les visites d'avril et mai 2013

Avril 2013

Jacqueline  et Christine

Accueil et équipe de policiers, que nous n’avions jamais vus, assez différents des fois précédentes. Trois visites ont été prises ensemble, alors qu’habituellement ce n’est jamais plus de deux visites à la fois.
Ensuite tout le monde en même temps dans le local de fouilles, plutôt petit, ce qui faisait quand même cinq personnes, en plus des policiers, alors que d’habitude ce n’est jamais plus de deux personnes à la fois. Ensuite ce fut un très rapide passage à la poêle à frire, ou raquette ou détecteur de métaux, selon les appellations. Les policiers avaient l’air à la fois d’être pressés et de trouver les consignes de sécurité habituelles pas vraiment justifiées. À moins que comme l’a suggéré Jacqueline, il y ait eu des consignes d’assouplissement des conditions de visites ?
Arrivées dans le local des visites, comme ils avaient fait monter en même temps les deux personnes que nous désirions visiter, alors que nous voulions les voir successivement, nous avons été autorisées à les voir séparément, ce qui impliquait que les quatre tables de visites soient occupées. Du jamais vu… Et encore plus incroyable, il y avait parmi les visités un retenu chinois à qui un policier a apporté à la fin de la visite un document à signer. Celui-ci ne parlant et ne lisant pas le français, le couple venu le visiter a été sollicité pour l’aider à comprendre ce qu’on attendait de lui, et comme cela semblait compliqué, et que les autres visiteurs et les policiers chargés de les raccompagner à l’entrée du CRA attendaient, le responsable de l’équipe a fini par dire « oh, allez ! Restez une demi-heure de plus ! », soit la durée d’une autre visite.

Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.

Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.


Manoj, indien, CRA 3, 43e jour de rétention. Arrivé en France en 2008.

La conversation a été assez difficile, Manoj parlant un français très difficile à comprendre et un anglais encore plus. Pourtant il sortait de plus de 3 ans de prison, et cela ne lui a pas permis d’apprendre la langue mieux que cela. Isolement ? Difficulté à apprendre une langue ? Nous n’avons pas eu le temps de nous étendre sur ce problème.
Il a été condamné pour participation à une filière d’immigration clandestine. J’ai pu apprendre, d’après le procès verbal de sa mise en détention provisoire, qu’un passage Inde/France pouvait coûter entre 10000 et 15000 euros…
Manoj est d’origine tamoul. Il est parti de l’Inde en 2008 parce qu’il avait des problèmes politiques. C’est son frère, lui même et sa famille qui ont réuni l’argent du voyage. D’après ce que j’ai pu comprendre l’arrivée en France n’a pas été facile. Je n’ai pas cherché à comprendre comment il en est arrivé à tomber dans cette filière, la communication étant trop laborieuse.  Mais on peut imaginer que la misère et le désarroi peuvent y être pour quelque chose, même si tous les immigrés qui sont dans la précarité ne deviennent pas tous délinquants… Toujours est-il que son frère est mort dans un accident 3 mois après son arrivée. Si j’ai bien compris, ce qui n’est pas sûr, il a pu après quelque temps retourner là-bas se marier, et revenir en France sans sa femme. Quand il a été arrêté, il n’a pas pu continuer à envoyer de l’argent à sa famille. Il a essayé de garder le contact avec elle, mais toujours est-il qu’entre le fait qu’il n’envoyait plus d’argent et les problèmes que cela engendrait dans sa famille, les ponts ont été coupés. Il n’arrive plus du tout à les joindre. Il avait l’air de faire, avec beaucoup d’amertume, un lien entre l’arrêt de l’envoi d’argent et la rupture de communication.
Il a, depuis la prison, essayé de refaire son passeport, mais l’ambassade ne le reconnaît pas comme indien et le consul n’est même pas venu le voir au CRA. Il va donc être libéré alors qu’il a une ITF et qu’il voudrait retourner chez lui. Cela signifie pour lui être condamné à une vie de sans-papier, sans issue apparente.
Il n’a pas l’air très chaud pour reprendre contact avec les connaissances qu’il avait avant son séjour en prison.
Une fois de plus, c’est un sentiment de totale impuissance face à une telle situation qui a dominé cette rencontre. Même si j’ai peu de sympathie pour les trafiquants des filières d’immigration, le désarroi de Manoj m’a paru bien réel. Je n’ai pu que lui proposer la liste des lieux de distribution de nourriture, celles des permanences juridiques et médicales, et chercher pour lui une association tamoule susceptible de l’aider un peu. Toutes celles que j’ai pu trouver sont d’ordre culturel, et quand j’ai rappelé le CRA, j’ai appris qu’il avait été libéré tout de suite après notre visite. Que peut-il advenir de lui ? Aucune idée. J’ai appris au cours de mes recherches pour trouver une association, qu’il y a véritable un réseau social et culturel dans la communauté tamoule (associations, écoles, commerces, temple, etc.), mais également pas mal de disparités et semble-t-il une certaine domination des Tigres.

