Octobre, le CRA des cœurs brisés.


Etrange visite, qui n’en est pas une. Aujourd’hui, nous n’entrerons pas dans le CRA, car après 3 heures et demie d’attente, nous avons renoncé. Dès 13h, à « l’accueil » ( guichet sonorisé et barres de fer à la porte), on nous annonce, une fois de plus, la présence d’un consul, ce qui va retarder l’heure des visites. Une famille (3 personnes, un couple âgé et une jeune femme) est toutefois admise, car nous dit la policière, un vol aura lieu cet après-midi.


Cette famille est donc autorisée, à titre exceptionnel, à venir embrasser le retenu et à lui parler quelques minutes ; en fait nous les verrons ressortir une bonne demi-heure plus tard. Je ne suis pas superstitieuse, mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir un mauvais présage et je regarde tristement cette famille accablée qui s’éloigne.

Résignées, nous patientons en bavardant avec les « habituées » : la jeune femme portugaise, qui vient tous les jours de Puteaux et l’étonnante dame en rose de l’autre jour, cette fois entièrement vêtue de tissus façon « panthère ». Son visage est plus reposé : elle est partie une semaine en vacance avec ses 2 filles et elle nous raconte, inlassablement, qu’on l’a forcée à monter à cheval, qu’elle mourait de peur et qu’elle s’est retrouvée à côté de la selle. Par ailleurs, elle se tourmente pour son futur mariage avec le retenu qu’elle vient voir : un beau gaillard, qui est sorti, malgré son interdiction, et qui du coup, a été interpellé Gare du Nord. Ce projet de mariage est compliqué : elle a déjà été interrogée à la Mairie et maintenant, son compagnon est convoqué au commissariat : comment retirer la lettre recommandée, puisqu’il est en rétention ?

Le temps passe et l’espace d’attente devant le CRA se remplit peu à peu de visiteurs plus ou moins désemparés : un jeune homme, qui a ses papiers portugais, vient voir son frère, deux jeune Asiatiques rendent visite à un ami, une jeune femme, d’une effrayante maigreur, baisse tristement la tête. Et puis, chose surprenante, il y a aussi « des Blancs », comme nous ! Une dame, qui s’occupe des mineurs isolés étrangers, vient rendre visite à un jeune majeur qu’elle a suivi, un monsieur vient au secours d’un ami musicien : il va l’aider à rassembler les preuves de séjour et payer l’avocat : 500 euros par audience, il trouve la facture lourde, mais il n’a pas le choix.

Et puis, de nombreuses jeunes femmes, très jeunes et très tristes qui viennent voir leur mari, leur compagnon, leur copain. Leur jeunesse (et leur amour) dégagent une grande énergie, mais la tristesse de leur cœur déjà brisé par les aléas de leur vie à ses débuts est bouleversante.

Pourquoi cet arsenal de lois iniques s’acharne-t-il à séparer ceux qui s’aiment et qui sont, qu’on le veuille ou non, l’avenir de notre pays ?

Courage, mes petites sœurs, petites mains invisibles qui tissez, fil à fil, trop souvent dans la peine et l’adversité, la société plurielle, couleur d’arc en ciel, couleur d’espérance, qui, grâce à vous, est en train d’advenir !