2 visites : contrôle au faciès et les laissés-pour-compte de la circulaire Valls

Une jeune femme attend dans la guérite quand nous arrivons au CRA. Comme chaque jour depuis 1 semaine, elle vient visiter son mari, un jeune tunisien, en France depuis seulement 2 ans. Ils n’ont fait qu’un mariage religieux, nous explique-t-elle (mariage musulman, supposons-nous, car la jeune femme est française, et il semble difficile d’imaginer le contraire), et son mari n’a pas fait de demande carte de séjour. Sa femme a l’air assez fataliste quant à l’issue de la rétention. Arrive ensuite une femme sénégalaise avec un jeune homme. Ils viennent visiter leur jeune frère, dernier de la fratrie à rejoindre la famille presque toute en France, et dont certains sont français. Sa sœur craint un renvoi au Sénégal, « car il a un dossier là-bas… ». Nous lui expliquons le rôle du JLD devant lequel son frère va passer dans 3 jours. Nous attendons très peu de temps et montons tous pour la visite. Heureusement car il fait un froid humide et glacial. Brigitte, pour qui c’est une première visite est d’ailleurs très surprise des conditions d’attente…


Adama, malien, 28 ans, CRA 2, J+40

Adama ne parle pas très bien français, et la conversation ne sera pas très aisée.
C’est un jeune homme timide et souriant qui est en face de nous. Son sourire lumineux est en complète opposition avec la terrible histoire qu’il nous raconte. Il est parti il y a 7 mois du Mali. De l’ethnie Soninké, il vivait au nord, et alors qu’il était parti travailler ailleurs, sa femme et ses deux petites filles ont été tuées par « les arabes ». Ses parents sont morts aussi. Nous n’avons pas compris si c’était dans les mêmes conditions que sa femme ou non. N’ayant plus personne, il a décidé de partir. Il a fait un grand périple qui l’a mené jusqu‘en Lybie où il a travaillé pour payer son passage vers l’Europe. Il est resté 2 semaines en Italie où il a débarqué après un voyage de 5 jours sur un petit bateau. De ses mains il essaye de nous donner une idée de sa taille. Puis il a pris le train pour Paris où l’attendait son frère aîné, en France depuis plusieurs années, mais sans papier, et vivant dans un foyer parisien. Malheureusement, la police filtrait les personnes qui descendaient du train. Qu’on ne nous dise pas que le contrôle au faciès n’existe pas. Nous nous sommes dit que ce serait une chose à faire que d’aller gare de Lyon observer ce qui se passe à l’arrivée des trains venant d’Italie… 

Adama a vu le consul, mais il ne semble pas craindre une expulsion. Nous devons rappeler le CRA pour avoir de ses nouvelles.

Brigitte et Christine




Un autre jour


Temps printanier, une demi-heure d’attente, pas de fouille dans le local prévu à cet effet : les policiers nous accompagnent directement au parloir avec un autre visiteur mais ce sont finalement 4 visites qui se tiendront en même temps, deux autres visiteurs sont acheminés par d’autres policiers décalés d’un quart d’heure. Cela débouche sur un brouhaha, d’autant qu’un des visiteurs parle fort et que  chacun est contraint d’augmenter son niveau sonore pour se faire entendre de son interlocuteur. 



 N.  A., tunisien, 25 ans, au CRA2 depuis 38 jours.
Notre  visite n’est pas bien comprise au départ, le retenu  s’attendant surtout à avoir des cigarettes qu’il avait demandé au téléphone, il ne comprend pas très bien ce que nous voulons. Il a un avocat qui s’occupe de son affaire, il a vu l’Assfam… Il se tient à l’écart de ceux qui font des histoires au CRA, il reste dans sa chambre à lire le Coran et à prier…, mais il va aussi faire du sport : deux heures ce matin par exemple ! Cela l’aide à supporter la rétention ; Il ne semble pas vivre dans l’attente d’une expulsion. Alors, tout va bien ? Pas exactement…

La conversation nous amène à mieux cerner sa situation : il est en France depuis 8 ans. A-t-il préparé, voire déposé un dossier de régularisation ? Dans un premier temps il dit avoir un rendez-vous à la Préfecture de Sarcelles dans 6 mois. Nous nous en étonnons… Nous lui demandons s’il s’est fait aider par une association et lui proposons les adresses de permanences juridiques. Il relève alors dans la liste une permanence où il a pris plusieurs fois rendez-vous et où un bénévole a commencé à classer les preuves de vie et des preuves montrant qu’il a reçu de l’argent pour des travaux de plomberie. Il s’engage à retourner à cette permanence pour avoir des conseils. Il ne manque pas de preuves de vie d’autant qu’il a été soigné pendant 5 ans pour dépression après avoir vécu un drame familial (Frère et sœur décédés dans un accident automobile alors que ses deux parents venaient de mourir). Il est venu légalement en France pour voir son oncle, frère de sa mère qui vit en France depuis très longtemps en province. Il travaille mais sans être déclaré et de façon épisodique. Il n’arrive pas à avoir une promesse d’embauche ou des feuilles de paie. Sa vie est pour cela assez  chaotique, il n’arrive pas à payer régulièrement un loyer, va à droite et à gauche pour dormir. Il a été contrôlé dans la rue alors qu’il était ivre. Il évoque aussi un séjour en prison de six mois l’an dernier… Sa situation administrative irrégulière ajoutée à ses problèmes personnels le conduit à une vie chaque fois plus difficile. 

Nous constatons de plus en plus qu’au CRA se retrouvent des personnes étrangères, vivant en France depuis des années, mais n’entrant pas dans les clous de la circulaire Valls, faute d’avoir preuves de vie et surtout les feuilles de paye nécessaires à la régularisation. Ces personnes vivent d’expédients, souvent obligés pour survivre de recourir à des pratiques délictueuses qui les conduisent en prison. Leur vie se complique ; sortie de prison et séjour au CRA ; ils ne sont pas tous expulsés : les doutes sur l’identité ne permettent pas toujours d’obtenir les laisser passer nécessaires à l’expulsion. Ces personnes deviennent alors des cas sociaux alors que comme ils nous le disent : «  nous, tout ce qu’on veut, c’est travailler, vivre normalement ». Le dernier rapport de Valls le confirme, les régularisations « exceptionnelles » liées à l’application de la circulaire Valls du 28 novembre 2012, environ 10 000, concernent des familles et non pas ces célibataires qui n’arrivent pas à entrer dans les critères imposés.
Certains d’entre eux ne résistent pas psychiquement à cette vie d’exclus infernale et présentent des troubles mentaux évidents. Tout comme cette personne qui attendait avec nous : sa conversation était impossible à suivre, il donnait des explications paranoïaques d’événements comme les révolutions arabes où il aurait joué un rôle essentiel à la demande des autorités politiques françaises, se présentant comme le bon samaritain pour les Tunisiens enfermés au CRA. En fait les policiers qui surveillent les visites se sont aperçus qu’il avait transmis des barrettes de shit au retenu visité. Il venait visiter un client ou un ami ? 

Guy et Jacqueline