Parcours
Ahmed Sohail, expulsé le 31/12/2012, au moment même où François Hollande adressait ses vœux aux Français
Visite du mardi 4 décembre 2012
Jacqueline et Christine
Le bon peuple peut être
rassuré, il existe au moins un
domaine, où l’autorité de l’Etat s’exerce avec force ! Une réglementation
de nos grandes banques pour éviter la ruine des petits déposants ?
L’obligation faite à un grand groupe industriel d’honorer ses engagements
vis-à-vis de ses salariés plutôt qu’aux actionnaires et aux banques ? Non,
vous n’y êtes pas, car là, il faut composer avec l’égoïsme de trop fortes
parties !
Non, l’arsenal étatique,
judiciaire, policier, administratif est mobilisé efficacement pour arrêter les
« Sans papiers », ces étrangers qui vivent sur notre sol et ne sont
pas en règle vis à vis de la Préfecture où ils ont cependant bien souvent
fait la queue ! En effet chaque jour, on continue d’arrêter des pauvres qu’on
ramasse dans la rue, dans les gares, sur les chemins qu’ils empruntent malgré
les risques parce qu’il faut bien aller chercher le boulot là où on veut bien
vous le donner… On arrête des jeunes qui n’ont pas tout compris des arcanes
administratives et des dossiers qui ne sont jamais complets…Tout ceux là sont
faciles à repérer car plus colorés que la moyenne, on arrête au faciès… La
vérification d’identité en 4h ne suffit pas, il faut plus pour instruire le
délit (défaut de titre de transport, rébellion, et bien sûr absence de titre de
séjour, qui lui n’en est pas un)… On les enferme alors dans des centres de
rétention inconnus du grand public en attendant de faire le tri et de les
renvoyer d’où ils sont venus souvent depuis bien longtemps, eux qui voulaient
croire qu’ils finiraient bien par s’intégrer ici puisqu’ils en avaient
tellement bavé ! Voilà le domaine où la machine est rôdée et où on peut
continuer d’afficher pour l’opinion publique des « résultats
probants » : lutte conter la délinquance, expulsions
d’indésirables ! De l’efficacité qu’on est bien en peine de trouver
ailleurs !
Cela même si c’est en contradiction complète avec
d’autres actions engagées par l’Etat de façon beaucoup plus honorable, comme le
titrait l’alerte RESF « De l’Aide Sociale à l’Enfance au CRA ! »
avec le cas d’Ahmed Sohail.
Ahmed Sohail, CRA2, pakistanais, 23 ans. Arrêté le
21/11. 13e jour de rétention.
Nous avions été alertées par
Danielle, qui relayait RESF, sur le cas d’Ahmed.
Nous connaissions donc son
histoire en arrivant, mais une chose est de la lire et une autre de l’entendre
racontée par celui qui l’a vécue.
Nous avons vu arriver un très grand jeune homme
mince, au visage fin et aux yeux clairs. Un grand sourire, apparemment content
de recevoir une visite.
Un dossier vert sous le bras, contenant toute sa vie
en France, commencée à 14 ans le jour de son arrivée à l’aéroport, en 2004, où
le passeur qui l’accompagnait l’a abandonné sur le trottoir, emportant avec lui
son passeport et ses bagages. Il a trouvé un compatriote compatissant, chez qui
il a dormi au chaud 1 ou 2 nuits, mais après il a dû se débrouiller tout seul.
Ses parents, menacés de
mort, avaient préféré envoyer leur fils dans un pays où il aurait des chances
de s’en sortir…
Fébrile, il commence à
sortir des papiers de son dossier pour nous prouver qu’il a bien été placé dans
un foyer au Kremlin-Bicêtre. Nous le rassurons en lui faisant comprendre que
nous n’avons pas besoin de preuves, qu’on le croit sur parole.
Il nous raconte son premier
séjour au foyer : il ne comprenait rien au français, n’avait plus aucun
repère, était devenu la tête à claque au sens propre du terme, de la part
d’autres jeunes, dès qu’ils le croisaient, tiens, une claque !. Il fugue à
plusieurs reprises. De nouveau hébergé quelques temps par un compatriote il se
retrouve encore à la rue, et de lui-même se rend dans un commissariat de
Bobigny pour dire qu’il est seul ici et ne sait pas où aller. Les policiers
l’amènent dans un foyer. Il est finalement pris en charge par l’Aide Sociale à
l’Enfance (ASE), placé 4 mois dans une famille (gentille) en Normandie pour
apprendre le français, puis remis en foyer et il commence enfin à se stabiliser
et à suivre une scolarité, en CAP plomberie. Il tient à nous montrer,
modestement, des bulletins de notes flatteurs, prouvant son désir d’intégration
et un début prometteur.
Il fait une demande de titre
de séjour à sa majorité et obtient en 2008 un titre de séjour étudiant, puis
bénéficie d’un contrat jeune majeur jusqu’à ses 21 ans.
