CORONAVIRUS : exilés sans-abris confinés de force sur le campement porte d'Aubervilliers, sans eau, sans nourriture, sans toilettes...

Si les avocats et les associations s'activent dans les CRA pour faire des DML (demande de mise en liberté), dans la rue et les campements les exilé.e.s sont abandonnés à eux-mêmes mais toujours traqué.e.s.


Malgré la crise sanitaire, la répression envers les migrants du nord de Paris persiste. Romane Elineau, bénévole à l'association Paris d'exil, raconte la semaine de ces exilés abandonnés par l'État.

Puisque la mode est au « Journal de confinement » et que chacun s’amuse à décrire son quotidien bousculé par l’ennui ou par l’exil vers une résidence secondaire en bord de mer, il me semble important de témoigner du quotidien des moins privilégiés. Ceux contre qui l’Etat est réellement en guerre et n’accorde aucune trêve, pas même en ces temps de crise sanitaire. Dans le nord de Paris, des centaines de personnes survivent dans des campements de fortune et sont donc particulièrement exposées au Covid-19. Cette semaine nos dirigeants ont encore démontré tout le mépris qu’ils ont pour la vie de ces hommes, femmes et enfants.

Depuis des années les campements de rue se succèdent dans Paris, résultat d’une politique de maltraitance où l’objectif est de pourrir la vie des gens pour les dissuader de vivre ici, ou de vivre tout court. Alors l’Etat supprime le droit à l’hébergement et au revenu de subsistance pour des milliers de demandeurs d’asile, crée des systèmes administratifs kafkaïens et arbitraires. Il envoie sa police pour confisquer les tentes et obliger des hommes et des femmes à se terrer sous les ponts au milieu des rats, là où on ne les voit pas. Après les évacuations médiatisées de février (portes de la Chapelle et d'Aubervilliers) de nombreux exilés ont été remis à la rue. D’autres sont arrivés. Un campement s’est reformé, dans un terrain vague bien caché, à l’abri des policiers présents 24h/24 dans le quartier. Ils sont entre 400 et 500 personnes à survivre dans ce lieu horrible. Pour reprendre leurs mots, s’ils sont aujourd’hui en danger, c’est à cause de cette politique inhumaine.
Lundi
Distribution de repas, porte d’Aubervilliers, par la Gamelle de Jaurès. Des centaines de personnes attendent. Parmi elles des dizaines de familles, de jeunes enfants. Avec l’annonce du confinement peu d’associations ont distribué pendant le week-end. Certaines nous disent qu’elles n’ont pas mangé depuis 24 heures. Et puis, pour elles aussi, il y a l’appréhension face à cette situation extraordinaire. Nous ne savons pas comment vont s’organiser les choses, si les distributions et les maraudes pourront être maintenues. La faim, la peur de manquer, l’épuisement… Les gens se heurtent, se battent pour attraper une barquette repas, un bout de pain.
Ce soir, des dizaines de familles exilées sont à la rue. Utopia 56 essaye tous les soirs de les loger chez des hébergeurs solidaires. Dans le contexte actuel, ce n’est plus possible. Alors ces familles posent leur tente porte d’Aubervilliers, sur leur lieu de rassemblement habituel. Bien sûr, la police intervient. Les CRS disent qu’elles ne peuvent pas rester là. Elles n’ont nulle part où aller, il est tard… Les policiers repartent, pour l’instant, et annoncent qu’une décision sera prise le lendemain quant au sort de ces familles.
Mardi
À 8 heures du matin, les policiers sont de retour. Ils réveillent les familles et les chassent. Ils disent que pour être tranquille il ne faut pas rester dans Paris, il faut passer le périph… En somme être invisible et « hors secteur » pour que la ville de Paris puisse tranquillement se déresponsabiliser et les laisser mourir dehors.
Les Restos du Cœur et Solidarité Migrants Wilson sont présents ce soir pour distribuer des repas. Malgré les effectifs restreints, le manque de matériel, le risque sanitaire, les assos s’organisent avec les moyens du bord pour ne pas laisser les gens crever de faim. Car, hormis envoyer sa police, l’Etat ne fait rien.
Les exilés sur le campement d’Aubervilliers sont inquiets. Depuis plusieurs jours les associations transmettent les informations relatives à l’épidémie : symptômes, N° vert, gestes barrières. Tout cela leur paraît dérisoire. « Ici il n’y a pas d’eau, pas de douches. Il n’y a même pas de toilettes » ; « On dort à 3 ou même 4 par tente ». Ils veulent sonner l’alarme et crier leur colère. Ils nous envoient des images du campement, décrivent leurs conditions de vie et écrivent leur revendication : « une mise à l’abri pour toutes les personnes du campement. Toutes sans exception ». On leur dit qu’on fera de notre mieux pour diffuser leur message. En attendant, la police continue de sévir.
Mercredi