Question : puisque cet homme n’a pas de solution, pourquoi ne pas le régulariser plutôt que de le laisser croupir dans son statut de sans papier, et l’obliger ainsi à être en permanence dans la précarité et l’illégalité, voire un retour à la délinquance ? 



Christine et Jacqueline

Aujourd’hui, l’attente est longue sous l’abri de fortune des visiteurs, peu de personnel policier disponible semble-t-il. Nous avons pu lier connaissance avec une famille originaire de Thailande : la maman est venue de Lyon pour voir son fils de 39 ans interpellé sur son lieu de travail ( !?), au CRA depuis 9 jours. Les sœurs présentes sont surtout furieuses contre l’avocat payé d’avance, très cher, mais qui n’a échangé que quelques mots avec son client au Tribunal et rien expliqué sur la procédure. La famille est cependant repartie rassérénée car le retenu a rassuré et dit qu’il est bien traité par des policiers qui ne ressemblent pas du tout à ceux de Thaïlande (!)…


Yassine, 12e jour de rétention, CRA2

Le retenu n’entendait pas l’appel pour la visite car il dormait : en effet son état d’anxiété est tel qu’il n’arrive pas à trouver le sommeil la nuit, malgré les médicaments fournis, si bien qu’il dort le jour, ce qui lui permet d’oublier une situation qu’il juge insupportable. Il est extrêmement angoissé, cela se lit sur son visage. Il avait d’ailleurs dit au téléphone qu’il avait besoin de voir un psychologue. 
Il a été interpellé à deux pas de la crèche où il allait chercher son enfant d’un an, sa compagne étant assez occupée par les 4 enfants issus d’un premier mariage.

Le cas a été signalé à RESF qui va dénoncer une fois de plus la séparation d’une famille dont tous les membres vont être déstabilisés. La mère de famille est surmenée car en plus de ses responsabilités habituelles, elle a dû rassembler des documents, écrire des courriers notamment au Préfet, rencontrer les personnes qui peuvent l’aider… aller au CRA avec ses 5 enfants… pour remonter le moral de son compagnon qui menace de se suicider s’il est expulsé (OQTF datant  2012).
Le couple attendait les extraits d’actes de naissance pour se marier civilement, un mariage religieux ayant déjà été contracté. Marié avec une Française, à quelques jours près, cette personne aurait bénéficié d’une carte de séjour : espérons que cela n’est que partie remise et que le Préfet permettra la réalisation de ce projet.


Mehdi, tunisien, 30 ans au 12e jour de rétention, CRA2
Ce retenu est le premier rencontré au CRA qui demande à bénéficier de l’aide au retour volontaire.
Il devrait partir mercredi ou jeudi prochain. Il aimerait rapporter un cadeau à son fils d’un an : Christine reviendra le voir lundi ou mardi pour le lui apporter.
Son itinéraire est classique pour un Tunisien : parti en bateau, au péril de sa vie, il a gagné l’île de Lampedusa, cherché du travail en Italie il y a trois ans. Il n’y a trouvé que du travail saisonnier dans l’agriculture, les difficultés accrues du marché du travail l’ont poussé à gagner la France où il a rencontré les mêmes difficultés, trouvant seulement quelques petits boulots (20, 40 euros au marché) ce qui ne permet pas d’envoyer de l’argent à sa femme et à son fils en Tunisie. 
Il préfère donc « la galère tunisienne » pour l’avenir, au moins il pourra voir grandir son fils. Il n’est pas du tout confiant dans l’évolution de l’emploi dans son pays natal, mais il espère s’installer comme coiffeur et ainsi nourrir sa famille.


