visites du mois de septembre 2012
Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.
Visite 1
Colette et Guy
Le premier des deux retenus que nous avons vus avait été signalé à Danielle et Elisabeth par sa mère à la sortie du CRA. Pour le second , « pote » de Hichem (vu en août) selon son expression, il a demandé le matin même à nous rencontrer.
Omar (CRA1) tunisien, contact direct. 26 jours de rétention.
Jeune de 22 ans, arrivé en France il y a 6 ou 7 ans après le décès de sa grand-mère à qui il avait été confié.
Ses parents étaient déjà en France. Ils ont des titres de séjours. Il a quatre frères plus jeunes, nés en France et français. Il vit chez ses parents et travaille au noir avec ses frères.
Arrêté lors d’un contrôle dans le 92, avec de faux papiers italiens. N’a pas donné sa vraie identité depuis, bien que la police le connaisse.
Avait déjà fait un séjour au CRA de Vincennes en janvier dernier, et avait, par l’intermédiaire de son avocat, fait une demande de papiers en février (refusée car n’avait pas été scolarisé en France).
A refusé de voir le consulat de Tunisie.
Passé au JLD la veille. Décision : prolongation de 20 jours ; identité impossible à vérifier. CRA jusqu’à fin septembre.
A de nombreuses preuves de sa présence en France depuis 2005.
Doit, à sa sortie, contacter son avocat pour constituer un dossier de régularisation.
Étant donné l'âge auquel il est arrivé en France, étant donné le fait que ses parents et ses frères y résident depuis longtemps, et qu'il n'a plus de famille en Tunisie, ce jeune devrait déjà être régularisé.
Yassine (CRA1) tunisien, 24 jours de rétention.
Est au CRA depuis 24 jours après 8 mois de prison suite à un vol de scooter. Il a une interdiction de territoire de 3 ans. Sa famille est en Tunisie, mais ne veut pas y retourner ; il y risquerait sa vie suite à de graves problèmes dont il ne veut pas nous parler.
A pris pas mal de médicaments au CRA, mais a arrêté suite à une chute. Il y a deux jours, il s’est mutilé en se faisant 4 ou 5 coupures sur le haut du bras gauche.
N’arrive pas à manger ; il ne prend que les desserts. Pense être libéré après les 25 ou 45 jours et partir en Suisse pour demander l’asile.
Me semble être au bout du rouleau après ces 9 mois d’enfermements consécutifs.
Visite 2
Jacqueline
J’ai très peu attendu. Un seul policier pour l’accompagnement, le retenu était déjà dans le parloir quand je suis arrivée. Présents deux jeunes policiers très coopératifs.
Khaled, CRA 1, nationalité ? 20e jour de rétention.
Le retenu insiste sur sa garde à vue deux jours semble-t-il. Arrêté mi-septembre, il affirme avoir subi des mauvais traitements : injures, coups violents (sur le crâne et au ventre) refus d’aller aux toilettes. Il m’a montré un document rédigée par un policier de l’IGS dans lequel le retenu porte plainte pour coups et blessures et un certificat médical de l’hôpital (Hôtel Dieu-Cochin) mais déplore de n’avoir eu un scanner… J'ai eu confirmation de son dépôt de plainte depuis le CRA et de 4 jours d’ITT.
Il semble penser que les mauvais traitements pourraient influer sur le jugement concernant sa rétention. Or il est au 20e jour de rétention… Son histoire est très embrouillée, comme il parlait très fort, les deux policiers ont participé à la conversation, il les prenait à témoin.
Il dit avoir tout perdu : maison, amis, travail (épisodique, au noir, 45 euros par jour).
Un de ses amis lui a dit au téléphone que « la maison avait brûlé » ; il parle aussi de vols… il ne semble pas avoir confiance dans ses « amis ».
Il ne comprend pas la signification de la liste des permanences juridiques, médicales ou sociales que je lui donne…
Comme je n’étais pas convaincue par ce qu’il disait compte tenu de nombreuses contradictions (Il m’a dit être Irakien mais ne pouvait dire de quelle région…, puis m’a montré une photo où la nationalité tunisienne était mentionnée… il serait en France depuis 8 mois, son père serait à Venise…), et que j’étais inquiète de son agitation et de son dénuement, j’ai contacté l’ASSFAM qui m’a totalement rassurée : il passe régulièrement et joue le clown, pour récupérer ses affaires il a été orienté vers l’OFII.
Visite 3
Jacqueline
Mourad, CRA 3, marocain ou algérien, contacté par cabine. 9 jours de rétention.
Marocain d’origine, en France depuis l’enfance. Orphelin, « il a toujours galéré ».
