UN HOMME BRISÉ...


Une professeur de français de l’université de Nanterre nous écrit, via le blog. Elle nous apprend, que, donnant bénévolement des cours de français à des migrants, elle a rencontré Abdullah, un jeune Afghan, l’année dernière. Elle nous en parle avec enthousiasme et... s’inquiète : Abdullah est en centre de rétention à Vincennes ; dubliné, il risque le renvoi en Bulgarie.

Au CRA, nous entrons rapidement : les policiers prennent 3 visites à la fois. Ce sont de jeunes recrues et la fouille est particulièrement minutieuse.
Au parloir, nous trouvons un frêle jeune homme, au sourire doux et éclatant, le visage illuminé par de beaux yeux clairs. Nous oublions de lui demander son âge : son allure est juvénile, mais il a deux
enfants restés au pays avec sa femme. Comme il y a de fréquentes coupures d’électricité là-bas (ou peut-être pas d’électricité du tout), il est sans nouvelles de sa famille depuis 6 mois : c’est une des
blessures qui font de ce migrant courageux et déterminé un homme brisé.
Déterminé, Abdullah l’est sans conteste. Il est originaire de la ville de Tabag, dans le Kapisa, région où ont été envoyés des militaires français depuis 2001, (retirés en 2012, plusieurs ont été tués dans cette province). Abdullah éprouve de la sympathie pour eux. Attrapé par les talibans, il refuse collaborer avec eux ; à force de coups, ils lui cassent la jambe. Sans soins, il décide de partir et quitte à pied ses
montagnes (Tagab est à 1700m d’altitude). Blessure physique.
 

Nous ne savons pas très bien par quels moyens Abdullah se déplace, mais il suit la route classique : Iran, Turquie, Bulgarie, Serbie, Hongrie, Autriche, Italie, France. Il ne veut pas passer en Angleterre, il veut s’installer en France, car il garde un bon souvenir des militaires français de Tagab. Il déchante vite : parti en 2015, il arrive à Paris en décembre 2016 ; au début, plus ou moins hébergé par des amis, il se retrouve souvent à la rue, autour de la porte de Clignancourt et à La Chapelle. Il peine à déposer sa demande d’asile.
Encore une blessure.

C’est pendant cette période qu’il suit les cours de français à Nanterre : il évoque son enseignante avec un sourire ému, selon lui, c’est la seule personne en France qui lui ait apporté aide et amitié.
Finalement, il y a quelques mois, Abdullah est embarqué dans un bus et transporté aux alentours du Mans. Dans ce centre qui accueille 50 personnes, il est au moins à l’abri. Il doit toutefois attendre 3 mois avant de pouvoir déposer sa demande d’asile en Préfecture. Le 28 décembre, il se rend à Paris pour récupérer des affaires, laissées chez un ami ; il est arrêté, conduit au CRA. Le fichier Eurodac confirme qu’il a laissé ses empreintes en Bulgarie. On lui signifie son transfert pour lundi prochain.
En évoquant la Bulgarie, Abdullah est saisi d’une véritable panique : en effet, il règne dans ce pays un fort racisme anti immigrés et les demandeurs d’asile y sont maltraités, enfermés, affamés. Abdullah nous montre deux blessures, une au bras qui a nécessité une opération, une à la jambe, c’est la morsure d’un chien policier en Bulgarie.
Dans le CRA où il est enfermé, il y a 15 Afghans, dublinés comme lui, et cinq d’entre eux risquent l’expulsion vers la Bulgarie.
Nous consultons l’ASSFAM qui ne peut que nous confirmer que, depuis 2016, on expulse en effet vers la Bulgarie et la Hongrie malgré les recours devant la CEDH
(Cour européenne des droits de l'homme), qui soulignent à la fois l’existence de mauvais traitements et une « défaillance systémique», euphémisme pour désigner un système d’asile inexistant. Curieusement, pour la Hongrie, les préfectures ont suspendu les transferts Dublin, mais pas pour la Bulgarie...

L’ASSFAM a arrêté les saisines de la CEDH, sauf pour les mineurs.

Il ne reste plus que la mobilisation militante. Nous alertons le collectif Chapelle debout, qui en fait connaît déjà Abdullah : une action « anti déportation » est organisée pour empêcher, lundi matin, à l’aéroport de Roissy l’expulsion vers Sofia d’au moins deux Afghans. Jacqueline se rend à Roissy et tente de convaincre les passagers du vol pour Sofia de refuser de s’assoir en signe de protestation contre l’expulsion. Mais les militantes sont vite repérées et la police des frontières les forcent à s’éloigner, l’avion décolle, nous sommes sans nouvelles, accablées.
Alors, coup de théâtre ! La professeure de français nous apprend qu’Abdallah s’est enfui du CRA dans la nuit de dimanche, en défonçant une porte...


Ce matin là, un journal en ligne « Streetpress» raconte avec délectation l’épidémie d’évasions qui se propage dans le CRA de Vincennes.
Abdullah, malgré ses nombreuses blessures, n’est pas l’homme brisé que nous avions vu la semaine dernière : sa détermination a été la plus forte ! Nous sommes émues et admiratives !

On ne peut cependant s'empêcher de se demander quelle vie l'attend, sans papiers et avec la menace
d'une expulsion toujours suspendue au-dessus de la tête ???





 Ici un article relatant le témoignage d'un Afghan sur ce qui se passe en Bulgarie.

, un article très détaillé sur le rôle de "rempart" contre les migrants joué par la Bulgarie, le racisme qui y règne, et les conditions plus que déplorables dans lesquelles sont maintenus les migrants et les demandeurs d'asile (qui ont très peu de chance de l'obtenir et par contre, toutes celles d'être renvoyés en Afghanistan).