Cet après-midi c’est la police montée (à cheval) qui arrive sur le campement d’Aubervilliers. Ils nassent les exilés et les empêchent de sortir pendant plusieurs heures. Les exilés se retrouvent confinés de force sur le campement, sans eau, sans nourriture, sans toilettes. Médecins du monde est sur place à ce moment-là. Un bénévole tente de filmer la scène et se fait interpeller. Les policiers menacent l’équipe de l’ONG de « représailles s’ils témoignent ». Malgré les menaces, Médecins du monde s’indigne sur les réseaux sociaux et rédige une lettre au préfet. Face au scandale qui commence à monter, le préfet de région annonce que le campement sera évacué prochainement. Plusieurs familles accèdent à un hébergement dans la soirée. Il y a un peu d’espoir ce mercredi soir. Peut-être que cette fois-ci, tout le monde sera mis à l’abri. Peut-être que la préfecture et la police vont calmer leurs ardeurs répressives…
Jeudi
Une dizaine de camions de police stationnent autour du parc et du rond-point de la porte d’Aubervilliers. Des familles ont tenté de dormir ici cette nuit, et cela ne leur a pas plu. En pleine crise sanitaire la priorité pour la police est d’empêcher des gosses de dormir dans un endroit un peu moins glauque qu’une bretelle de périphérique.
Sur le campement tout le monde se demande quand aura lieu l’évacuation. On fait des attestations de déplacement. Un homme est désespéré car son audience à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est annulée. Il l’attendait depuis plus d’un an… Un autre se demande : « Que va-t-il se passer si je me fais contrôler avec un récépissé expiré ? » La préfecture, fermée, a annoncé la prolongation de la validité des documents. Mais il n’a pas confiance en la police et a peur d’être arrêté. Certains n’osent même pas appeler le 15 ou le N° vert. A force d’être maltraités par toutes les institutions publiques, tout ce qui relève de l’Etat apparaît comme une menace… Un monsieur éthiopien est au bord des larmes car il s’est fait voler toutes ses affaires. Certains nous disent qu’il y aurait eu un mort sur le campement, un monsieur âgé. Les associations sont en train de se renseigner auprès des autorités (pas de confirmation pour le moment)
Vendredi
Aujourd’hui les exilés ont pu avoir des bouteilles d’eau. Victoire bien dérisoire. Des policiers me demandent de « transmettre les instructions » aux personnes exilées : il ne faut pas qu’elles sortent du campement. « Je ne veux pas vous voir dans les rues » dit un flic à un groupe d’Afghans qui passe au bord du canal. « Il faut rentrer ». Traduction : transmettez-vous ce foutu virus entre vous, mourez ensemble dans votre trou à rats, on s’en fout. Mais surtout ne contaminez pas les autres. Nous avons le droit de vivre, pas vous.
Week-end
On attend toujours l’évacuation annoncée. Peut-être demain, peut-être la semaine prochaine ou celle d’après. Sûrement dans des gymnases, sûrement dans la promiscuité, sûrement sans dépistage.
Pour de nombreuses personnes hébergées, la situation n’est guère mieux. Des mères isolées sans papiers n’ont aucune ou peu de ressources, ne peuvent pas cuisiner dans leur chambre de 10 m2 et craignent de se faire contrôler par la police si elles sortent. Dans les foyers, des sans-papiers n’ont d’autres choix que de continuer à travailler, parfois sans protection. Exploités sur les chantiers, exploités par Uber et compagnie pour livrer aux Parisiens leur brunch du dimanche, ils s’exposent tous les jours pour « faire tourner notre économie ». Des mineurs isolés hébergés en hôtel qui ne peuvent plus se nourrir. L’Aide sociale à l’enfance (ASE) leur délivre, pour leurs repas quotidiens, des tickets restos utilisables uniquement au kebab du coin, désormais fermé. Des mineurs isolés sans attestation de déplacement qui se font casser la gueule par la BAC du 18e arrondissement…
Et on apprend que l’Etat a expulsé au moins 10 personnes cette semaine. Vers le Maroc, l’Algérie, le Congo, le Mali, le Sénégal, la Roumanie, la Géorgie et même les Pays-Bas pour un dubliné… Corona ou pas, rien ne les arrête ! Ceci n’est que ce dont nous avons connaissance et ce n'est que la première semaine. Résumé non exhaustif pour ceux qui ne savent pas, pour ceux qui peuvent se mobiliser malgré le confinement. Pour faire face à cette pandémie, pour que tout le monde soit protégé, il va falloir faire barrière à leur politique criminelle, à leur racisme visiblement sans limite.

Informations recensées sur le terrain et via : les exilés du campement, Paris d’Exil, Solidarité Migrants Wilson, La Gamelle de Jaurès, Utopia 56, Médecins du Monde, La Cimade, Infos Migrants, Urgence Notre Police Assassine, mes yeux et mes oreilles.
Paris d’Exil lance un appel à dons pour pouvoir faire des courses ou apporter un soutien financier en urgence. Cagnotte en ligne : https://www.helloasso.com/associations/paris-d-exil/collectes/cagnotte-pour-la-solidarite-alimentaire


PAR ROMANE ELINEAU
PUBLIÉ LE 23 MARS 2020