Sans papiers, il a été admis au CRA de Vincennes après un séjour à Fresnes. Il avait été arrêté lors d’un cambriolage raté. Tombé d’un quatrième étage, victime de fractures multiples il a été soigné à l’hôpital, puis a fait plusieurs mois de prison.
Il apporte un témoignage de sortie de prison intéressant : parmi la vingtaine de sortants, environ une douzaine faisant l’objet d’une OQTF. Neuf auraient été conduits directement vers l’aéroport. Seuls les trois autres ont été conduits en CRA, dont lui-même, à sa grande surprise.
Il a vu le JLD qui a décidé 20 j de rétention.
Au téléphone comme pendant la visite, il se plaint beaucoup :
- À son arrivée, on ne lui aurait pas donné le dossier de demande d’asile complet (c’est ce lui aurait dit l’ASSFAM).
- « Les soins sont insuffisants ». Le médecin ne se dérange que rarement (il cite à l’appui de ses dires le cas de son voisin de chambre qui s’est plaint de maux de ventre et qui vomissait depuis vendredi et n’a été emmené à l’hôpital que lundi…). Parmi les 5 infirmières, trois sont « racistes », parmi les policiers seuls la moitié se conduiraient «correctement » avec les retenus.
Il prend des « médicaments pour les nerfs » (pour dormir). Déprimé, il a avalé des lames de rasoir… Ce qui n’aurait pas été pris au sérieux.
L’ennui caractérise les journées « il n’y a rien à faire ». En prison, il avait demandé à travailler. Au téléphone, il a demandé des journaux.
Complément d’information : le retenu m’a prévenu qu’il était prévu de l’expulser vers l’Algérie alors qu’il dit n’être pas Algérien. L’expulsion m'est confirmée au téléphone par son voisin de chambre, il serait en prison en Algérie (à deux cent Km d’Alger où l’on retient un certain nombre d’expulsés). Ce camarade explique que Mourad avait été arrêté en 2002, fiché comme Algérien d’où le renvoi à Alger.
Visite 4
Jacqueline
Reda, égyptien de 38 ans, CRA 3, 6e jour de rétention
A été arrête à la sortie du métro.
Le JLD a décidé 20 jours de rétention.
Egyptien mais catalogué philippin (il avait un tee-shirt avec le mot Philippines lors de sa première arrestation (31 j de rétention). C’est son deuxième séjour en CRA mais 4e arrestation, il a fait deux fois de la garde à vue pour défaut de document de séjour régulier. Mais il avait été relâché à chaque fois.
Il n’a pas encore vu de représentant consulaire.
Il est en France depuis 8 ans. Il est « pacsé » depuis presqu’un an avec une étrangère en situation régulière. Il demande s’il peut faire sa demande de régularisation à partir de cette situation après un délai d’un an. Il a un peu travaillé au noir dans le bâtiment.
Il déplore de ne savoir que faire pendant la journée : jeux ou lectures sont insuffisants. Seulement la TV.
Un policier aimable interrogé m’a dit qu’une association fournissait des jeux. On ne peut apporter que des cartes, pas de possibilité de tric trac car possibilité de projectiles (boite, pions).
Les gens s’ennuient et dépriment. Hier un retenu a été enfin emmené à l’hôpital, il vomissait et se plaignait de douleurs abdominales depuis plusieurs jours.
Certains retenus étaient en T-shirt lors de leur arrestation : besoin de vêtements.
Les vêtements sont fournis par une association qui les offre aux plus démunis, (comme dans les prisons). Les vêtements sont lavés tous les jours au CRA : « Deux tenues leur suffisent ».
Il n’est pas isolé. Sa compagne est venue le voir une fois, elle va revenir. Il est calme.
Très sociable et adaptable. Il pose des questions sur moi, notre collectif, se tient au courant de l’actualité. Très intéressé par la liste des permanences juridiques pour l’aider à monter un dossier de régularisation.
Complément d’information : Contact par téléphone pour avoir nouvelles d’un autre retenu. A cette occasion est signalé qu’une fausse identité a été donnée lors de l’arrestation…Crainte d’être renvoyé aux Philippines ! (car il a l’impression qu’on exécute en plus grand nombre les OQTF…)
Visite 5
Christine et Danielle
L'émotion des retenus est souvent très palpable lors des entretiens ; mais jamais nous n'avions eu devant nous un jeune homme en pleurs pendant un long moment avant que l'on ne doive le quitter car c'était la fin des trente minutes de la visite. Questions maladroites de notre part qui ont
amené le retenu à évoquer son pays, le Gabon, et sa famille restée là bas ? Reflet des tensions crées par la rétention ? Après coup, on imagine : la dette contractée par la famille pour envoyer en Europe un de leurs fils pour les aider à vivre, l’échec que cela représente pour lui d’être là, le déshonneur et l’impossibilité du retour dans ces conditions. Un peu de tout cela probablement. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aborder le sujet de la famille et des raisons de leur venue en France avec les retenus, est très délicat. Après ce moment difficile à vivre, on peut même se poser la question de savoir si nous devons l’aborder.