M.S., algérien, 43e jour de rétention , CRA3 seconde visite.

Nous avons été amenées à revoir notre contact du CRA 3 - ce retenu nous avait permis de rencontrer des retenus issus de nationalités minoritaires dans les semaines précédentes. Nous avons croisé, à l’entrée du CRA, son compagnon de chambre, que nous avions aussi rencontré. Il avait été libéré 2 jours auparavant, et venait lui apporter cigarettes et portable. Les policiers n’ont pas accepté de s’en charger aussi nous a-t-il demandé de le faire pour lui. Une fois nos deux premières visites terminées, les policiers refusant de se charger de la commission, nous avons dû attendre encore une heure pour pouvoir rencontrer ce retenu, lui remettre ses affaires et lui faire une visite d’une demi-heure. 
Nous avons alors pu évaluer les effets dévastateurs d’une rétention de 43 jours : notre ami s’affirme très critique face aux comportements des autres retenus, «Je suis à l’hôpital psychiatrique» dit-il en évoquant ce qui se passe dans le CRA… Ce n’est pas la première fois que nous entendons ce type de phrase, ce qui en dit long sur l’ambiance dans le centre. Ce qui est nouveau pour nous c’est cette critique, « Les autres retenus » s’avérant être les majoritaires, c’est à dire les Maghrébins dont certains seraient des méchants, mal élevés, qui ne respectent pas les préceptes de la religion : il s’en désolidarise complètement. Les retenus de nationalité chinoise, ou originaires d’Afrique ou d’ailleurs ne sont pas comme ça dit-il. Cela est sans doute vrai, mais il ne veut rien entendre quand nous suggérons que peut-être les conditions de vie des Maghrébins en France ne leur sont pas très favorables et favorisent une certaine agressivité. Son arrestation et sa rétention, est le premier accident qui lui arrive nous dit-il. À l’en croire, si on se tient bien, si on est propre, bien dans le rang et si on respecte le Coran, il ne vous arrive rien. S’il est au CRA c’est de sa faute, il n’avait qu’à ne pas aller à Barbès. Il semble avoir résisté au stress et à la tension ambiante en se réfugiant dans sa chambre et dans la pratique religieuse (Lecture du Coran, prières, dévouement aux autres) mais il nous a semblé cramponné à ses convictions comme à une planche de salut. Nous nous sommes dit qu’une autre manière de se défendre était celle « des méchants ». 
Une lueur d’espoir pour l’après CRA, il va retrouver la femme qu’il doit épouser.




Guy et Christine

Nous avions l’intention de voir 3 retenus ce jour là. D’abord Yassine et Mehdi ensemble et vus avec Jacqueline. Pour remettre au premier la lettre de protestation demandant sa libération au préfet du 92 et de Paris, afin de lui remonter le moral, et au second les cadeaux pour son fils d’un an qu’il va revoir puisqu’il a accepté de repartir en Tunisie. Nous avions ensuite l’intention de rencontrer Karim. Nous avons donc annoncé notre intention à l’accueil. Guy ayant oublié sa carte d’identité est reparti la chercher. J’ai été appelée pour la 1ère visite et le policier m’a demandé pourquoi je voulais voir 3 retenus. J’explique, il me demande si je fais partie d’une association, non bien sûr, il ne me croit pas, me demande comment je connais ces personnes. Je n’aurais pas dû répondre, mais je n’ai pas eu ce réflexe et réponds donc que je les contactais par les cabines téléphoniques. Grand étonnement, ce n’est pas normal, il en réfère à son supérieur qui me fait dire que dans ces conditions, la visite ne peut avoir lieu. Je commence par obtempérer, en me disant que je vais appeler l’ASSFAM et signaler un refus de visite. Je me ravise et demande à parler au supérieur. Je raconte à nouveau mon histoire, le supérieur ne croit pas que je ne fasse pas partie d’une association et je lui rétorque, pleine de sous-entendus, que j’ai des convictions personnelles en ce qui concerne la rétention, ce qui explique mes visites. Il accepte alors que je les fasse mais une par une, et en ressortant à chaque fois. Je signale au passage qu’il arrive que certaines fois, alors qu’on a demandé à voir séparément les retenus demandés, ils soient amenés ensemble à la salle des visites et que dans ce cas nous les voyons ensemble. Ce à quoi il répond que si certains font comme cela, eux font autrement. Je décide donc de commencer par voir Mehdi à qui je confierai la lettre pour Yassine, puis de voir ensuite Karim.
De l’arbitraire encore… Ceci dit j’espère que ma remarque ne va pas avoir pour conséquences une remise à l’ordre des troupes, et que la facilité évidente que l’on trouve depuis un bon moment pour effectuer nos visites, ne va pas en pâtir. Entre les 2 visites, Guy et moi avons discuté de la situation, Guy estimant que nous pouvions citer l’Observatoire, et moi hésitant par peur de nous voir fermer les portes. Comme dit Jacqueline, de toute façon ils ne sont pas dupes, nous ont repérés depuis longtemps et savent très bien que nous ne sommes pas des dames patronnesses (désolée Guy pour cette appellation !).



