CORONAVIRUS ET RÉTENTION, APRÈS UBU, KAFKA

Prisonnier, retenu, confiné, isolé : le calvaire d’un étranger sans papiers face au coronavirus


Dans un précédent post (octobre 2019), j’évoquai la figure burlesque et grinçante d’Ubu roi pour relater les incohérences présidant au traitement d’étrangers enfermés dans les CRA. Aujourd’hui, avec la crise du coronavirus, la situation vire au drame et il me faut évoquer Kafka.

Comme je le signalai dans un post du 22 avril, les prisons ont libéré un certain nombre de détenus en fin de peine ou ayant purgé leur peine. Sage décision qui a permis un désengorgement salutaire des lieux de détention où le taux de d’occupation frisait parfois les 120% !

Mais, mais, parmi ces personnes libérées, nombreuses sont étrangères et sans papiers. Vous vous en doutez, pas facile de faire ses papiers quand on est incarcéré ! Au début de la crise du coronavirus, tout allait plutôt bien à la prison de Fresnes : la préfecture du 94 ne s’y rendait plus, donc les étrangers sans papiers ne pouvaient pas être conduits au CRA.

Mais ce n’est pas le cas à la prison de la Santé, où les détenus « libérés » sont directement conduits au CRA de Vincennes. Comme vous le savez, il a eu plusieurs cas de coronavirus dans ce lieu d’enfermement (voir mon post du 20 avril) et Monsieur M., avec d’autres retenus est testé positif. Quel est, dans ce cas, le protocole qui s’impose ? « Normalement », la personne atteinte du Covid19 doit être libérée et accueillie dans un centre Covid que lui indique l’ARS.
Mais pour notre retenu, rien ne se déroule pas « normalement ». En effet, l’ARS refuse de le transférer dans un centre Covid au prétexte qu’il représente  « un risque d’atteinte à l’ordre public » pouvant désorganiser le fonctionnement du centre en question. Double mensonge : d’après nos informations, aucun retenu à Vincennes ne représente une menace pour l’ordre public. Par ailleurs, ces personnes ont purgé leur peine et, ayant payé leur dette à la société, doivent bénéficier des mêmes droits que tous les retenus malades.
Malgré tout, Monsieur M. est isolé au CRA 2B, qui est vide, d’abord avec un compagnon de misère, puis seul : il restera 19 jours isolé et confiné. Au terme de cette pénible épreuve, il sera transféré au CRA 2A, où, au moins, il retrouvera d’autres retenus.
Ajoutons qu’il n’y a actuellement aucune perspective d’expulsion : les vols à destination des pays d’origine sont pratiquement tous supprimés et aucun éloignement n’a eu lieu de Vincennes depuis le …25 mars !
Alors Kafka, dans tout ça ? Notre retenu, à la différence de Monsieur K., le héros du « Procès » a bien commis un délit mineur, pour lequel il a purgé sa peine. Mais comme le héros de Kafka, il se trouve précipité dans une situation de plus en plus tragique et sur laquelle il n’a aucune prise. De la prison, il passe au CRA, où il est confiné, sans visite (elles ont été supprimées depuis le début du confinement).

Atteint du Coronavirus, il doit rejoindre un centre Covid et comme il n’y est pas admis, sous des prétextes fallacieux, il est transféré dans un CRA vide, où il se retrouve bientôt totalement isolé. Comme Monsieur K. il perd ses recours devant les tribunaux. En effet, le Conseil d’État a estimé, le 4 mai, que sa mise à l’isolement au sein du CRA « n’était pas dépourvue de toute justification ». On pourra toujours admirer la litote…

Odile

La lettre de la contrôleure des droits Adeline HAZAN, adressée au ministre de l'Intérieur le 20 avril 2020 et qui recommande fermement la fermeture des CRA suite à sa visite le 15 avril à Vincennes et le 17 au Mesnil-Amelot, décrit très précisément les conditions de rétention et le peu, voire l'absence, de mesures prises face à la pandémie dans ces deux centres, favorisant ainsi sa propagation et la mise en danger des retenus tout en bafouant leurs droits.