HASSAN L'AFGHAN, VICTIME DU RÈGLEMENT DUBLIN ET DE L'INDIFFÉRENCE DE LA SUÈDE AU SORT DE CEUX QU'ELLE EXPULSE

C’est notre réseau qui nous a avertis du cas de M.B. Il s’agit d’un retenu afghan, qui doit être reconduit en Suède… après-demain.
Pour éviter les attentes de l’après-midi, nous nous présentons donc à 10h et demie ; une dame malienne est là pour rendre visite à son frère. C’est la première visite de Laurent et il a promis d’apporter des cigarettes : il a bien fait les choses et sort de son sac… une cartouche ! Qu’à cela ne tienne, je décide de verser ce pactole à la caisse commune de l’Observatoire, après avoir prélevé la part de notre retenu.
« Vous vendez des cigarettes ? me demande la dame.  J’ai oublié d’en prendre pour mon frère. »Nous lui octroyons donc un paquet.
L’attente est brève ; un policier, sans doute un réserviste, plutôt jovial, expédie la fouille, rapport au respect qu’il doit aux dames que nous sommes. En sortant du local de fouille, je fais une horrible grimace à la dame, qui sourit. Puis, nous sommes tous les trois étreints par l’immense tristesse qui suinte, littéralement, de ce lieu détestable ; nos efforts pour garder une certaine légèreté à l’extérieur sont bien vite balayés par cette sensation d’écrasement et nous avançons péniblement jusqu’au local des visites.


Nous faisons la connaissance d’Hassan (le prénom a été changé), un homme jeune, râblé, dont le clair regard nous surprend. En effet, la situation d’Hassan est plus que difficile. Dans un bon anglais, il nous détaille son parcours. Il est Hazara, ethnie de l’Afghanistan parmi les plus pauvres, sorte de basse caste dans la hiérarchie sociale. Dans le magnifique roman de Khaled Hosseini « Les cerfs-volants de Kaboul », l’intrigue est centrée sur les relations entre Amir, fils d’une riche famille, avec Hassan, son serviteur hazara.
 

« Notre » Hassan, lui, est agriculteur dans la province de Ghazni, à l’est de Kaboul, il a deux frères et deux sœurs. Un jour de 2015, seul dans son champ, il est approché par des talibans qui veulent le contraindre à transporter pour eux de volumineux paquets, qu’ils souhaitent dissimuler sous les légumes qu’Hassan porte au marché : il s’agit en fait d’explosifs. Hassan commence par refuser, les talibans se font menaçants et toujours sans rien dire à son père, il finit par céder. Il est immédiatement chaudement félicité par les talibans (« tu es un homme, un vrai, tu participes au djihad ») et… payé (5000 afghanis soit 60 euros). Arrivé au premier check point, le chargement de légumes commence à être fouillé, Hassan, terrorisé, s’enfuit. Immédiatement, les talibans le poursuivent, investissent sa maison. Hassan se réfugie à la mosquée, où un imam bienveillant l’accueille et l’exfiltre à Kandahar et de là en Iran. Beaucoup d’Afghans vivent en Iran : le dari, langue parlée en particulier par les Hazaras, est proche du parsi. Toutefois, l’oncle d’Hassan, lui-même réfugié en Iran, ne peut l’accueillir. Hassan continue donc sa route : Turquie, passage en Grèce sur un petit bateau ; à cette époque, les frontières terrestres n’existent pas à l’intérieur de l’espace Schengen et Hassan se retrouve en Suède. Il passe un an et demi dans un camp, loin de tout, où il est abrité et nourri certes, mais où sa situation stagne. Il gagne ensuite une ville, où tout est plus facile : il apprend le suédois, perfectionne son anglais ; il ne se sent malgré tout pas toujours bien accueilli par les Suédois. Après 3 ans de séjour en Suède, sa demande d’asile est finalement rejetée et sans trop savoir où aller, Hassan suit ses amis également déboutés et se retrouve à Paris. C’est la stratégie habituelle : la Suède, en effet, n’accorde le statut de réfugié qu’à moins de 40% des Afghans, alors que la France protège 84% des demandeurs d’asile afghans !
 

L’ « accueil » à Paris est plutôt rude : pas d’hébergement, il dort sous la tente porte de la Chapelle ; il cherche un cours de français à proximité, mais on l’envoie à Stalingrad : il cherche et cherche ce fameux « Stalingrad », mais ne le trouve pas. Il ne peut pas bien sûr déposer de demande d’asile en France, puisque sa demande d’asile a été rejetée en Suède…
 

Il est au CRA depuis 36 jours, mais après-demain, il doit être expulsé vers la Suède et c’est son 3e vol. Hassan est parfaitement au courant de ce qui l’attend : il sait qu’il va être attaché, bâillonné avec un casque sophistiqué (il a déjà vu la scène lors d’un précédent vol). Nous le supplions de ne pas prendre de somnifères et de se forcer à manger autre chose que du pain, afin d’avoir plus d’énergie après-demain, il nous avoue avoir perdu 10 kg depuis qu’il est au CRA ! De retour en Suède, Hassan, débouté, risque d’être renvoyé en Afghanistan ; or, il nous apprend qu’il n’y a plus aucune famille. Après son départ, sa famille a quitté le pays et se trouve actuellement en Turquie.
 

Malgré tout, la détermination d’Hassan paraît intacte, cette détermination qui nous bouleverse, alors que nous lui disons au revoir, accompagnés de son clair regard…
Nous continuons à activer nos réseaux : nous lui faisons passer des vêtements chauds, mais surtout nous avertissons le collectif qui tente de s’opposer à Roissy à l’embarquement des étrangers expulsés. Ce collectif se montre d’une incroyable efficacité ! En quelques heures, ils ont appris qu’un second Afghan doit aussi être embarqué pour Stockholm, il parle dari : le collectif met les 2 hommes en contact téléphonique (ils pourront se soutenir l’un l’autre) et leur prodigue une liste de conseils.
 

Le matin du départ, ils sont à Roissy et arrivent à convaincre 2 passagers d’aller voir le commandant de bord pour lui demander de ne pas embarquer les 2 Afghans. Malgré ce dispositif remarquable, les 2 hommes sont embarqués, sans violence, semble-t-il et l’avion décolle.
 

Nous continuons à avoir quelques nouvelles : à l’aéroport de Stockholm, Hassan a été immédiatement arrêté et placé en centre de rétention, il risque clairement le renvoi en Afghanistan. Son compagnon, en revanche est sorti libre de l’aéroport…
 

Concernant le cas de Hassan, nous ne pouvons que constater avec rage le gâchis énorme que provoque le règlement Dublin : voilà 3 ans que Hassan erre en Europe, développant une incroyable énergie pour vivre et s’adapter dans les pays où il tente de se réfugier. Nous ne lui avons offert qu’un bout de trottoir pour dormir, un centre de rétention pour l’abriter et un vol pour le chasser…