Lionel (CRA2), gabonais, contact par cabine. 18 jours de rétention.
Jeune homme de 25 ans, en France depuis Janvier 2011, sans formation particulière. Il jouait au football dans une équipe de quartier.
Un sourire lumineux à son entrée dans la salle et au début de l’entretien. Nous apprendrons après son départ, par le policier qui a été le chercher, que lui et ses collègues ont beaucoup insisté pour qu’il vienne à cette visite, pourtant volontiers acceptée la veille au téléphone.
Arrêté fin août. Longue garde à vue, pour quelle raison ? Pas d'avocat personnel.
Vend des souvenirs vers la Tour Eiffel (non déclaré), hébergé de temps en temps dans un foyer du 13e arrondissement ; ses copains partagent la même galère et ne peuvent venir le voir car ils sont également sans papiers et craignent la police.
A vu le consul et a donné son identité ; le retenu semble connaître les risques qu'il a d'être expulsé.
Il a vu le médecin en arrivant pour des problèmes dermatologiques et a eu des médicaments pendant deux semaines ; il ne prend aucun somnifère.
Il a été témoin de bagarres entre retenus ; il mange peu (surtout du pain et du lait), parfois des légumes mais pas de viande car non halal.
Aucune famille en France, cinq frères et sœurs sont au Gabon avec sa mère, le père est décédé.
Antoine se met à pleurer, doucement, longuement.
Mustafa (CRA3), égyptien, contact par cabine. 3 jours de rétention.
Jeune homme de 21 ans, arrivé seul en France en 2007, à l'âge de 15 ans, travaille dans le bâtiment, non déclaré, et sur les marchés le week-end.
Arrêté un samedi soir, dans les jardins du Champ de Mars, garde à vue de 24h, CRA depuis le dimanche ; recours de l'ASSFAM vis à vis de cette longue garde à vue que rien ne semble-t-il ne justifiait, recours qui sera présenté au JLD dans 2 jours. Avocat commis d'office. Il a également fait une demande d'asile le jour même.
Déjà arrêté au mois de janvier sur un chantier, libéré au bout de 24h.
Retenu anxieux (mais ne prend pas de somnifères) et inquiet car il n'est pas sûr de pouvoir retourner dans son appartement dont il devait payer le loyer au début du mois de septembre.
Il a été soigné par le médecin du centre pour des plaies dues au ciment.
Le retenu a toute sa famille en Egypte.
Visite 5
Danielle et Colette
On peut s’attendre à tout ! Du prévisible à l’inattendu ! Constatant que le retenu que nous venions rencontrer ne parlait pratiquement pas le français, mais un peu l’italien, nous étions dans l’embarras quand une jeune policière est venue vers nous. Elle a vite compris notre démarche et
proposé de traduire : elle connaissait l'arabe parfaitement. Tout se passait bien quand une autre policière plus gradée est intervenue vivement pour nous empêcher de prendre des notes et nous dire que si nous parlions d’autre chose que de la pluie et du beau temps, nous devrions partir.
Impossible également, selon elle, de donner au retenu la feuille de renseignements sur les permanences juridiques et médicales. Sa hiérarchie le lui interdisait. La jeune policière, après un regard appuyé, est intervenue pour dire que nous disions que nous n’étions pas juristes et que l’ASSFAM
était chargée de cela – c’était ce que nous venions de dire. Nous avons pu rester et continuer notre échange avec la jeune policière comme interprète… et apprendre beaucoup de choses de ce jeune homme par traduction interposée.
Autre « nouveauté » : nous devions rencontrer un deuxième retenu mais l’attente s’est subitement allongée et il nous a été signalé qu’il n’y aurait plus qu’une visite à la fois parce qu’il y avait un problème. Après avoir constaté pendant plus d’une heure et demie que le rythme était bien changé et qu’il y avait d’autres visiteurs avant nous, nous avons renoncé.
Salah (CRA2), Tunisien, contact par cabine. 6e jour au CRA.
Ce jeune homme d’un peu plus de 18 ans a été arrêté vers 17h et emmené au CRA le lendemain matin.
Une garde à vue d’au moins 16h. En France depuis un mois, venu par l’Italie en bateau (24h), il a vendu sa moto et autres pour payer son voyage. Contrôle d’identité à Montreuil.
