Les visites de novembre 2012
Les visites continuent, les conditions semblent s'améliorer...
(Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.)
Colette et Danielle
Quand même, il y a comme un petit vent nouveau : pour la deuxième fois consécutive, les policiers ont un comportement correct, nous dirons même "facilitateur": deux visiteurs sont emmenés pour leurs visites respectives alors que nous ne sommes pas encore inscrites ; nous pensons donc avoir une bonne demi-heure d'attente, pour papoter et refaire le monde. Pas du tout. Très vite, un jeune policier, souriant, vient nous chercher, nous emmène, sans passer par la case "poêle à frire", nous installe sur une troisième table, au fond de la salle.
Et pour notre deuxième visite, à peine inscrite à la guérite, nous repartons vers la salle rencontrer l'autre retenu…
En ce moment, les policiers sont souvent jeunes, sans galons sur les épaulettes : une nouvelle promotion plus sympa ? de nouvelles instructions ? ou un peu de compassion pour ne pas faire attendre dans le froid ces dames qui semblent un peu vieilles et fatiguées ?
Mais, si c'est un vent nouveau, la suite a montré que juges et préfectures y sont encore insensibles.
(Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.)
Omar (CRA2), Marocain, contact cabine. 24 jours de rétention.
Jeune homme de 29 ans, en France depuis 2003, avec ses parents, un frère et une sœur, tous titulaires d'une carte de 10 ans.
Lui-même était titulaire d'une carte de séjour 1 an valable jusqu'au 4 octobre; il avait fait sa demande de renouvellement à la préfecture et était, dit-il, en possession de son récépissé au moment de son arrestation.
Garde à vue de 12-14h avant d'être amené au CRA. Interdiction de territoire français (ITF) de 3 ans en raison, nous apprendra plus tard l'ASSFAM, d'une peine pénale antérieure lourde. La double peine ne s'applique donc pas qu'à la sortie de la prison…
L'ASSFAM a commencé des démarches pour faire appel de cette ITF (délai de 10 jours pour l'appel) mais le retenu n'aurait pas poursuivi la procédure. Le retenu lui se plaint de l'attitude de l'ASSFAM qui n'aurait rien fait, nous dit-il ; c'est un policier qui a faxé sa carte CRA à la préfecture pour expliquer que le retenu ne pouvait pas se rendre à sa convocation en raison de sa rétention.
Le premier JLD s'est mal passé, avec un avocat nommé d'office qui n'a rien dit et un juge qui a à peine levé les yeux pour dire "20 jours". Rencontre "muette" avec le consul et pas d'inscription sur un vol jusqu'à aujourd'hui.
Omar se plaint longuement de la nourriture vraiment immangeable ; il s'exprime très bien, ne prend pas de médicaments, se préoccupe de la situation d'autres retenus, comme celle d'un monsieur tchétchène dont nous parlerons en fin de compte rendu.
Mohamed (CRA2), Tunisien, contact cabine, 13 jours de rétention.
Le jour et la nuit : les deux retenus ne pouvaient pas être plus dissemblables. Mohamed a du mal à garder les yeux ouverts, caché sous sa capuche qui lui recouvre la tête jusqu'aux yeux. Perdu, stressé, les médicaments (dont du Rivotril) n'arrivent manifestement pas à l'apaiser, juste à l'abrutir. Il est au CRA depuis 13 jours.
Jeune homme qui a déjà fait 45 jours de rétention au CRA 3 il y a trois mois. À nouveau arrêté Gare de l'Est, 11h de garde à vue contre lesquelles l'avocat, bien que nommé d'office, se battra au 1er JLD, sans succès. Le juge devrait réviser, depuis Juillet le contrôle d'identité ne peut plus excéder 4 h. En attendant les 16 h…
En France depuis 4 ans, après la Lybie, la peur dans le bateau, l'Italie où le retenu restera deux ans. Plus aucune famille, en Tunisie ou en France, travail non déclaré sur des marchés de temps en temps, ou dans le bâtiment.