Mais à 21 ans il est de
nouveau livré à lui-même, remonte à Paris pour essayer de trouver du travail,
et trouve un employeur prêt à l’embaucher. La préfecture traîne à lui délivrer
un titre de séjour avec un statut de salarié, malgré le certificat d’embauche
fourni. Il n’aura que des récépissés de 3 mois renouvelables. Au bout d’un an
l’employeur se lasse et renonce à employer Ahmed. La préfecture s’empresse
alors de lui notifier une OQTF en mai 2011. Malgré le signalement de son
changement d’adresse, elle est envoyée à l’ancienne, donc, pas de recours…
Il est arrêté pour un défaut
de titre de transport. Cela pose d’ailleurs une question. Il y aurait-il
collusion entre les contrôleurs RATP et la police ?
Il ne comprend pas pourquoi
il est ici, et il l’a dit au juge : « La France m’a recueilli,
nourri, logé, formé et maintenant vous voulez me renvoyer au Pakistan ? Je
ne comprends pas la logique ». Il nous dit avoir bien compris que la devise
de la France n’est pas valable pour les gens comme lui…
Au Pakistan, plus personne.
Il n’a plus réussi à contacter ses parents depuis 2007. Il ne s’étend pas. Sur
le site de RESF on peut lire que des proches lui ont dit qu’ils auraient été
assassinés. S’il y retourne, il sera mis d’office en prison, et si personne ne
paye pour l’en faire sortir, il y restera et sera le candidat idéal pour
remplir le rôle d’un coupable introuvable.
Nous l’écoutons, abasourdies
par son histoire. La colère monte et donnera le billet d’humeur que Jacqueline,
pleine de rage, proposera d’envoyer au blog Fini de rire, (billet d’humeur que nous reprenons tous à notre compte).
Nous avons sous les yeux
l’incarnation même du migrant sans papiers et donc expulsable, fabriqué par une
machine bien rôdée.
Visite du mardi 11 décembre 2012 par Odile et Jacqueline
Ahmed Sohail au 20e
jour de rétention.
C’est la deuxième
visite de l’Observatoire, son cas a fait l’objet d’une alerte de RESF, nous
avons essayé de faire connaître ses difficultés aux medias, sans succès sauf
auprès des auteurs du blog Fini de rire hébergé par MEDIAPART qui a accepté de
publier notre billet d’humeur. Politis l’a cité aussi dans le blog RESF-Politis
Aujourd'hui, il était plutôt en forme, il semble qu'il joue
un rôle de conciliateur entre les retenus lorsque montent des tensions
liées à la promiscuité et à l’ennui.
Il a des contacts avec l'extérieur, son ancien voisin de
chambre libéré lui voue une grande reconnaissance pour l'avoir soutenu
("Je ne t'oublierai jamais"). Il "protège" les jeunes
entrants dont un Marocain de 19 ans qui était en dérive, à la rue, soumis
à l'influence de "mauvais amis" dépendant de l'alcool, de la
drogue : il lui a prêté son téléphone pour qu'il appelle sa mère au
Maroc (à qui il n'avait pas parlé depuis 5 mois), il est plus calme
maintenant.
Il est même prêt à s'occuper d’un jeune majeur du CRA 1, que nous visitons également et qui nous inquiète beaucoup : arraché à son lycée, à sa famille, il demeure prostré et incapable de parler.
Il est même prêt à s'occuper d’un jeune majeur du CRA 1, que nous visitons également et qui nous inquiète beaucoup : arraché à son lycée, à sa famille, il demeure prostré et incapable de parler.
Ahmed dit qu'il aurait une promesse d'embauche
(entreprise d'électricité où il a travaillé). Il veut compléter son dossier de
régularisation commencé avec une
association juste avant son arrestation. Il nous a demandé de susciter des
témoignages en sa faveur auprès de son ancien Lycée et auprès d’un agent de
l’ASE qui lui avait dit " Si tu as un problème, appelle-nous".
Visite du 21 décembre par Christine et Jacqueline
Ahmed SOHAIL, 30e
jour de rétention
Il
a manifestement retrouvé son calme après les désillusions de son deuxième JLD
(dimanche) : libération annoncée puis suspendue par l’appel du Procureur
dans les 6 heures . Enfin libération annulée par la Cour d’appel le mardi.
Il
a apporté son dossier comme nous l’avions demandé au téléphone, nous avons pu
lire les attendus des jugements successifs. Ahmed a pu s’exprimer à la première
audience, ses paroles sont retranscrites en partie. La première juge a accepté
les deux arguments de l’avocat d’Ahmed : d’une part la retransmission
incomplète (une feuille manquante) d’une ordonnance le concernant, d’autre part
l’insuffisance de preuves apportées par la Préfecture de police sur son action
en vue d’obtenir un laisser passer du Pakistan (pas de trace du passage à
l’ambassade, Ahmed soutenait qu’il n’avait pas vu le consul malgré une attente
de plusieurs heures à laquelle les policiers avaient fini par mettre fin). Le
deuxième juge en appel n’a pas retenu ces arguments : l’ordonnance en
question avait été lue pendant l’audience, par ailleurs des courriers
électroniques et une demande du Préfet
prouvaient que des moyens suffisants avaient été déployés.
