il se trouve que le camarade qui l’a sauvé est dans le parloir, à côté de nous : un monsieur tunisien, le visage empreint d’une grande douceur, depuis 10 ans en France, enfermé lui aussi au CRA.
Après la coupure de l’été, nous replongeons brutalement dans l’insupportable réalité du quotidien des étrangers dans notre pays : le retenu tunisien travaille, paie ses impôts et risque aujourd’hui l’expulsion.
Lounès nous raconte son histoire : il est issu de la bourgeoisie algérienne, mère médecin, père directeur d’entreprise (Sonatrach). Son excellent français lui vient de ses parents et des vacances qu’il a passées en France. En Algérie, il était ouvrier professionnel « gazier », c’est-à-dire qu’il réalise les branchements de gaz entre la conduite et les appartements. Mais le salaire est maigre, l’équivalent de 150 euros, Lounès est contraint de vivre chez ses parents, il décide donc de passer en France pour se construire un meilleur avenir, il arrive en novembre 2016 avec un visa. Il semble n’avoir aucune famille en France, mais un ami lui a fait un certificat d’hébergement et il a une copine française. Pour le travail, il fait beaucoup de bricolage et trouve des opportunités en mettant des annonces sur sa page Facebook. En cas de besoin, ses parents lui envoient de l’argent.
Il a été arrêté sur le Champ de Mars, suite à une affaire pas très claire, emmené au poste, gardé à vue 24h, sans que ses droits soient semble-t-il respectés ; puis suite à l’abandon des charges, transféré au CRA. Il se plaint d’avoir été mal conseillé par l’ASSFAM et de n’avoir pas pu déposer de recours au TA. Il a vu le consul la veille ; il a prétendu ne pas être algérien. « Pourtant, déclare le consul, vous avez un passeport algérien. »
- Il est faux, rétorque Lounès, sans se démonter. »
Comme nous semblons surpris, il nous explique, goguenard :
« Mais pour 700 euros, moi je vous fais faire un passeport ! » Cette remarque détend un peu l’atmosphère et nous rions avec lui.
Il nous apprend par ailleurs qu’un des retenus que j’avais eu hier au téléphone, a été expulsé ce matin, triste fête pour ce monsieur ! A ce sujet, Lounès nous affirme qu’il est inutile de refuser un vol. Selon lui, le seul moyen efficace pour éviter l’expulsion, c’est d’arriver à se faire hospitaliser. Nous ne répondons pas, ne connaissant que trop le prix à payer et les risques encourus dans ce cas, mais nous voyons bien que Lounès est prêt à mettre sa vie en danger pour éviter un retour en Algérie.
Nous sortons pour demander notre seconde visite ; justement, une visite s’apprête et nous demandons à voir notre retenu « dans la foulée ».
« Pas question, nous répond sèchement une policière mal lunée, vous patientez et après, c’est la relève ! » Nous risquons donc d’avoir une visite bruyante, la relève s’accompagnant toujours de salutations entre les équipes et de remarques plus ou moins virulentes sur l’organisation du service.
Nous nous asseyons sur le banc, trois jeunes hommes s’assoient, derrière nous, dans l’herbe. Très gênés, nous nous poussons et leur proposons de s’assoir avec nous, sur le banc.
« Non merci, nous répond l’un d’eux, nous sommes Egyptiens ; au pays, nous nous asseyons dans l’herbe, c’est bon pour la santé ! Nous sommes du delta, l’herbe est bien verte, ce ne serait pas possible dans le désert, ajoute-t-il en souriant. »
Cette évocation bucolique du pays met un peu de douceur dans ce sombre après-midi.
Monsieur N. M. Algérien J+9 (CRA 2)
Algérien de 26 ans, Noureddine ( le prénom a été changé) est arrivé en France il y a un an. Policier « au bled » pendant 5 ans, il a fui l’Algérie suite aux menaces des islamistes. Il nous dit que son père a été assassiné.
Muni d’un visa, il arrive à Caen où il a un oncle, il y fait une demande d’asile. Puis, pour vivre avec sa copine, il s’installe à Paris. Il vit de petits boulots sur les marchés.
Arrêté le jeudi 24 août porte de Montreuil en achetant des cigarettes et n’ayant pas sur lui sa demande d’asile, il est emmené au CRA.
Samedi le juge lui demande de redéposer ( ?) une demande d’asile au CRA(*). Pour ce faire il va à l’Assfam. Oppressé et stressé, il préfère attendre debout près de la clim. Les policiers lui demandent de s’assoir. Comme il dit qu’il veut rester debout, les policiers le frappent pour refus d’obéissance. Il porte plainte mais c’était dans une zone sans caméras de surveillance !
Le mercredi suivant, un noir malmené par la police, s’accroche à lui en lui demandant de le protéger (le monde à l’envers !). Les flics lâchent le « renoi » et tabassent une nouvelle fois Noureddine. Coups sur la tête (2 points de suture), sur les épaules, le torse (il nous montre les marques significatives), coups à terre.
C’est sûr que ce jeune homme, qui semble plutôt frêle, était un danger important pour un groupe de policiers au point qu’il faille le tabasser !!!
Il porte une nouvelle fois plainte jeudi ; il devait y avoir des caméras à cet endroit ; y aura-t-il des images ???
Ce même jeudi sa copine vient pour lui rendre une visite. Des policiers lui signifient qu’il est interdit de visite, la jeune femme ne pourra donc pas entrer. Le lendemain, Noureddine demande des explications aux policiers, on lui dira le contraire, qu’il n’est pas interdit de visite…Nous lui conseillons de retourner à l’ASSFAM, pour faire état de ce refus de visite, qui pourrait éventuellement le faire libérer.
A la suite de sa demande d’asile, il doit se rendre à l’OFPRA. Après un report (il se sentait trop mal pour y aller ce vendredi), il est convoqué pour lundi.
Il nous dit son écœurement face au traitement des immigrés et surtout des arabes en France. Il pensait qu’ici, contrairement à son pays, la loi était respectée. Il ne sait plus quoi faire s’il sort du CRA.
La situation de Noureddine nous paraît très préoccupante, aussi, je téléphone à l’ASSFAM. La juriste que j’ai au bout du fil me dit que Noureddine est justement dans son bureau : plutôt que de faire valoir le refus de visite, l’ASSFAM va aider Noureddine à déposer une nouvelle plainte….
(*) Faire une demande d’asile en CRA est bien moins protecteur, car il s’agit alors de la procédure accélérée, en particulier non suspensive !
PS. La relève s’est passée sans bruit, mais pas la visite. A un moment, la policière de garde ouvre la fenêtre et interpelle à pleine voix un collègue qui passe en bas. L’échange se poursuit avec des hurlements tels que Guy- exaspéré- réclame une visite dans le calme. La policière ne l’entend pas, Guy répète plus fort. La policière finit par se taire et s’excuser…
Guy et Odile