Nous sommes hypnotisées par sa détresse palpable, nous écrivons à peine, comme si la profondeur de notre écoute pourrait lui enlever un peu de ce carcan. Mohamed nous dit qu'il n'y a rien à faire, rien, même pas un ballon en ce moment dans le CRA, et cette nourriture si mauvaise…
E. I. est le retenu évoqué par Omar et pour lequel nous avons téléphoné à l'ASSFAM : Monsieur Tchetchène, au CRA depuis environ 23 jours, marié religieusement avec une femme tchétchène maman d'enfants de 12 et 14 ans scolarisés dans le 18e ; Ce retenu a été violemment maîtrisé au cours du refus de son 2e vol vers la Pologne et porte de nombreuses traces de ces maltraitances. Une plainte a été déposée auprès de l'ASSFAM.
Le retenu parle peu le français mais bien le russe ; RESF est au courant de sa situation. La Cour Européenne des Droits de L'Homme a été saisie mais sans succès. Nous avons alerté S. B., qui gère souvent les cas graves et urgents, et qui va établir un contact avec une copine parlant russe.
Jacqueline et Lucette
Attitude coopérative des policiers : plaisanterie à l’accueil, familiarité et échanges avec la policière qui nous contrôle et nous amène au parloir (Elle nous a confié que les postes du CRA sont peu recherchés, ils sont confiés à des jeunes policiers fraîchement sortis de formation, les effectifs sont limités du fait de la baisse des postes mis au concours).
Un certain désordre dans les visites a même été sensible, dans le but de faciliter les choses….
Une journée faste qui a bénéficié à Lucette dont c’était la première visite au CRA
Youssef, « palestinien », 28 ans, 27e jour de rétention, CRA 2.
Cas particulier : Youssef utilise une identité d’emprunt (« Palestinien ») car à 22 ans, il a déserté l’armée tunisienne dans laquelle il s’était engagé, suite à des persécutions de son commandant. Après avoir marché deux heures dans le désert, il a été ramassé par l’armée libyenne, il a séjourné un an dans un centre d’internement libyen puis est passé clandestinement en Italie en payant 2000 euros à un passeur.
Il vit depuis presque 5 ans en France où de son propre aveu, il a eu de mauvaises fréquentations. Il a d’ailleurs été arrêté lors d’une bagarre entre des amis français qui avaient bu. La vérification d’identité l’a conduit au CRA pour la troisième fois.
Il a vu diverses autorités consulaires. Celle de Tunisie lui aurait expliqué qu’après 5 ans il y aurait prescription, il espère obtenir un nouveau passeport après février 2013.
Il a travaillé dans la boulangerie, le bâtiment, les marchés. Nous lui avons recommandé de bien garder les preuves de son séjour en France et de s’adresser à une permanence juridique figurant sur la liste remise ce jour là.
Il a mauvaise réputation au CRA, un policier a soupiré à l’énoncé de son nom : pourquoi ? il a répondu « Il insulte nos mères »… Le retenu dit que ce policier fait partie de 2 ou 3 qui « cherchent » les retenus.
Youssef nous apparaît comme une personnalité instable qui peut tout aussi bien vous inviter à aller au restaurant à sa sortie et vous manifester qu’il a envie de partir avant la fin de la visite… Bavarde jusqu’à 4h du matin, se lève à midi et prend des somnifères pour dormir… Il semble mal accepter les règles.
Il n’a que sa mère en Tunisie, il dit ne pas lui avoir téléphoné depuis longtemps.
La nourriture n’est pas bonne, « il ne mange que du poisson »
Gérard et Danielle
Une seule visite pour aujourd'hui, la première pour Gérard, fidèle du Cercle de Silence depuis sa création, et soucieux de venir épauler notre petit groupe à la suite des lectures de témoignages de nos visites. Une longue attente qui permet de montrer et d'expliquer un certain nombre de documents et le déroulement des visites.
Des conditions de visite "normales", sans qu'un policier ne soit trop près de nous ou n'intervienne au cours de l'entretien.
Un retenu qui ne lit pas le français mais qui, sans interprète, a dû signer un document présenté par la police avant d'être menotté et emmené au CRA : comportement tout à fait irrégulier que n'a pas relevé le JLD… Nous n'avons pas encore pu joindre l'ASSFAM pour avoir quelques explications supplémentaires.
Abdoulaye (CRA3), ivoirien, contact cabine, 10 jours de rétention.
