Jeunesse en rétention

A., la trentaine, se présente avec le sourire, il remercie d’emblée pour la visite car il a déjà passé 39 jours en rétention sans aucune visite, n’ayant pas d’amis proches sur place.
C’est dur ? lui demande-t-on. Oui, c’est dur : « ceux qui en ont l’expérience disent que le CRA, c’est plus dur que la prison, « il n’y a pas de respect » de la part des policiers. Dans les repas, « on ne peut pas manger le plat car la viande n’est pas hallal ». Et puis il y a la peur de l’annonce des vols pour l’expulsion… Il nous parle avec émotion d’un retenu tunisien qui après un premier vol refusé, a entamé une grève de la faim depuis 4 jours car il ne veut absolument pas retourner dans le pays qu’il a quitté. Lui-même a vu un consul qui ne l’a pas reconnu comme ressortissant de son pays.

Il nous donnera quelques éléments de son choix de mobilité : manque d’emplois dans son pays, troubles politiques qui ont aggravé la situation économique, espoir d’une vie à l’occidentale… Mais aussi des risques encourus : il a rejoint difficilement l’Italie en bateau car la tempête s’est levée après le départ, les policiers italiens ont dit au groupe qu’il avait eu de la chance car un autre bateau repéré avait  sombré en mer ce jour-là… « C’est la vie… ».
Il parle de jeunes d’un quartier d’une ville qui ont tous disparu comme cela. Ces malheureux font partie des 20 000 à 25 000 morts recensés depuis 1990 en Méditerranée qui ont échoué à pénétrer dans la forteresse Europe.

Il est arrivé en 2011 en France, il survit en travaillant dans des conditions précaires dans le bâtiment, à la merci d’employeurs peu scrupuleux, comme celui qui l’a fait travailler pendant un mois et ne l’a pas payé, lui donnant, une fois de temps en temps, quand il réclamait son dû un billet de 20 euros… Pour finir par le renvoyer en lui disant « Toi, je ne te connais pas ! »
A qui se plaindre quand on n’a pas de papiers, pas de logement (Il a vécu dans un squat où il a été toléré), pas d’amis ? 

Il ne sait pas ce qu’il va devenir à la sortie du CRA mais il va tâcher d’éviter Belleville, Barbès, l’abord des mosquées, les gares où les contrôles au faciès sont systématiques. Mais il dit que les arrestations sur les chantiers se multiplient également.

Visite effectuée par Jacqueline et Christine







Odile et Yveline

Ce matin, nous recevons un appel de Jacqueline : un retenu déjà visité nous parle de son voisin de chambre, en attente d’un second vol, en grève de la faim depuis 6 jours.
Peu de visiteurs aujourd’hui, nous pénétrons sans attendre dans le CRA, accompagné d’un policier à l’allure juvénile ; nous échangeons sur la météo, puis sur l’occupation des locaux par l’Ecole de Police. Comme nous nous en doutions, la formation initiale n’a plus lieu ici ; seuls des stages de formation continue y  sont organisés. Notre « guide » lui a été formé à Oissel, il y a un autre centre à Nîmes.



F., tunisien, J+30

Au parloir, nous trouvons F., jeune Tunisien de 29 ans, arrivé en France depuis 2011. Il y a de la famille : son oncle, son frère, sa sœur, tous régularisés. C’est pour cela qu’il n’est pas resté en Italie, où il a d’abord débarqué.
Au pays, il a suivi une vraie formation de cuisinier : école, apprentissage et travail dans les grands clubs de vacances à Djerba et Zarzis. En France, il a fait tous les petits boulots habituels (marchés et bâtiments) tout en recherchant du travail dans la restauration ; c’est du reste en allant demander du travail dans un restaurant proche de la gare de l’Est qu’il a été arrêté.
Il ne comprend absolument pas ce qui lui arrive (il ne parle pas très bien français) et donne foi à toutes les rumeurs : les vrais voleurs sont rapidement libérés, alors que lui va rester 45 jours. À Bobigny, on reste maximum 25 jours, alors qu’ici c’est 45 jours. Bien sûr, l’ASSFAM n’a rien fait etc.

Il n’est absolument pas agressif, le pauvre n’en a du reste pas la force : il ne mange plus depuis 6 jours, il  a perdu 6 kg : il paraît en effet amaigri et fatigué. Nous l’interrogeons sur les raisons de cette grève de la faim et les raisons qu’il nous donne sont diverses : soit la nourriture est mauvaise, toujours servie le jour de la date limite, avec de la viande non halal, soit il espère être assez affaibli pour aller à l’hôpital et échapper ainsi à un second vol. Il a vu le médecin qui lui a pris la tension et fait un test sanguin.
Il a rencontré le consul de Tunisie, auquel il n’a pas parlé mais qui l’a reconnu et a délivré un  laissez-passer qui n'est plus valable à ce jour. Il espère que le second laissez-passer ne sera pas établi à temps, il doit être libéré dans 12 jours.
F. est très angoissé par l’éventualité d’un retour forcé au pays, car il risque d’être embarqué dès son arrivée à l’aéroport et mis en prison : nous ne saurons pas pour quelles raisons.
Nous l’encourageons de notre mieux et arrivons à le faire rire en évoquant le coucous monstre qu’il préparera pour fêter sa libération. Mais son regard se voile très vite et il me demande de ne pas évoquer ce plat ; je m’excuse de ma maladresse et à son tour, il m’assure qu’il plaisante : je n’en suis pas sûre du tout…
Encore une fois, voici un homme jeune, arrivé en France déjà formé dans un métier en perpétuelle tension, enfermé malgré des attaches évidentes en France… Une absurdité de plus, hélas !


Guy s’est rendu au CRA quelques jours plus tard pour rendre visite à F., qui selon son voisin de chambre, va très mal.
F. n’est plus au CRA…