Mehdi, tunisien, CRA2, 15 jours de rétention.
J’ai donc remis à Medhi les cadeaux pour son fils. Il était évidemment très content, et semblait très heureux de son vol annoncé pour le mercredi. Il avait prévenu sa femme, il note mon numéro de téléphone et me dit que si je viens à Tunis, je dois l’appeler et qu’on fêtera cela. Je lui remets la lettre pour Yassine.
Celui-ci m’appellera pendant l’attente de la seconde visite et me fait dire par quelqu’un qui parle mieux le français tout le bien qu’il pense de notre démarche. Le rôle de cette lettre n’était d’ailleurs pas très clair pour eux, et j’ai dû expliquer en quoi elle consistait et qu’elle n’était pas à présenter au juge… 


Karim, tunisien, CRA2, 31 jours de rétention.
Arrivé en 2010 en Italie, il est depuis 2 ans en France et vit à Annecy avec sa compagne qui a une carte de 10 ans. Bien qu’étant électromécanicien, il gagne sa vie en faisant des petits boulots au noir. Le travail étant plutôt rare à Annecy, il était monté à Paris espérant en trouver plus. Il avait rendez-vous à Barbès pour un boulot, et c’est là qu’il s’est fait arrêté.

Karim est sombre, les yeux cernés et très tendu. Nous ne posons presque pas de question tellement il a besoin de dire tout ce qui l’habite. Il déverse tout au long de la visite l’amertume qu’il a en lui.
Il n’est pas un voleur, n’a jamais rien fait de mal, et accepte difficilement d’être enfermé. Le lendemain de son arrestation, il avait 4 jours de boulot prévu, boulot définitivement perdu… Ce patron là ne le rappellera jamais. Et c’est dur de trouver du travail. Un jour par ci, un jour par là. Il est souvent employé pour nettoyer les chantiers, et le patron lui donnant les clefs du chantier la veille, il peut dormir sur les lieux. Sinon, c’est la rue.
Au CRA tout irait à peu près bien s’il n’y avait pas un policier en particulier qui le cherchait et essayait tout le temps de le provoquer. Il se contient pour ne pas répondre, mais on sent que c’est difficile. D’ailleurs il nous dit avoir été mis plusieurs fois en cellule, ce qui lui permet de se calmer. Pourtant Karim dit qu’il n’est pas violent, mais qu’il sent bien qu’il n’est pas comme d’habitude. L’autre jour, il était tellement tendu, que quand il s’est mis à pleuvoir, il est sorti, a enlevé sa chemise et est resté torse nu sous la pluie pendant 3 heures. Ce n’est pas normal, dit-il, de se comporter comme ça.
Il a payé 600€, emprunté à un patron, une jeune avocate conseillée par l’ASSFAM, très timide et rougissante devant le juge et qui n’a pas ouvert la bouche. Comment va-t-il faire pour rembourser cette somme qu’il a empruntée pour rien ? Il avait demandé un interprète, estimant ne pas parler assez correctement le français pour parler à un juge et comprendre ce qu’on lui disait, mais cela lui a été refusé. 
Karim est très amer et on le comprend.