Jeune homme arrivé par avion en France au mois de mai 2012, fuyant les conséquences de la victoire d'Alassane Ouattara aux dernières élections.
Abdoulaye raconte fébrilement les derniers mois dans son pays : il a soutenu le camp de Laurent Ghagbo, pour des raisons économiques et non politiques, recruté pour aider à l'organisation des meetings. Après la défaite du président Ghagbo, il a rejoint le camp d'Alassane Ouattara ; il a été considéré comme un traître et est passé d'une ville à l'autre, caché par un ami qui l'a aidé à faire les papiers nécessaires à un départ pour la France dont il connaissait la langue. Il est arrivé par avion avec un visa de tourisme.
A son arrivée, il a passé deux jours dehors, s'est fait voler ses papiers, avant de retrouver un oncle qui l'a hébergé pour quelques temps.
Il a ensuite voulu partir en Angleterre où il a de la famille et des amis. Arrêté près de Calais en, il est conduit au centre de rétention de Calais avec une OQTF. L'ASSFAM fait une demande d'asile politique transmise à l'OFPRA.
Après sa libération, Abdoulaye revient sur Paris et prend contact avec l'OFPRA. Le retenu n'a semble t-il pas d'adresse où être contacté ; il n'arrive pas à avoir de réponse de l'OFPRA ni de récépissé… Mais son récit est assez confus sur cette période.
Il est arrêté de nouveau début novembre à Château Rouge ; il reste quelques heures au commissariat, sans avocat. Il nous dit que les policiers lui conseillent d'aller au CRA pour être aidé pour sa demande d'asile, ce qu'il accepte. C'est alors qu'on lui fait signer un document français qu'il est incapable de lire, qu'on le menotte et l'emmène au CRA de Vincennes où il est depuis 10 jours.
Le tribunal administratif n'a pas annulé l'OQTF et le premier JLD a donné vingt jours de plus ; la veille de notre visite, Abdoulaye a appris que sa demande d'asile politique était refusée.
Avant de le quitter, nous essayons de lui expliquer qu'il a besoin de témoignages d'amis ivoiriens si il veut faire une nouvelle demande. Il est extrêmement seul et très désorienté par ce refus, il avait mis tous ses espoirs dans ce statut de réfugié.
Gérard et Elisabeth
Une seule visite, la deuxième étant annulée puisque le retenu se trouve chez le juge...
Des conditions de visite "normales", sans qu'un policier ne soit trop près de nous ou n'intervienne au cours de l'entretien.
Aziz (CRA2), marocain, 24 ans, contact cabine. 11 jours de rétention.
En France depuis 2004 : mineur à l’époque, arrive en voiture par Gibraltar, avec un réseau de passeurs (coût 1000€).
Travail : a un diplôme marocain de mécanique agricole en poche. Travaille à Fécamp chez un patron boulanger, 300 €/mois (logé, nourri), avec promesse carte de séjour. Au bout de 5 ans, il s’enfuit, travaille un an en Picardie, puis arrive à Paris en 2010.
Il achète de faux papiers (1000€) pour travailler officiellement (Parc des Expositions, Porte de Versailles, Villepinte), dit bien gagner sa vie.
Santé : ras (ancien petit consommateur de cannabis).
Reçoit un OQTF en 2011 mais ne bouge pas.
Altercation dans un bar à Châtelet… contrôle de police… CRA .
Arrêté début novembre, il n’a pas prévenu son employeur…
Passe devant le JLD : 20 jours
Doit passer devant l’ambassadeur du Maroc.
Semble avoir un bon réseau de relations, pas de problème d’argent.
Conditions de la rétention :
- en cellule avec un brésilien, ras.
- a vu une tentative de suicide (par pendaison)
- a vu un Egyptien (ne parlant pas français) faire une crise, être mis 2 jours en détention.
- juge que les retenus sont tous shootés par les médicaments : il n’en prend pas.
En fin d’entretien, nous concluons qu’il est un homme courageux, avec plusieurs cordes à son arc. Peut-il imaginer redémarrer au Maroc… impossible !
