POURQUOI DES RETENUS FONT-ILS UNE GRÈVE DE LA FAIM ?

Ce récit date d'octobre 2017, mais il est toujours d'actualité. Il est exemplaire de la violence de l'enfermement dans les centres de rétention et de la rancœur qu'elle provoque chez les retenus, victimes de l'inhumanité de l'État français à leur égard... 


Le souci de comprendre la grève de la faim menée par une trentaine  de détenus au cours de la semaine précédente nous a conduites à reprendre contact avec le retenu qui avait cherché à la faire connaître au Parisien en appelant une de ses journalistes. Ce dernier nous avait aussi alerté sur le sort d’un père de 4 enfants vivant en France dont le vol d’expulsion était annoncé, il était désespéré par la perspective d’être séparé de sa famille et inquiet d’une infection de sa main qui le faisait souffrir : l’administration a refusé de l’emmener à l’hôpital et a avancé son vol de plusieurs jours.
Il nous avait également signalé le cas d’un autre retenu père d’un jeune enfant dont le vol annoncé était imminent et qui souhaitait être visité. Mais on nous signalera qu’il venait d’être emmené à l’hôpital : la veille, il s’était tailladé et venait, le matin même, d’avaler des lames de rasoir…


Ahmed est migrant depuis plusieurs années, il est entré par l’Italie où il a eu des papiers, il a des jumeaux de 7 mois mais ne trouvant pas de travail, il a accepté des missions en France sur des chantiers où il travaille au noir. Il a été arrêté au volant en région parisienne : son permis de conduire n’était pas en règle. Mis en garde à vue, sans passeport, sans document de séjour, la Préfecture lui a délivré une Obligation de quitter le territoire, la Police l’a amené au CRA où il se trouve depuis 12 jours, le J L D ayant prononcé une  prolongation de 28 jours.
Ahmed explique que des retenus se sont engagés dans une grève de la faim pour protester contre l’importance des vols affichés (Une vingtaine chaque jour) pour un retour rapide au pays d’origine ou dans le pays par lequel les migrants sont entrés dans l’espace Schengen ; l’angoisse générée par ces éloignements  exécutés  dès les premiers jours de rétention débouche sur un climat extrêmement difficile marqué par des crises multiples individuelles ou collectives. Ce turn-over rapide des retenus, comme la construction d’un quatrième CRA sur le site de l’École de Police, démontrent la volonté affichée du gouvernement d’accélérer les flux des migrants jugés indésirables : migrants masculins « économiques », Dublinés, déboutés du droit d’asile… Certains sont expulsés au 45ème jour de rétention, ce qui provoque l’écœurement des autres retenus. Toutes les nationalités d’Afrique et d’Asie sont concernées.


Nous avons bien compris la frustration et l’amertume qui apparaissent dans le récit individuel comme le sort fait aux « sans papiers » du fait de la législation en place : ils ont pris tous les risques sur la route pour arriver là où ils voulaient seulement rechercher du travail, leurs rêves se brisent sur la difficulté à en trouver et sur l’exploitation dont ils sont l’objet quand ils en trouvent, on les enferme sans tenir compte de la vie qu’ils ont pu construire de l’autre côté de la Méditerranée au cours de leur migration, on les renvoie dans un pays d’origine en situation d’échec complet. Comment tous ces expulsés vont-ils traduire dans les années qui viennent les déceptions, les frustrations qu’ils ont ressenties ? Nombreux sont ceux qui sortent brisés de l’aventure, d’autres n’arriveront pas à maîtriser la colère qui les anime… avec quels effets sur leur entourage,  sur la société de leur pays ? Avec quels effets boomerang sur notre avenir ?