Il a un vol prévu à la fin du mois, jour de son éventuelle libération. En Tunisie, il n’a plus personne. Ses parents sont morts pendant la révolution. Nous n’avons pas bien compris dans quelle circonstance.



Mai 2013



Odile et Christine


Il y a des visites plus difficiles à supporter que d’autres. Une de celles d’aujourd’hui en fait partie. On pouvait s’y attendre, le cas avait été signalé. Cela n’empêche…

Sergio , CRA2, 22 ans, signalé par RESF. J+8
Sergio a été arrêté dans le RER, car il était passé avec des amis (ils revenaient de leur travail et portaient un gros sac) par le grand portillon réservé à cet effet. Il a validé son pass Navigo mais pas ses amis. Malheureusement pour lui, détenteur d’une fausse carte portugaise, il est resté presque 26h en garde à vue. Apparemment, la police avait du mal à trouver une place dans un CRA (!).
Venu en France depuis juillet 2009 pour aider à faire vivre sa mère (qui a un récépissé) et ses demi-frères et sœurs qui sont scolarisés. Sergio est très désespéré et très affecté par la rétention. Il est victime d’autres retenus qui le menacent s’il ne donne pas ses cigarettes, volent la nourriture qu’on lui a apportée, fouillent dans ses affaires quand il n’est pas dans sa chambre… Il n’a jamais rien fait de mal et ne comprend pas pourquoi il est en prison. Cela le stresse beaucoup. Il est le seul brésilien du CRA, et les arabes sont très racistes envers lui me dit-il. 
Alors qu’il travaillait au Brésil et suivait des cours du soir pour ses études (il voudrait être avocat), il a dû venir en France comme soutien de sa mère et permettre que ses frères et sœurs (20, 18 et 16 ans) étudient. Il n’a aucun contact avec son père, émigré aux USA, qui n’a jamais fait un geste pour lui. Il ne comprend pas qu’on arrête des gens comme lui qui veulent juste travailler, et qu’on ne fasse rien contre ses employeurs, dont des grosses entreprises comme ONET (nettoyage, logistique, sécurité, manutention dans les aéroports…), qui profitent du fait qu’il a des faux papiers pour ne pas lui payer tous ses jours de travail. Ce qui l’affecte le plus, c’est que son amie, brésilienne elle aussi, mais beaucoup plus âgée et arrêtée en même temps que lui, à accepter d’être expulsée vers le Brésil où sont ses enfants. Il ne peut pas la suivre, car cette situation est très mal vue là-bas. Elle habite à 400 km de chez lui et lui n’a plus personne au pays. Il se met à pleurer de manière irrépressible et ne s’arrêtera pas jusqu’à la fin de la visite. Si elle part me dit-il, il partira aussi, mais pas de la même manière… Il répétera cela à plusieurs reprises avec conviction. J’essaye de lui remonter le moral comme je peux, mais face à ce profond désespoir, je me sens assez impuissante.
Sergio parle presque parfaitement le français et arrive même à le lire. Il a appris seul et aussi grâce, me dit-il avec le seul sourire de la visite, aux petites amies françaises qu’il a eu avant de rencontrer son amie brésilienne. Il parait parfaitement intégré.
Quand le policier nous raccompagne à la sortie, je lui signale que ce retenu est très dépressif et m’a parlé de suicide. Il me répond qu’ils sont au courant et qu’il est très surveillé pour cela (y compris par caméra dans ses déplacements) mais qu’en même temps, ils sont 4 pour 50 personnes…

De retour chez moi j’essaye sans succès de joindre l’ASSFAM pour communiquer mon inquiétude. Je le fais finalement par mail. Je veux aussi signaler que les policiers avaient refusé à Sergio de chercher au dépôt son pass Navigo que l’avocat lui demandait d’apporter à l’audience du JLD pour prouver qu’il avait bien validé son titre de transport. Il est pourtant stipulé dans le règlement intérieur que les retenus ont le droit d’avoir accès aux affaires personnelles déposées à l’accueil lors de leur arrivée. 




Jacqueline et Christine

Sergio, brésilien de 22 ans, CRA 1, J+20. Seconde visite.