Ne l’envisage absolument pas, il dit être complètement immergé dans la société de consommation occidentale ! Prêt à tout pour ne pas être expulsé :
- s’engager dans la Légion
- contracter un mariage blanc (5000€) !
Jacqueline
Je n’ai pu voir le retenu prévu: « il été libéré » m’a-t-on dit.
J’ai alors demandé deux autres noms (J’avais parlé à ces personnes au téléphone dimanche mais je m’étais aperçue qu’ils avaient déjà été visités récemment) ? Un policier a été cherché Omar.
Omar, marocain de 29 ans, au 42e jour de rétention au CRA 2.
Il a été visité par Danielle et Colette au début du mois : je ne l’ai donc pas interrogé sur les conditions de son arrestation. Il était difficile de comprendre le non-renouvellement de sa carte de séjour alors qu’il avait toute sa famille ici, qu’il « travaillait » (mais il ne pouvait pas dire où il avait travaillé) et qu’il est en France depuis 10 ans.
Condamné pénalement, frappé d’une ITF de 3 ans (Double peine pour un étranger), il ne pouvait sortir du CRA que pour être expulsé. Au cours de ses 42 jours de rétention, il dit avoir refusé 3 vols, il m’a expliqué en montrant des pansements qu’il s’était tailladé les bras. Mais la dernière fois, il a été « ficelé », 5 policiers l’ont contraint à monter dans l’avion pour le Maroc, mais il s’est débattu, n’a cessé de hurler ; deux passagères ont pris sa défense « Vous voyez bien qu’il ne veut pas aller au Maroc, que sa famille est ici…. » Devant les désordres, le Commandant de bord a refusé de l’emmener. Il a été ramené au CRA. Aujourd’hui il attendait la visite d’un avocat.
Il est très remonté sur les conditions de vie au CRA dont il veut témoigner publiquement.
La nourriture est «dangereuse », « dégoûtante » (« le riz n’est même pas cuit », des incidents se multiplient comme ce détenu qui balance son plat sur le mur ou des groupes qui protestent régulièrement surtout pour le repas du soir : des plateaux entiers vont à la poubelle). Certains ne mangent que le pain et les yaourts
En sortant j’ai interrogé une policière : a-t-elle goûté la nourriture ? « Non, on apporte nos plats. Nous, nous ne sommes pas nourris ». D’après elle, c’est le même type de repas qu’à l’hôpital. La viande serait halal mais « certains ne veulent pas y croire ».
Manuel Valls aurait visité le CRA la semaine derrière (Après l’évasion de 7 retenus ?). Il n’a interrogé personne au CRA2. Ce jour-là le ménage avait été soigneusement fait, l’ordre et le calme régnaient….
Toujours la même affluence : le CRA 2 est pratiquement plein, une seule chambre est fermée.
Certaines personnes n’ont reçu aucune visite, certains ne parlent pas du tout français. Je lui ai demandé de nous donner des noms de personnes très isolées : je vais l’appeler ce soir pour cela et aussi pour savoir si un vol le concernant n’est pas annoncé.
Colette et Danielle
Beaucoup de monde peu à peu devant le CRA au fur et à mesure de notre attente, dont deux mamans avec de jeunes enfants en poussette, et même très jeune pour l'une, trois mois, et 5-6°C devant ce CRA. Et nous bavardons beaucoup, partageons les interrogations et les "coups de gueule" ; mais aussi rappelons quelques évidences, comme renouveler à temps un titre de séjour. Quelques mots échangés sur les nouvelles directives, occasion de redire qu'il faudrait qu'une partie au moins du travail soit déclarée, que l'arbitraire des préfets sera seul juge de l'application des nouvelles règles ; ils savent, les frères et amis des retenus, ils savent que cette France-là n'est pas encore celle du respect de l'Autre ; mais "ils n'ont pas le choix", décidément cette expression revient souvent dans les propos des sans-papiers.
Walid (CRA2) Algérien, contact cabine, 16 jours de rétention.
Ce monsieur de 38 ans est en France depuis bientôt 14 ans et a toujours travaillé sans être déclaré (marchés, bâtiment, sécurité); "on n'a pas le choix" nous dit-il… Il a une compagne et est sans enfant. Il parle très bien français et est très calme.
