CORONAVIRUS AU CRA DE VINCENNES : LE POINT
CORONAVIRUS AU CRA DE VINCENNES
D’un côté, on observe le déni, les contradictions et les contorsions de l’administration, de l’autre, on trouve la détermination des associations utilisant toutes les armes possibles pour faire sortir les retenus.
Les prémisses
Début mars, un bruit court parmi les retenus : à cause du coronavirus, il n’y a plus d’expulsions. Renseignements pris, la réalité est – hélas – beaucoup moins favorable : seules les réadmissions Dublin pour l’Italie sont concernées, dans les 2 sens ; c’est-à-dire que la France ne renvoie pas en Italie les demandeurs d’asile qui y ont déposé leur demande et que parallèlement, l’Italie ne renvoie plus en France les demandeurs d’asile (moins nombreux), qui, après une demande d’asile en France, sont partis en Italie.
A partir du 15 mars, tout va aller très vite. Dès ce lundi, les associations présentes dans les CRA pour assurer l’aide juridique des retenus, s’en retirent physiquement, car les règles sanitaires préconisées pour éviter la contagion ne sont pas respectées : pas de gel, pas de masques, pas de possibilités d’assurer une distance entre les personnes. L’ASSFAM à partir de ce moment, sera en contact avec les retenus par téléphone et avec les tribunaux par internet.
Immédiatement, l’ASSFAM propose systématiquement à chaque retenu de déposer, auprès du JLD (juge des libertés et de la détention) une demande de mise en liberté (DML), pour faits nouveaux. Le JLD libère très vite, il n’y a pas besoin de faire appel, le 20 mars, il ne reste que 70 retenus dans ce CRA qui peut en accueillir près de 240. Devant cette situation encourageante, ne serait-il pas plus simple de fermer les CRA ? L’administration s’y refuse, aussi les associations déposent-elles un référé liberté devant le Conseil d’Etat, demandant la fermeture de TOUS les CRA.
Cette ordonnance, qui refuse cette fermeture, va faire basculer la jurisprudence du JLD de Paris. À partir de cette date, les DML présentées par l’ASSFAM sont systématiquement rejetées par le JLD, puis par la cour d’appel. Pour faire face, l’ASSFAM décide de déposer les DML avec l’aide des avocats de l’ADDE (association pour la défense des droits des étrangers), afin d’éviter des rejets avec une argumentation qui semble peu fondée en droit (les avocats parleront même d’argumentation « hallucinante »). Après, on pourrait tenter de saisir la CEDH (cour européenne des droits de l’Homme)… Mauvaise pioche : la Cimade, à Toulouse, a saisi la Cour, qui n’a pas donné suite… C’est un rude coup pour nous !
Et tout bascule à nouveau !
Le 7 mars, un Géorgien est enfermé à Vincennes et début avril, il tombe malade. Le diagnostic tombera le 9 avril : coronavirus ! Le lendemain, il est libéré par la préfecture et emmené d’urgence à l’hôpital. Immédiatement, les tensions, déjà importantes au CRA, s’intensifient. Plusieurs retenus sont arrivés récemment, mais depuis le 25 mars il n’y a eu aucune expulsion. Tous ces éléments vont changer la donne. L’ADDE (avec le Gisti, Groupe d'information et de soutien des immigrés et le SAF, Syndicat des avocats de France) entame un nouveau marathon (en plein WE de Pâques !) et dépose un référé-liberté devant le tribunal administratif de Paris. L’ordonnance tombe le 16 avril et est assez favorable : interdiction pour l’administration de placer des retenus à Vincennes pendant 14 jours, mais pas de fermeture du Centre.
Le combat continue….
Les associations ne désarment pas, l’OEE (Observatoire de l'enfermement des étrangers) publie le 16 avril un long communiqué, reprenant les étapes et l’argumentaire de cette lutte, avec de nombreuses annexes recensant témoignages, prises de position, questions écrites des parlementaires.
Par ailleurs, les autorités administratives indépendantes ne sont pas en reste : elles se sont mobilisées dès le début du confinement : Défenseur des Droits, Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont alerté le gouvernement sur les conséquences de l’état d’urgence sanitaire pour les personnes les plus précaires, dont font partie les étrangers en situation irrégulière. Le 15 avril, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté se rend au CRA de Vincennes et le 18 avril, le Défenseur des Droits publie une nouvelle décision, demandant au gouvernement la fermeture des CRA.
Actuellement, il y a encore à Vincennes une quarantaine de retenus. Nous supposons que le gouvernement joue la montre : comme la rétention dure maintenant 90 jours, les retenus placés au CRA début avril pourront ainsi être expulsés dès la fin de l’état d’urgence le 24 mai, ou plus tard, fin juillet par exemple, lorsque les frontières seront à nouveau ouvertes !
Acharnement
Toute cette période peut être résumée par le mot « acharnement ». Acharnement de l’administration, qui agissant contre toutes les règles qu’elle a elle-même édictées, refuse de se rendre à l’évidence et de prendre la seule mesure raisonnable : fermer les CRA, véritables foyers de contamination. Mais face à cet aveuglement, saluons à nouveau le bel acharnement des associations, qui, dans ces conditions vraiment particulières, ne baissent pas la garde, contestent pied à pied et pratiquent un harcèlement juridique qui peu à peu portera ses fruits !