DEMANDER L’ASILE EN CRA …..

Nous avons deux noms, donnés par l’ASSFAM, et nous présentons au poste de garde : la jeune policière, assez aimable au début, devient vite méfiante et agressive. Elle me demande « si nous faisons partie d’une association » puis me somme de donner le prénom du retenu. ARGH ! l’ASSFAM ne l’a pas précisé ! Le dialogue se tend très vite :
« Vous voulez le voir et vous ne savez pas son prénom ! 
  • Il ne me l’a pas donné, dis-je, un peu prise de court ;
  • Mais comment avez-vous eu son nom ? insiste la policière, méfiante »
J’ai encore assez de présence d’esprit pour lui expliquer que j’ai appelé la cabine du CRA (pas question de mouiller l’ASSFAM). Mais son verdict est sans appel :
« Pour des raisons de sécurité, il me faut le prénom, pour bien identifier la personne ! »
  • Il y a donc plusieurs M.N. au CRA 3 ? dis-je, en tentant de finasser ;
  • Oui, me répond avec aplomb la policière soupçonneuse, et puis écartez-vous et descendez les trois marches.
A ce moment, arrive C., le réserviste, qui nous connaît bien et s’interpose, avec son bagout habituel !
«  Ça fait exactement 72 ans et 3 jours que cette dame vient au CRA. Patientez, vous passerez avec la visite suivante ! »
En patientant, je reprends mes esprits et me dis que j’ai vraiment mal joué ! J’aurais dû prendre acte du refus de la policière, appeler l’ASSFAM et demander l’application de l’article 13 (droits du retenu non respectés) et peut-être aurait-il pu sortir… Je m’en veux de mon manque d’à-propos, d’autant que la situation de M.N. est vraiment tragique !

M.N., Éthiopien, J+7
M.N. est un homme, jeune, très soigné et élégant. Il est très aimable et sourit constamment, pourtant sa situation assez complexe est accablante. Nous essayons de comprendre son débit très rapide en anglais au milieu du tohu-bohu habituel du parloir. Il est en France depuis un mois et déjà enfermé ! Il a fui l’Éthiopie depuis plus d’un an à la suite de l’assassinat de son père : en fait, c’est lui qui était recherché, mais il était absent à ce moment-là et c’est son père qui a été tué. Pour financer son voyage, sa mère vend la maison et garde ses deux enfants, qui ne sont pas menacés, car trop jeunes. M.N. est menacé à cause de son engagement politique aux côtés du Pr Berhanou Nega, fondateur du mouvement d’opposition Ginbot 7, condamné à mort par contumace, actuellement aux États-Unis. Ce mouvement avait vivement critiqué les fraudes électorales en 2014. C’est suite aux violents incidents qui secouent le pays depuis 2015, incidents qui ont entraîné, depuis, la proclamation de l’état d’urgence, que M.N. décide de partir.
Pour quitter l’Éthiopie, M.N. se rend d’abord au Soudan, puis à Bahrein, car il n’a pas besoin de visa pour cette destination. Il reste 7 mois à Bahrein, où il se marie. Avec sa femme enceinte, il se rend en Allemagne, puis en France, d’où il espère pouvoir gagner l’Angleterre, grâce à un passeport britannique. Il semble avoir eu des démêlés avec le passeur. A Paris, la situation se dégrade : M.N. confie sa femme, très affaiblie, à la police (sans doute pour qu’elle l’emmène à l’hôpital ?) et perd sa trace. Lui-même est arrêté et conduit au CRA. Pendant notre visite un policier lui remet un papier : c’est une convocation pour un entretien à l’OFPRA ; nous comprenons donc que M.N. a fait une demande d’asile pendant sa rétention. C’est une bonne chose, mais dans ce cas, il s’agit de la procédure accélérée, donc bien moins protectrice.


En effet, deux jours après, M.N. m’appelle pour me dire qu’après avoir été entendu pendant 4 heures à l’OFPRA, sa demande d’asile a été rejetée. L’ASSFAM, que je contacte, me précise qu’ils ont engagé un recours devant la CNDA (cour nationale du droit d’asile), mais toujours à cause de la procédure accélérée, le recours n’est pas suspensif, l’OQTF peut être exécutée. Toutefois, un renvoi en Éthiopie semble peu probable.


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