La tête du fonctionnaire
Je m’approche de la guérite, prête en tendant ma pièce d’identité, à décliner mon état-civil comme la semaine dernière, mais le policier se contente de noter nos noms sur son registre. Soit !
On nous appelle rapidement pour la visite et là, si le fonctionnaire tient bien en main sa « poêle à frire », il n’en fait pas usage et se contente de la balancer à bout de bras comme une baguette de majorette, en nous accompagnant au parloir. Re-soit !
Au parloir, je présente mon sac plastique, contenant exactement les mêmes choses que vendredi dernier, dont la fameuse boîte de chocolats, qui d’arme du crime la semaine dernière, est devenue aujourd’hui… une inoffensive boîte de chocolats ! Re-re-soit !
Nous sommes à trois visites dans le parloir, chose qui paraissait inimaginable le mois dernier. Re-re-re-soit !
Inutile de chercher des explications rationnelles, tout cela se fait, en réalité, non pas à la « tête du client », mais bien à celle du fonctionnaire. Quand ce dernier se montre plus décontracté, les visiteurs ressentent une certaine satisfaction ; en revanche, quand « la tête du fonctionnaire » est – disons – à la grogne, nous sommes submergés par un sentiment d’arbitraire, que nous ravalons, tant bien que mal, pour accueillir le retenu que nous visitons, si ce n’est avec le sourire, du moins avec sérénité.
Mouloud, CRA 1 , 13e jour de rétention.
Sa vie, ou du moins ce qu’il nous en dit, est un roman. Il débarque à Marseille, seul, à 15 ans, en 1985. Il est issu d’un couple maroco-algérien, si bien que son état-civil est incertain et il nous affirme n’avoir été enregistré nulle part, ni au Maroc, ni en Algérie. Encore mineur, il semble avoir mené la vie de « mauvais garçon », il glisse avoir été emprisonné à Fleury. En 1998, il obtient de l’OFPRA une carte d’apatride et de réfugié. Sa vie se stabilise : il a une compagne française, un petit garçon, il construit une maison pour abriter sa famille. Et de nouveau, tout bascule. Sa compagne le dénonce, il perd son statut de réfugié, il est expulsé de sa maison et il se retrouve pratiquement à la rue avec son petit garçon de 6 ans.
Après avoir galéré de squat en hébergement chez des amis, il confie le petit garçon à l’ASE de Saint-Ouen ; d’abord placé en internat, l’enfant, actuellement âgé de 10 ans est en famille d’accueil. Sa mère ne le voit que de loin en loin, mais lui le père, le prend tous les week-ends et toutes les vacances.
En 2010-2011, il y a une nouvelle période confuse. Mouloud, condamné à la prison, rate un rendez-vous avec le juge pour bénéficier d’un aménagement de peine. Bref, à sa sortie de Fresnes, il se retrouve au CRA, après 26 ans de vie en France, avec une OQTF et une interdiction d’entrée sur le territoire français de 3 ans.
Mouloud parle un excellent français, avec une pointe d’accent du midi. Sa connaissance du monde judiciaire est stupéfiante et semble montrer une longue pratique dans ce domaine. Il semble bien connaître aussi l’ASE et se plaint amèrement de son fonctionnement défectueux qui aurait contribué à aggraver sa situation, déjà compliquée et fragile.
Actuellement, il fait des pieds et des mains pour obtenir de voir son fils au CRA, alors qu’il a toujours refusé de le voir au parloir de la prison, faisant valoir que ce n’est pas pareil.
Mouloud, malgré cette situation difficile et incertaine, ne nous paraît pas accablé, il est en revanche angoissé par l’avenir de son fils, s’il était expulsé en Algérie. D’après lui, les jeunes filles de l’ASSFAM font de leur mieux, mais manquent d’expérience.
En 2 jours, c’est le 2e cas d’un père d’enfant français menacé d’expulsion… Sombre réalité au « pays des Droits de l’Homme ». Après nous être battus pour que des enfants ne soient plus mis en rétention, nous nous battons maintenant pour que des enfants ne soient pas séparés de leur père.
Visite faite pas Colette et Odile