Ahmed fait toujours preuve
d’initiative : il a demandé et obtenu de l’ASSFAM l’envoi de tout son
dossier à Dominique Simonnot du Canard enchaîné.
L’ASSFAM semble s’intéresser particulièrement à son cas comme à ceux de
plusieurs jeunes majeurs retenus au CRA récemment.
Il demande des visites pour
prouver qu’il a des appuis à l’extérieur.
Visite du 28 Décembre 2012
Danielle et Agnès
Mr
Ahmed SOHAIL ( 37e jour de rétention) arrive après nous dans la salle. Grand jeune homme de 23 ans, il
apprécie les cigarettes et le portable neuf que nous lui apportons. Il nous
remercie.
Notre échange, très alerte, nous permet de
comprendre qu’Ahmed est très bien informé de sa situation et en a pleinement
conscience. Il attend, dans l’après-midi, une autre visite, celle de Richard,
un ami de Malika. Après cette visite qui doit permettre à Richard de compléter
sa connaissance du dossier d’Ahmed, Richard ira à la Préfecture essayer à
nouveau de faire bouger les choses. Ahmed évoque avec incompréhension la
décision de la Cour d’appel, soulignant les avis contraires émanés de deux
juges, le premier qui lui permettait de sortir du C.R.A., le second qui
ordonnait son expulsion.
Danielle commente les documents de RESF et les
comptes rendus d’articles de Médiapart qu’elle a pris soin d’apporter, et Ahmed
sort de son dossier ce qui lui est déjà parvenu en ce domaine. Ahmed nous dit
qu’il se sait soutenu par de nombreuses personnes et que cela contribue à
maintenir son moral. En effet nous le sentons fort.
Il saura très bien initialiser son nouveau
portable et, l’évocation de ses métiers de plombier et d’électricien ouvre sur
le récit qu’il nous fait de son histoire, parcours étalé sur neuf années ;
Il souligne sa bonne scolarité, nous montre ses bulletins de notes et
appréciations, etc. Une ombre sur son visage quand il avoue ne plus savoir sa
langue : oubli douloureux.
Il sait ce qu’il doit faire pour refuser le
premier vol et à quel moment il doit manifester son refus. Nous le quittons,
lui réaffirmant que Malika nous tiendra au courant du lieu et de l’heure du vol
prévu pour dimanche. Espérons que ne surgira pas d’obstacle inattendu.
Là l'article de Fabrice Tassel dans Libération du 13 avril 2013.
Adama, malien.
- Première visite (22 jours de rétention) :
Adama
est arrivé en France encore mineur pour rejoindre sa famille (père naturalisé
français) et n'a plus aucune famille au Mali.
Plusieurs demandes de régularisations ont été
déposées dans une sous-préfecture, toutes refusées. Salarié dans une entreprise
d’intérim du bâtiment, il a participé à la campagne pour la régularisation des
travailleurs sans papiers organisée par la CGT ; non régularisé malgré l’aide
de son patron, il a dû quitter l’entreprise.
La préfecture lui a délivré une Obligation de
Quitter le Territoire Français (OQTF) contre laquelle il n’a pas pu faire de
recours n’ayant pas reçu le recommandé.
Adama est inscrit pour un premier vol deux
jours après notre visite. Quand il évoque la possibilité d'être renvoyé dans le
pays où il n'a plus personne, on peut voir dans ses yeux incrédulité et panique
à la fois. Nous avons appris plus tard que Adama a refusé ce vol puis un
deuxième 4 jours plus tard. Un premier vol peut être refusé assez facilement,
sans qu'il y ait trop de contrainte policière, mais le refus des expulsions
suivantes est moralement et physiquement très difficile. Ces refus peuvent entrainer
la comparution devant un tribunal correctionnel et la prison.
- Nouvelle visite (33
jours de rétention) et contacts par téléphone :
Visite très brève : son avocat personnel n'a
rien pu faire contre le refus de libération prononcé lors de la deuxième
comparution devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD).
Un troisième vol est prévu le lendemain pour le
Mali ; Adama est très désespéré, ne parle presque pas.
Par téléphone, nous apprenons que Adama, malgré
de fortes contraintes physiques, a pu encore s'opposer à cette expulsion. Son
avocat a déposé une plainte pour violences policières.
- Rencontre avec Adama
:
Ce doit être ce que l'on appelle l'énergie du
désespoir : Adama réussit à refuser un quatrième vol pour le Mali. Sa
rétention dure depuis 38 jours ; la durée maximale légale est de 45 jours.
Mis en prison pour refus d'embarquer, il passe
devant le tribunal correctionnel le lendemain, en présence de toute sa famille :
le juge constate qu’Adama est en France depuis 11 ans, n'a plus aucune famille
au Mali, que son père est naturalisé français… Le juge libère Adama. Il nous
raconte lui-même la fin de ce long cauchemar lorsque nous le rencontrons
quelques semaines plus tard, libre et heureux.