Pour échapper aux agressions, M. Cabral a finalement demandé à changer de centre et est passé au CRA1. Il est dans la même chambre qu'un algérien beaucoup plus âgé que lui, et est très content, car celui-ci l’a pris sous sa protection.
Cependant il a le visage tout bouffi par les médicaments. Il explique qu’il prend 8 valiums par jour (!) pour se calmer. Il ne supporte pas de ne rien faire et dit qu’il ne peut pas faire autrement. La nuit, s’il ne prend rien, il ne peut pas dormir à cause du bruit. Le jour il aimerait faire quelque chose de ses mains mais la police refuse que sa mère lui apporte des fils de coton pour faire des bracelets brésiliens…
Nous soulignons le fait qu’il va développer une accoutumance et que ce sera très difficile pour lui quand il sortira. Il en a conscience.

Son amie a accepté son expulsion vers le Brésil, et lui s’y est résigné. Il est malgré tout beaucoup moins dépressif que la fois précédente. 8 valiums par jour, ça y fait !



Jacqueline et Christine

Ces trois visites reflètent  bien comment actuellement on fabrique des délinquants, comment on détruit les rêves, les ambitions, comment on écrase les personnes dont on nie le droit fondamental à la vie... à la vie décente, à la vie de leur choix, à la liberté.

Personne à l’accueil des visites,  pas d’attente car un  policier vient nous chercher dix minutes après notre demande. Comme la fois précédente, on nous a demandé nos cartes d’identité à la guérite. Une nouvelle consigne ? Cela a même étonné le policier qui est venu nous chercher pour la visite.
Nous venions voir un retenu contacté à la cabine. Une fois la visite terminée, avant d’arrivée à la sortie où nous raccompagnait le policier, nous avons demandé à en voir un autre, celui qui n’avait pas répondu la fois précédente. « Il aurait fallu le dire avant, on l'aurait appelé depuis là-haut ». Devant notre étonnement face à la différence des pratiques (une fois il faut ressortir pour demander à voir le second retenu, la fois d’après il faut faire le contraire) le policier, partisan de la simplicité et de la seconde solution, nous a dit que c’était au bon vouloir du fonctionnaire. Il n’y a pas de règlement précis à ce sujet. On s’en doutait.
Le second retenu ne répondant pas à l’appel, nous avons demandé à voir M. Luis C. qui ne demandait que cela. Il voulait nous remettre les bracelets fabriqués avec les fils de coton apportés par Jacqueline la fois précédente et que les policiers avaient enfin accepté. Dommage qu’il ait oublié de les prendre avec lui. Le second retenu ayant fini par répondre, Jacqueline s’est mise à une table avec lui et moi à une autre avec Luis.


Salah, 31 ans, CRA3, 13e jour de rétention 

Le récit de nous fait Salah pendant la demi-heure de visite  illustre  à la fois les illusions, les frustrations et les impasses d’un parcours de migrant.
Salah a quitté son pays à l’âge de 25 ans parce que, dans son pays, il ne trouvait pas un emploi suffisamment  payé pour assumer la charge nouvelle d’un enfant. Il pensait alors que la France dont il parle parfaitement la langue (il est bachelier) pouvait  offrir une amélioration de son niveau de vie et de celui de sa famille. Profonde désillusion : pendant 6 ans, les dures réalités de sa vie de travailleur sans papiers ont remis en cause aussi bien l’image officielle de la France transmise par les livres et par son père instituteur que les fausses promesses des publicités de la société de consommation diffusées par les moyens modernes de communication.
Il a survécu très difficilement avec des petits boulots, notamment de vente à la sauvette, pour finir par tomber dans la vente de shit…  « Pas le choix ! » dit-il. C’est ce qui l’a conduit en prison pour 11 mois. Libéré, il a été conduit au CRA pour attendre que soient  réunies les conditions de son expulsion… Double peine pour une personne qui a par ailleurs tout perdu, effets personnels et surtout les quelques preuves de vie en France pendant plus de 5 ans car « Quand vous êtes dans les problèmes, vous n’avez plus d’amis ». Personne n’a récupéré ses affaires, personne ne vient le visiter, personne ne l’attend à la sortie. 
Il voudrait surtout  garder le contact avec sa famille, surtout avec sa femme qui vit chez ses parents au pays : il nous a demandé d’acheter une carte pour leur téléphoner dans une plus grande l’intimité. Il se plaint beaucoup des conditions de vie dans le CRA qu’il considère plus pénibles que celles de la prison : personnes violentes mieux contrôlées, intimité protégée en cellule où il était seul, travail dans les cuisines qui l’occupait une partie de la journée. En rétention, au-delà de l’angoisse de l’avenir avec les procédures en cours, avec les vols annoncés chaque jour, l’ennui domine ainsi que la dépendance à l’humeur des autres retenus.


