L'un libre, l'autre pas...
Il y a plusieurs personnes qui patientent dans l’abri et
nous nous enquerrons de leur situation. En fait, il y a là un retenu qui
vient d’être libéré, accompagné d’un ami. Kamel est euphorique : le juge
vient de le libérer, sur appel de son avocat. Il nous fait alors un récit
picaresque de ses aventures, il est doué d’un humour ravageur et se montre
extrêmement drôle, maniant la faconde méditerranéenne dans un excellent
français. Et pour cause ! Kamel est en France depuis 22 ans !
Dans les années 90, quand les conditions d’obtention de la
carte de résident, à laquelle il a droit en tant qu’algérien, se sont durcies,
il a, sur un coup de tête, refusé de se rendre à la préfecture de Bobigny, où
les pratiques humiliantes étaient monnaie courante : il nous parle des
passeports jetés par terre et des remarques du style : « Si tu
n’es pas content, retourne dans ton pays ! »
Mais là, il a eu vraiment chaud et nous lui conseillons de
prendre contact avec des permanences pour renouveler ses papiers. Il attend
d’entrer dans le CRA pour récupérer ses affaires et tout en nous dressant un
portrait hilarant de la méchante JLD (juge des libertés et de la détention), il interpelle les femmes employées de la
GEPSA qui quittent leur travail : chacune vient le féliciter de sa
libération et lui souhaite bonne chance.
La cause de sa libération ? Son avocat, choisi, a
relevé que le PV précisait que Kamel avait refusé un premier vol. Or, si son
nom était bien sur la liste des vols pour Alger, il n’a pas quitté le
Centre : vice de forme, souligné en première instance, non retenu par la
méchante JLD, d’où appel et nouveau jugement, cassant le précédent. L’avocat a
bien travaillé, en particulier en termes de délai : c’était le
week-end !
Il se plaint à juste titre des conditions de vie au
CRA1 : une seule douche en état de marche et ils sont plus de 50 !
« Mais vous n’êtes pas en cage, au CRA1 », lui dis-je
perfidement. « Certes, me répond-il du tac au tac, ceux des blocs 2
et 3 sont des oiseaux, mais nous, au CRA1, nous sommes des poissons, qui tournons
dans un aquarium ! » Comme le CRA est surpeuplé, Kamel précise avec
une
dignité feinte: « Je n’allais quand même pas louer ma
place à d’autres ! On lui a mis un matelas par
terre ! » Ses rapports avec les policiers sont
bons : « Certains pourraient être mes potes ! »,
précise-t-il.
Puis il nous interroge sur notre présence : bien sûr,
il connaît le retenu que nous allons voir ! Il lui a remonté le moral
depuis son arrivée au CRA et lui a prêté son téléphone. Mais qui ne connaît-il
pas ?
Adriano, Angolais, J+12
C’est donc assez gaiement que nous abordons Adriano, un
Angolais au visage marqué par une vie probablement très dure. Dès que nous lui
parlons de Kamel, il sourit, puis rit franchement. Ce boute en train a dû
beaucoup l’amuser !
Adriano, qui parle un excellent français, est en France depuis 1989, arrivé par
avion et en prenant un visa de tourisme à Roissy. Il n’est retourné au pays
qu’une seule fois, en 1995. Il lui reste un seul frère. Il nous trace
rapidement une carte de l’Afrique sur la table, pour y situer l’Angola et nous
explique la porosité des frontières avec les Etats voisins : les 2 Congos
au nord en particulier, où les gens passent tous les jours pour faire leur
marché. Il parle avec beaucoup de précision de la guerre civile qui a ravagé
son pays pendant 27 ans, de 1975 à 2002 et du dictateur qui s’est maintenu au
pouvoir pendant 27 ans. « Pourtant, il avait l’exemple de Mandela qui
s’est retiré, dit-il doucement. » Malgré cela, il n’a pas pu obtenir le
statut de réfugié, il est coiffeur pour hommes et travaille - au noir- dans un
salon. Il a été arrêté à la porte de Montreuil. En 2006,
lorsque son diabète a été diagnostiqué, il nous dit avoir été assigné à
résidence. Cette fois, il est au CRA car il n’a plus de passeport.
Adriano est
diabétique, pourtant le médecin du CRA a considéré son état compatible avec la
rétention (!) ; ce matin, il ne s’est pas réveillé et n’a pas pu
prendre son traitement, il doit le prendre impérativement à 15h et regarde sa
montre avec anxiété.
Adriano est assez isolé : il a un seul cousin dans la
région parisienne qui est venu le voir et quelques amis, mais ajoute-t-il avec
dignité, « Je n’aime pas la communauté (angolaise) » qu’il estime
pourtant être importante à Paris.
Au CRA, il y a bien sûr des tensions, mais pas de bagarres.
Il émane de cet homme une impression de douceur, de dignité et, inévitablement, de profonde mélancolie. Nous quittons le CRA, attristées, une fois de plus, devant le destin de cet homme, qui, au milieu de sa vie, se voit confronté à l’épreuve
supplémentaire de la rétention.