RÉCIT DE SON AUDIENCE AVEC LE JLD EN VISIOCONFÉRENCE PAR UN RETENU ET ANALYSE DE CETTE PRATIQUE

 

Au CRA de Vincennes, la police ne conduit plus le retenu au Tribunal de Grande Instance.


Le Juge de la Liberté et de la Détention (JLD) tient audience à distance du prévenu, en vidéoconférence depuis le début de la pandémie de coronavirus. Pendant le  confinement imposé jusqu’en mai, des audiences se sont même tenues par téléphone, depuis le domicile du Juge… Puis  ce fonctionnement dérogatoire à distance est devenu la pratique courante de l’audience judiciaire dans les procédures pour étrangers en infraction administrative par rapport à la règlementation sur  l’entrée et du séjour en France. 


1 - L’audience vue par le retenu : une caricature de justice, expéditive et humiliante.


Monsieur S A, raconte comment s’est déroulée l’audience tenue par le JLD à son 30ème jour de rétention en Décembre 2020 : il a été amené par les policiers dans « une petite chambre », en fait le local où l’OFPRA fait ses entretiens avec les retenus.


L’audience a eu lieu par webcam (Le Juge était au TGI à Paris) 


Il n’a pas eu d’interprète (Il pense qu'il parle français mais il ne comprend pas vraiment ce qu'on lui dit. Il lui faudrait demander systématiquement un interprète)


Il a pu s’entretenir avec un avocat nommé d'office qui n’était pas près de son client mais près du Juge devant lequel il a fait sa plaidoirie après celle de l’avocat de la Préfecture. 


Il était seul ; pas de public.


Le juge ne l'a pas laissé parler.


Le retenu n’a compris qu’une chose : le Juge s’est prononcé pour une prolongation de la rétention de 30 jours. En effet, depuis le 2 janvier 2019,  la durée de la rétention peut aller jusqu’à 3 mois ! Durcissement maintenu, même si la possibilité de reconduite dans le pays d’origine n’est pas possible en raison de la fermeture des frontières.


2 - Les garanties judiciaires ne s’appliquent plus depuis le début de la pandémie : une justice dégradée.


Cette Justice, pourtant rendue au nom du peuple français, n’est pas publique, en tout cas le retenu ne la sent pas comme telle puisqu’elle ne l’est qu’à distance…

Le prévenu n’est pas présent physiquement et peut difficilement s’exprimer, surtout si le Juge ne prend pas le temps d’insister pour lui donner la parole.

C’est donc une justice au rabais qui est rendue, sans respect des droits fondamentaux de la personne étrangère qui, habituellement, a déjà du mal à comprendre la complexité des procédures françaises pour les étrangers.


3 - Pourquoi  la France fait-elle ce choix ?


- Officiellement, c’est pour des raisons sanitaires : pour éviter de multiplier les sources de contagion. 

- Mais c’est beaucoup plus sûrement pour des raisons logistiques. Avec les obligations nouvelles de la pandémie, les moyens en hommes manquent pour constituer les escortes pour accompagner et attendre, parfois toute la journée, les retenus convoqués au Tribunal. Seuls ceux qui ont fait appel auprès du Tribunal administratif de Paris continuent à être déplacés.

- La justice par visioconférence coûte beaucoup moins cher et permet donc des économies…

- C’est possible car la France applique de plus en plus aux étrangers un droit d’exception, en toute injustice. Comme le démontre aussi l’obligation de se soumettre aux tests Covid, pas seulement pour protéger leur santé mais en prévision de leur expulsion si le test est négatif, alors que pour les Français, « le plein consentement de la personne » est requis. Le refus de test est assimilé à un refus d’appliquer l’obligation de Quitter le Territoire (OQTF), un délit passible de 3 mois de prison, donc la même peine que pour le refus d’embarquer à l’aéroport.

 La pénalisation de ces refus  conduit l’étranger en prison, cela en fait un délinquant qui pourra être d’autant plus facilement expulsé et interdit de séjour en France.


4 - Cette justice dévaluée s’inscrit dans une longue évolution de dégradations du droit dans les procédures s’appliquant aux étrangers. 


Ces pratiques existaient en effet avant les contraintes du coronavirus de manière ponctuelle

- Dans des zones de vulnérabilité favorables aux abus : Mayotte, Guyane, Antilles françaises, notamment pour les audiences de la CNADA pour l’appel des décisions de l’OFPRA.

- Dans les centres de rétention. D’abord avec des audiences délocalisées dans quelques centres comme au Mesnil-Amelot depuis plusieurs années. Juristes et associations de défense des droits de l’Homme s’y étaient opposés fermement mais sans succès. Depuis 2018, ce type d’audience à distance est possible sans l’accord du retenu et malgré l’opposition des avocats .

Compte tenu des choix orientés vers un droit d’exception à l’égard des étrangers, on peut craindre que ces dégradations s’inscrivent dans la durée, voire qu’elles se généralisent à d’autres formes de la Justice, ne serait-ce que pour accélérer le traitement des dossiers qui s’accumulent compte tenu des faibles moyens engagés.