VISITE AU NOUVEAU PALAIS DE JUSTICE ET AUDIENCE DU JLD

ACTE 1 : la quête

   
    Voyage rapide depuis Joinville le Pont malgré deux changements. Les lignes de métro et RER n'ont pas encore été prolongées.
Nous hésitons un peu à la sortie du métro. Pas d'affichage très visible.

     Le quartier est encore en plein chantier. Nous longeons des palissades avant de trouver l'entrée du grand bâtiment en verre qui se voit de fort loin : petites entrées de chaque côté...
Première fouille des sacs (personnel très aimable).
Nous entrons et faisons la queue pour la deuxième fouille avec portiques de sécurité.
Accueil à peine correct par des hommes nombreux mais tendus... Aie, aie... je sonne... deux petites pinces à cheveux dans ma poche... Mon sac à main passe au détecteur, repasse en arrière,  re-visionnage (?) et finalement pas de souci...



    Nous arrivons dans un hall immense tout blanc baigné d'une très belle lumière. Peu de monde encore, c'est le début de la journée mais déjà la queue aux deux guichets de l'accueil vers lesquels nous nous dirigeons. Une jeune femme badgée s'approche et nous demande ce que nous souhaitons savoir : le lieu de l'audience du JLD (juge des libertés et de la détention). Elle nous renseigne très aimablement.

    Étant en avance, nous nous offrons un petit café et observons. Ce café nous semble bien petit comparé à la taille de l'endroit et effectivement il reste déjà peu de places assises et avocats et "clients" font la queue pour se faire servir.

    Les queues des guichets de l'accueil sont quasiment résorbées grâce aux deux jeunes femmes qui renseignent les usagers en allant de l'un à l'autre dans le hall.


    Nous montons au 4ème étage. Le bâtiment de verre et blanc est magnifique... Nous sommes frappées par le quasi silence ; les sons semblent amortis...
Sur les murs, des articles de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, de la Constitution Française !!! La prochaine fois, je prends mon appareil photo...

    La salle d'audience est ouverte mais personne. Nous attendons dix minutes, quinze minutes mais rien... Jacqueline se propose de redescendre se renseigner...
     Elle a eu raison ! Car nous ne sommes pas à la bonne salle... Nous attendons au JLD pénal alors qu'il nous faut aller au JLD rétention...




ACTE 2 : le théâtre

    Bien sûr, lorsque nous arrivons, l'audience a déjà commencé. Nous avons dû rater un ou deux jugements concernant les retenus.
A la porte, deux gendarmes debout (sérieux, pro) nous accueillent et nous chuchotent de vérifier le silence de nos téléphones.
    Deux autres personnes assisteront, comme nous, à toute  l'audience (étudiants, association ?).

    Madame la Juge est très loquace, parle haut et fort. Complicité avec la greffière et le "petit jeune" avocat de la préfecture qui n'en peut plus de ses effets de manche.
L'avocat de permanence, plus âgé, va vite se montrer incompétent, inefficace... déprimé (?)

 Et puis quatre retenus, tous jeunes, "encadrés" par deux policiers, jeunes également... Nous reconnaissons, nous en sommes sûres toutes les deux, la jeune femme. Elle nous a déjà accompagnées lors de visites au CRA.
Pendant toute l'audience, ces deux jeunes policiers vont échanger des regards de connivence, des petits sourires moqueurs, voire méprisants, des haussements de sourcils... en machouillant du chewing-gum... Tout sauf professionnel...
Plusieurs fois, nous nous regarderons avec Jacqueline. Leur attitude est insupportable...

Mr K. Guinéen
S'est fait arrêter à la descente de l'autobus gare de Bercy (en provenance du Sud de la France) et embarquer au "SL2I Aubrac" (?) ancien commissariat. Il dit être mineur et né en 2002.
Ce que conteste la juge car il a donné ses empreintes au Consulat de France en Guinée en présentant un passeport avec 1992 comme année de naissance.
L'avocat de la "défense" (!) se désolidarise de son client quant à la minorité et axe sa défense sur le bien-fondé d'arrêter des gens à la descente de l'autocar... Du velours pour l'avocat de la préfecture... qui répond par le "droit" !
De plus, il s'emmêle, ne cite pas les bons articles de lois et se fait tacler vertement par la juge.
Maintien en rétention.