Sa famille est en Tunisie, deux tantes sont à Paris mais actuellement en vacances, un frère en Suisse ; SDF, aucunes ressources financières. Il s’y connaît en informatique et DJ.
Son rêve : gagner de quoi vivre, se marier.
Il dit lui-même : « Je n’ai rien fait de mal, je suis gentil »...
Il est visiblement sous médicaments ++.
Visite 6
Odile et Jacqueline
A l’accueil, nous sommes d’emblée prévenues qu’il y aura une certaine attente faute de personnel ; effectivement une seule policière vient nous chercher, elle ne fait aucun contrôle de sécurité.
Mohamed, CRA 1, tunisien de 44 ans, 24 jours de rétention.
Depuis 27 ans en France. Parents en Tunisie.
A arrêté ses études après le collège, et un CAP d’ajusteur en Tunisie. Il a quitté son pays, a traversé le Maghreb puis l’Espagne en stop.
En France, il a d’abord vécu du trafic de drogue. Classé trafiquant international, il a fait l’objet d’une Interdiction Définitive du Territoire Français.
Il est sorti de prison en 2000, il s’est rangé, mis en ménage … mais toujours sous le coup de l’IDTF … il ne peut demander de régularisation malgré le temps passé sur le sol français.
Il a été arrêté lors d’une bagarre dans le métro…vérification des papiers… 4h en commissariat puis CRA de Vincennes, il n’a jamais été en rétention… trouve le temps long ! Il a l’air bien au courant de sa situation juridique mais « ne sait pas remplir des papiers » ( pour dossier)…
Il passe devant le JLD demain, il est au 24e jour de rétention.
Personnalité complexe : beaucoup de bagout (mais français approximatif), un vernis culturel (brassage de poncifs sur l’histoire) joue de son charme (sourire, bonnes paroles de politesse, apparence soignée, cheveux longs bouclés) mais fatiguant, contradictoire (longues digressions). Sans doute très instable, il a quitté sa compagne, ne voit plus ses frères et sœurs installés en France, il était peut être à la rue lors de son arrestation, il ne semble pas supporter les règles…Son père a fait la guerre d’Indochine dans l’armée française : une explication à son départ ?
Des perspectives difficiles pour quelqu’un qui ne sait pas trop où il en est.
Nouvelles obtenues auprès de son voisin de chambre informé par téléphone : le jour même de son passage devant le 2e JLD, il a été libéré… ???
Visite 7
Danielle et Colette
A
l’entrée du CRA, nous découvrons trois Roumains qui viennent rendre visite à un
homme retenu (le mari de l’une des deux femmes qui attendent). Ils seront
encore là à notre sortie car le retenu est au tribunal.
Emmenées
par une seule policière sans vérification à la poêle à frire, nous avons été
averties que nous ne devions pas parler du CRA avec les retenus ! Qu’ils
étaient bien traités : médecin, médicaments, infirmières… sauf la
nourriture qui pose problème quant à la quantité puisque la viande n’est pas
halal ! Pas de papiers ni de stylo non plus. Bref cela ne s’améliore pas
pour les visiteurs de notre genre. Il semble qu’il y ait un problème d’effectif
des agents de police au CRA puisqu’ils ne prennent qu’une visite à chaque tour.
Walid (CRA1), algérien, contact direct. 10 jours de rétention.
Depuis 1991 en France soit 21 ans ! Kabyle de 49 ans
qui ne peut pas retourner en Algérie sans risques.
Garde à vue de 24h (pris avec un joint) sans que son avocat personnel soit prévenu. 1er JLD : 20 jours,
l’appel a été négatif et les 20 jours confirmés. 2e JLD prévu vers la mi-octobre. Le
premier avocat commis d’office n’a pas agi, le 2e, copain de son avocat personnel, a été
très actif, a repris le dossier, donné des conseils, contacté l’ASSFAM et veut
faire intervenir la cour des droits de l’homme concernant la GAV.
Walid a été retenu une première fois en 2010, emmené
au CRA mais vite libéré. Il a essayé d’être régularisé 3 fois en préfecture
mais sans succès faute de preuves. Habite Paris avec des amis. Travaille comme couturier au noir, de
façon non permanente mais suffisante pour vivre. Sa famille est en Algérie
(frères seulement car parents décédés). A une « cousine » amie en
France, à Paris ou en région parisienne. Ce n’est pas exactement une cousine
mais quelqu’un du pays. Demande que nous prenions contact avec elle pour
arranger un différend entre eux.
Déprimé, mange très peu, prend du Doliprane pour maux de
tête et d’estomac, dit qu’il va tenir.