Sergio, brésilien, CRA1, 35e jour de rétention, 3e visite.
Sergio est de nouveau très inquiet à cause de la violence de certains retenus dans le CRA. Son compagnon de chambre, vu avec lui le à la précédente visite, étant au JLD, il n’avait plus aucune protection et était sûr qu’en son absence sa chambre allait être fouillée, qu’on lui aurait pris la nourriture apportée par sa mère et volé les bracelets qu’il fabrique.
Il semblerait qu’un retenu tunisien joue au caïd et fasse régner « la terreur ». D’ailleurs il a été en garde à vue 24h pour avoir frappé un policier, et en son absence tout était calme, ses acolytes étaient devenus gentils. Dès son retour les bagarres ont recommencé.
Il me raconte que les retenus se regroupent par nationalité. Ceux qui sont isolés, comme lui, seul brésilien, sont vulnérables. Un pakistanais venait d’être roué de coups pour la deuxième fois par ce caïd et sa bande, et emmené à l’hôpital. La cicatrice d’une opération récente se serait ré-ouverte. Il avait déjà eu le visage tailladé par les petites lames de rasoir récupérées sur les rasoirs jetables… et n’avait pas osé porter plainte à cause des menaces reçues s’il le faisait.
Il souhaite pour son compagnon de chambre qu’il soit libéré par le juge, mais doit trouver une nouvelle protection si c’est le cas.
Il est clair que cette privation de liberté injustifiable et l’absence totale d’activité ne peuvent que favoriser la violence. Elle est peut-être pour certains la seule expression de révolte possible face à celle que représente la rétention. Il faut comprendre que les retenus sont plus d’une cinquantaine par CRA, et en dehors des chambres, ils sont dans un espace commun sans policiers. Cet espace est sous surveillance vidéo, ce qui n’a pas l’air de suffire à prévenir les violences. Les policiers sont 4 par centre et font des rondes toutes les ½ heures à l’intérieur même du centre. 
Cette description de Sergio semble confirmer l’affirmation du premier retenu visité : la prison c’est mieux que la rétention…

Sergio nous appelle quelques jours plus tard pour nous apprendre qu'il a été finalement libéré.


Kader23 ans, CRA 2, 19e jour de rétention.

Kader ne dira pas sa nationalité au cours de notre entretien : il n’a pas de passeport, et n’a pas parlé devant le consul auquel il a été présenté : il compte sur l’absence de laisser passer pour éviter l’expulsion. En effet, il sait qu’un vol a été programmé par la préfecture pour le 6 juin, jour où il devrait aussi passer devant le deuxième JLD au 25e  jour de sa rétention. Son anxiété est manifeste.
Trois ans plus tôt Kader est venu en France pour travailler quelque temps, premier de sa famille à émigrer. Il a réussi à travailler régulièrement grâce à une compétence professionnelle dans le bâtiment, il a même payé des impôts mais il a toujours eu des difficultés à se loger même en sous-location. Il vivait dernièrement dans un squat, une descente de police a entrainé un contrôle d’identité, son arrestation et la mise en rétention  pour séjour irrégulier.
Il vit mal la privation de liberté à cause de la promiscuité et du bruit : il ne s’est endormi qu’à 7h ce matin : des vols pour expulser plusieurs retenus ont provoqué des troubles, « les cris ont duré toute la nuit », à d’autres moments, « c’est la musique à fond », les hauts-parleurs qui appellent pour les visites, pour les divers rendez-vous des uns ou des autres. Pour faire passer le temps, éviter les accrochages, oublier l’anxiété générée par l’incertitude de l’avenir, il reste dans sa chambre et dort. C’est pour cette raison que, la semaine dernière, il n’a pas répondu à l’appel pour notre visite pourtant convenue ensemble.