Mr D. Sénégalais
Pas de passeport, pas de domicile, pas de visa...
L'avocat de la défense ne dit rien... reste assis...
Maintien en rétention.

La deuxième avocate de la préfecture est absente... Son collègue l'appelle ! "Elle arrive, elle est au café !"

Mr L (né en 1987) Sénégalais
L'avocate de la préfecture lit sa demande de maintien en rétention sur son téléphone.
Pendant l'intervention de la Juge, les deux avocats de la préfecture (ils sont juste devant nous) vont discuter, rigoler... limite petit chahut...
Maintien en rétention.

Échange de regards avec Jacqueline : nous "hallucinons" devant tant de désinvolture...

Les retenus de Vincennes repartent. D'autres arrivent avec un seul policier.

Il est 11h30 : l'avocat de permanence se retire. Le deuxième avocat est absent. On attend. Elle va arriver...
Pendant 25 minutes, nous assistons à "la discute" entre la JLD, la greffière et l'avocat de la préfecture !!! Ils se moquent de leur collègue qui vient de partir...


11h55 : reprise


Mr L. (né en 1998), Tunisien
A déjà fait 30 jours de rétention.
N'a toujours pas vu le Consul : 1er juin pas d'escorte, 8 et 22 juin refus du retenu.
Maintien en rétention.

Mr H.O (né en 1995) Marocain.
Vit à l'hôtel.
Arrêté le 25 juin pour violences volontaires avec ivresse.
Il est 12h05. Peut faire appel de la décision jusqu' à 17h30.
Pas de passeport.
Mis en rétention 28 jours.


Mr Z (né en 1995) Algérien
Habite Bourg la Reine.
Mis en garde à vue le 22 juin. Y est resté 48h, jusqu'au 24 juin 17h50.
Est arrivé au CRA le 25 à 19h50...

La juge se régale, ainsi que l'avocate qui défend Mr Z... L'avocat de la préfecture argumente, donne des explications, qui de toute façon, ne peuvent expliquer les 24 heures pendant lesquels Mr Z. n'a pas eu ses droits fondamentaux respectés...
"Ben oui, il était là ! On l'a oublié !"
Mr est libéré mais mis en attente au palais car le procureur a 6 heures pour faire appel...
L' OQTF existe toujours.


Mr E.M (1992) Sahara occidental (Maroc)
Pas de domicile.
Placé en rétention le 25 juin à 16h40. Avait reçu une OQTF en Vendée le 23/08/2017.
A produit un récépissé de demande d'asile en Allemagne daté du 17/01/2018, malheureusement quasiment illisible et en allemand.
Mr exprime son inquiétude s'il est renvoyé au Maroc. "Ils vont me tuer".
La JLD dit ne pas pouvoir vérifier si Monsieur a bien été en Allemagne pour faire sa demande... en réponse à l'avocate qui argumente sur la bonne foi de Mr face au danger et la demande d'asile.

    Si, pour tous les retenus, la Juge a été très professionnelle et a, à chaque fois, bien expliqué ses missions, ses décisions et les droits des retenus, elle a été particulièrement déterminée et explicite vis à vis de Mr EM en lui conseillant de faire appel d'une éventuelle décision de la préfecture d'expulsion vers le Maroc pour demander son transfert vers l'Allemagne.
Elle a même "suggéré" à l'avocat de la préfecture  de proposer d'envisager plutôt cette solution.


Fin de l'audience à 13h.
Reprise prévue à 14h... Sans nous... Nous ne pouvons pas rester plus.





3/ ÉPILOGUE



Nous quittons la salle, pleines d'interrogations concernant cette audience... Est-ce toujours comme ça ?

À quoi cela rime ? Tout ce personnel, ce temps, cette énergie, cet argent ...

Nous sommes bien au pays de Kafka.

Malgré tout, nous avons l'impression d'avoir appris, de mieux comprendre...
Et nous avons envie de revenir observer d'autres audiences, d'exercer notre droit citoyen.

    En redescendant, nous passons voir une des jeunes femmes de l'accueil et lui expliquons notre confusion par ignorance entre le JLD pénal et JLD rétention...

Et lui conseillons de voir avec ses collègues à penser à poser la question aux usagers :
 " quel JLD ?"



Brigitte et Jacqueline P.