Sa mère et trois de ses frères sont en Algérie, un autre frère est en France, marié avec une jeune femme française, ainsi qu'une tante également française.
Il a été arrêté à la suite d'un banal contrôle routier, n'ayant qu'un permis de conduire algérien et un visa "tourisme" de 1999 (photocopie du passeport). 24 h en garde à vue dans de bonnes conditions, l'officier de police lui disant : "vous n'avez rien à faire dans ce commissariat" et lui offrant des cigarettes ! Un avocat nommé d'office lors de la garde à vue, spécialiste des mariages, divorces et vie familiale ; au moins il a eu l'honnêteté de reconnaître sa totale incompétence en droit des étrangers…
Son avocat personnel n'a pas pu faire enlever l'OQTF, ni empêcher les "vingt jours" du JLD. Surprise lors de cette audition : un premier vol était déjà inscrit dans le dossier, avant même que le JLD n'ait rendu sa décision ; après ça, impossible de se plaindre de la lenteur de la justice. Le deuxième JLD est prévu le lendemain du vol… Rien dit au consul.
Et les aberrations, graves, s'accumulent : visite chez le médecin dès le jour d'arrivée au CRA pour une sérieuse infection dentaire : 3 comprimés d'Augmentin pour la journée, puis plus rien, et seulement un nouveau comprimé par un autre médecin présent au JLD 5 jours plus tard ; d'habitude, les antibiotiques sont donnés pendant au moins cinq jours consécutifs.
La nourriture est qualifiée de "très mauvaise"; les policiers certains corrects, d'autres méprisants, riant du retenu parce qu'il ne mange pas de viande.
Les médicaments, "oui, certains en prennent ; oui, certains ont des substitutifs à la drogue" ; et un mot inhabituel dans la bouche d'un retenu : "désarroi", désarroi de tous face à ce qui leur arrive, désarroi qui rejoint celui des familles et amis devant le CRA.
Yassin, Tunisien, 37 jours de rétention et Youssef, Palestinien, CRA2, contact cabine
C'est une première pour nous : Youssef, déjà visité, qui sort à la fin du mois et a retrouvé le moral, propose au téléphone que nous rencontrions son copain Yassin, qui comprend et parle peu français mais Youssef traduira, dit-il.
Yassin est en France depuis deux ans ; il est très isolé et vit dans un squatt à Aubervilliers car il n'a aucun contact avec un frère et une tante vivant à Paris. Travaille sur un marché d'Aubervilliers, 3 jours par semaine.
Il est venu en bateau, 3 jours depuis Djerba jusqu'en Italie. Voyage pas trop cher (450€) parce qu'il connaissait le propriétaire du bateau, originaire du même endroit que lui. Mais voyage dangereux, 50% des migrants seraient noyés ; peut-être, comment savoir ? Une certitude, la peur, l'angoisse pour beaucoup d'entre eux, mais pas lui, il a dormi, confiant.
Il a été arrêté à La Villette, à la suite d'une bagarre à laquelle il ne participait pas ; mais la police a emmené tout le monde au poste. Garde à vue de 48 h, avec avocat et interprète, le temps que les policiers comprennent qu'il n'était pas impliqué dans cette bagarre. Et puis le CRA.
Pas de vol prévu ; Youssef nous dit qu'en ce moment, le consul tunisien ne délivre plus de laissez-passer. Et d'ailleurs, il n'a rien dit au consul, rien, parce que, "dès que l'on parle, le consul sait de quel village on vient". Les parents sont toujours en Tunisie mais il n'envisage pas de repartir, "c'est trop dur pour les salaires là-bas".
Il nous raconte ensuite les mutilations, le jeune homme qui a réussi à refuser son troisième vol malgré menaces, menottes et scotch, grâce à ses cris et au commandant de bord qui ne voulait pas partir dans de telles conditions… peut-être le jeune homme rencontré par Jacqueline il y a quelques jours, en tout cas celui dont nous ont parlé sa mère et sa belle sœur devant le CRA ; le même, un autre ?
Il raconte aussi les médicaments pour dormir, le subutex donné aux retenus de l'Est, habitués de drogues dures, le subutex que les Algériens rachètent et consomment pour oublier le CRA.