Visite de Yveline et Jacqueline


C’était la première visite  au CRA pour Yveline : le beau temps était le seul élément favorable car il a fallu attendre plus d’une heure que l’on vienne nous chercher ! Et ce jour là le jeune policier nous a dit fermement que nous ne pourrions pas voir ensemble les deux retenus qu’Yveline avait demandé à voir dès son arrivée devant l’accueil. La policière qui attendait en haut n’était pas non plus de celles avec qui on discute : Yveline a donc fait courageusement sa première visite seule. Mais il faut dire que par son métier, elle a l’habitude de rencontrer le public, et qui plus est, un public diversifié. 

Driss, 35 ans, 23e jour de rétention au CRA1.

Il avait répondu au téléphone la veille, très demandeur de visite, il avait aussi conseillé de voir un autre retenu en difficulté, « mais qui ne parlait pas bien français » d’où l’idée de les voir ensemble, ce qui n’a finalement pas été possible ce jour-là… Pourtant il ne s’est pas révélé très participatif.
Il est né en France, de parents immigrés mais n’y a pas passé toute sa jeunesse, il n’est revenu qu’à 21 ans, il ne pouvait plus demander la nationalité française... 
Il a été arrêté lors de l’évacuation par la police d’un squat parisien où il habitait, sans papiers, il a été amené au CRA en vue d’une expulsion. Pourtant il a un enfant français de 2 ans et demi… Ses explications sont évasives : il ne s’entend pas avec la mère, « il s’est fait voler ses papiers », en tout cas il semble vivre de façon marginale. Mais depuis quand ?
 « Cela fait 25 ans que je travaille ! » dit-il. Il ne veut plus travailler pour un patron et souhaite se mettre à son compte. Qu’est-ce que cela veut dire quand on est sans papiers ? Nous lui conseillons de s’adresser à une A I, association intermédiaire multiservices pour une meilleure insertion et nous lui remettons le document portant les adresses de permanences juridiques, médicales, centres d’accueil et repas gratuits pour sa sortie.
Il ne souhaite pas s’appesantir sur les conditions de vie au CRA : « c’est bien ». Il ne prend pas de médicaments « contrairement à 83% des retenus », il ne dit pas d’où vient ce chiffre.…


Nabil, Tunisien, au 33e jour de rétention, CRA1. 
Camarade de chambre du précédent, il parle mieux le français que prévu, rendant un vrai échange possible. Le parcours de migrant de Nabil est complexe : parti de son pays en 2008, il a séjourné un an en Libye puis il est passé en Italie et enfin en France où il réside depuis trois ans. Il y vit avec la personne qu’il compte épouser, elle est en situation régulière, travaille et est actuellement  enceinte. Elle a produit une attestation prouvant qu’il s’occupe de l’entretien de ses deux enfants issus d’un premier mariage.
La situation de sans papiers a valu à Nabil de se retrouver en CRA de  Rouen (5 jours) et sous le coup d’une Obligation de Quitter le Territoire (OQTF d’octobre  2012). Il aurait aussi fait de la rétention en Belgique. Un nouveau contrôle d’identité l’a amené au CRA de Vincennes où cela s’est mal passé : il a été accusé d’avoir injurié  un policier, emmené 3 jours en garde à vue à Chatelet, là il dit avoir été  maltraité mais cela ne semble pas avoir donné lieu à plainte engagée par l’ASSFAM, ni avoir joué un rôle favorable auprès du JLD.
Devant ses difficultés à trouver du travail en étant sans papiers, Nabil a voulu demander à l’OFII de bénéficier d’une aide au retour volontaire : il voudrait ouvrir un commerce au marché, se marier en Tunisie avec la personne dont il attend un enfant pendant ses vacances, engager ensuite une procédure de regroupement familial, une démarche qui lui a été conseillée par les services sociaux, mais il ne semble pas bien maîtriser ces procédures : nous lui conseillons de se faire aider par une association tenant une permanence juridique dans les Hauts de Seine.