DEHORS : LA CABANE - DEDANS : LES CONDITIONS DE RÉTENTION SE DURCISSENT

DEHORS : LA CABANE

La cabane, c’est cette espèce d’abribus en bois, posé devant le CRA, et qui sert de « salle d’attente » aux personnes venues en visite : triste endroit, avec une simple planche pour s’assoir, le sol jonché de mégots. Comme cette cabane est complètement ouverte, on y cuit en été, on y gèle en hiver, quand il vente, on y reçoit des tourbillons de poussière et quand il pleut, les rafales y pénètrent largement. Triste endroit, où les familles, les amis et les soutiens des retenus viennent s’assoir, lourdement chargés de vêtements et de victuailles, accablés par l’angoisse : leur proche sera-t-il expulsé ?


Cette cabane, nous ne la connaissons que trop, mais aujourd’hui, c’est nouveau, nous avons remarqué que derrière elle, il se passait aussi plein de choses.
D’abord, ce que nous voyons régulièrement : de magnifiques chevaux, montés par de superbes amazones passent majestueusement : l’hippodrome est juste derrière et nous pouvons constater que les chevaux sont mieux traités que les retenus.
Comme nous patientons, nous constatons que deux hommes discutent derrière l’édicule : l’un d’eux porte un sachet contenant deux bouteilles de bière, dont il s’abreuve régulièrement ; puis il se roule une cigarette qui, à l’odeur, ne semble pas être du tabac. Diable ! vont-ils ainsi lestés pénétrer dans le CRA ? Finalement, les deux buveurs sont sans doute des gens du voyage habitant l’aire d’accueil toute proche.
Un homme passe discrètement derrière la cabane : l’attente est longue et il est manifestement pris d’un besoin naturel.
Enfin, un jeune Africain, dont le maintien mêle la distinction et la grâce, se retire à son tour. Il étend soigneusement son blouson sur le sol, retire ses chaussures et se prosterne. Il prie avec une concentration presque tangible, qui nous émeut. Nous comprendrons peu après que ce jeune homme vient d’être libéré et qu’il est venu récupérer ses affaires.
C’est sur cette dernière image de ferveur sereine, que nous pénétrons à notre tour dans le CRA.
Derrière la cabane, ces quelques mètres carrés nous ont offert, en peu de temps, l’image de la vie elle-même : complexe, avec ses classes sociales, diverse avec ses cultures, truculente, avec ses plaisirs simples, mystique, avec ses pratiques religieuses.
Devant la cabane, le CRA dresse ses hauts murs et ses barbelés : c’est l’humanité enfermée, souffrante et accablée que nous allons voir. Le policier nous appelle, allez ! entrons !



DEDANS : LES CONDITIONS DE RÉTENTION SE DURCISSENT


À l’entrée, la fouille est particulièrement minutieuse. Comme je m’en étonne, un policier réserviste m’explique que sa jeune collègue, fraîche émoulue de l’école de police, exécute sur nous ses travaux pratiques. Nous voici donc cobayes, soit !
En revanche, ce que nous constatons dans le local de visite au moment de repartir nous choque profondément : comme nous rassemblons nos affaires pour sortir, nous nous rendons compte que les retenus sont menottés, puis emmenés !
À nos questions, le même réserviste répond que c’est pour la sécurité des policiers ; en effet, une évasion a eu lieu, il y a 5 jours : deux retenus auraient escaladé les murs et réussi à s’enfuir. Jouant mon rôle favori (la mamie un peu larguée qui ne comprend rien), je demande, avec un accent angoissé : « Mais alors, ces fugueurs ont agressé des policiers ?
-    Pas du tout, répond mon interlocuteur. »
Du coup, le lien de causalité entre l’évasion et le menottage ne nous paraît pas très clair.
Rentrée à la maison, je me hâte d’interroger l’ASSFAM, qui ne peut que me confirmer cette nouvelle pratique désastreuse, pas du tout en lien avec l’évasion et même antérieure à elle.
La saisine du Contrôleur général des lieux de privation de liberté nous paraît urgente ! L'ASSFAM l'a déjà fait, la nôtre va suivre pour enfoncer le clou.