Les visites de décembre 2012 et janvier 2013


Nous avons visité plusieurs jeunes majeurs au cours du mois de décembre 2012. On appelle jeune majeur quelqu'un qui est arrivé mineur en France et est devenu majeur au cours de son séjour. Beaucoup de lycéens sont dans ce cas-là. Alors que nous rédigeons ce message le 18 juin 2013, leur situation reste toujours aussi préoccupante.
Voici les réflexions, livrées dans un compte rendu de visite, que cela a inspiré à l'une d'entre nous à l'époque.

Les visites successives à deux mineurs, l’évocation d’un troisième par un retenu, de même que les commentaires des associations habituées à défendre les retenus sur la difficulté à défendre ces jeunes majeurs nous  inquiètent… Rien d'automatique dans le CESEDA (code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile) et dans la circulaire Valls (voir page 5 ), tout au cas par cas, sous plusieurs conditions ! Il faudrait à partir de ces cas, faire un renvoi aux textes de référence et à la pratique effective en la matière dans le blog de l’Observatoire
Avec un commentaire du type « Traitement des jeunes majeurs : le scandale ! »
- 1- Ces jeunes majeurs sont fragilisés, par leur âge, mais aussi parce que leur vie familiale a souvent été perturbée du fait de la migration de leurs parents.
Ils ont fait en général un énorme effort d'adaptation à un autre pays et ont développé des qualités d'ouverture remarquables.
On empêche la poursuite de leur insertion dans la société française et on se prive de ceux qui nous seraient fort utiles pour affronter un monde en perpétuel changement : l'immigration n'est pas un problème c'est une chance ! 
-2- La chose est incompréhensible, c'est contre-productif car la France a investi sur eux et est en droit d'attendre en retour un bénéfice pour son développement économique, social, culturel.
-3- Ce choix est inquiétant car après avoir formé ces jeunes aux valeurs de la République à travers l'Education Nationale, la France bafoue les principes les plus élémentaires. En les sortant de la communauté des jeunes qui les a parfaitement inclus, elle remet en cause le principe d'égalité des droits, elle les enferme au CRA au mépris de la liberté alors que cela devrait être le dernier recours, dans des conditions qui portent atteinte à la dignité humaine, elle renie l'hospitalité dont elle avait fait preuve au mépris de la fraternité.
Alors pourquoi une telle attitude ? Est-ce toujours au nom d'une « immigration choisie » aux dépens d'un regroupement familial pourtant conforme aux traités internationaux ratifiés par la France ? « Le pays des droits de l'Homme » en est-il vraiment venu à se satisfaire d'une «  immigration jetable », devant faire les frais des ajustements de crise ou devant être jetée en pâture dans le débat public quand la précarisation généralisée de la société française conduit certains à se tromper de cible pour compenser leurs frustrations ?
Les droits sont universels et indivisibles : ils doivent être garantis en tout lieu et en toute circonstance à tous.

Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.

Visite par Jacqueline et Christine

Exceptionnellement nous gardons le nom et le prénom de ce premier retenu visité en ce mois de décembre 2012. Son cas a été médiatisé grâce à une grande campagne de soutien, et à l'heure de la publication de ce message, il n'est toujours pas résolu.

Le bon peuple peut être rassuré, il existe  au moins un domaine, où l’autorité de l’Etat s’exerce avec force ! Une réglementation de nos grandes banques pour éviter la ruine des petits déposants ? L’obligation faite à un grand groupe industriel d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses salariés plutôt qu’aux actionnaires et aux banques ? Non, vous n’y êtes pas, car là, il faut composer avec l’égoïsme de trop fortes parties ! 
Non, l’arsenal étatique, judiciaire, policier, administratif est mobilisé efficacement pour arrêter les « Sans papiers », ces étrangers qui vivent sur notre sol et ne sont pas en règle vis à vis de la Préfecture où ils ont cependant bien souvent fait la queue ! En effet chaque jour, on continue d’arrêter des pauvres qu’on ramasse dans la rue, dans les gares, sur les chemins qu’ils empruntent malgré les risques parce qu’il faut bien aller chercher le boulot là où on veut bien vous le donner… On arrête des jeunes qui n’ont pas tout compris des arcanes administratives et des dossiers qui ne sont jamais complets…Tout ceux là sont faciles à repérer car plus colorés que la moyenne, on arrête au faciès… La vérification d’identité en 4h ne suffit pas, il faut plus pour instruire le délit (défaut de titre de transport, rébellion, et bien sûr absence de titre de séjour, qui lui n’en est pas un)… On les enferme alors dans des centres de rétention inconnus du grand public en attendant de faire le tri et de les renvoyer d’où ils sont venus souvent depuis bien longtemps, eux qui voulaient croire qu’ils finiraient bien par s’intégrer ici puisqu’ils en avaient tellement bavé ! Voilà le domaine où la machine est rodée et où on peut continuer d’afficher pour l’opinion publique des « résultats probants » : lutte contre la délinquance, expulsions d’indésirables ! De l’efficacité qu’on est bien en peine de trouver ailleurs !
   Cela même si c’est en contradiction complète avec d’autres actions engagées par l’Etat de façon beaucoup plus honorable, comme le titrait l’alerte RESF « De l’Aide Sociale à l’Enfance au CRA ! » avec le cas d’Ahmed Sohail.

Ahmed Sohail, CRA2, pakistanais, 23 ans. 13e jour de rétention.

Nous avions été alertées par Danielle, qui relayait RESF, sur le cas d’Ahmed.
Nous connaissions donc son histoire en arrivant, mais une chose est de la lire et une autre de l’entendre racontée par celui qui l’a vécue.
Nous avons vu arriver un très grand jeune homme mince, au visage fin et aux yeux clairs. Un grand sourire, apparemment content de recevoir une visite.
Un dossier vert sous le bras, contenant toute sa vie en France, commencée à 14 ans le jour de son arrivée à l’aéroport, en 2004, où le passeur qui l’accompagnait l’a abandonné sur le trottoir, emportant avec lui son passeport et ses bagages. Il a trouvé un compatriote compatissant, chez qui il a dormi au chaud 1 ou 2 nuits, mais après il a dû se débrouiller tout seul. 
Ses parents, menacés de mort, avaient préféré envoyer leur fils dans un pays où il aurait des chances de s’en sortir…
Fébrile, il commence à sortir des papiers de son dossier pour nous prouver qu’il a bien été placé dans un foyer au Kremlin-Bicêtre. Nous le rassurons en lui faisant comprendre que nous n’avons pas besoin de preuves, qu’on le croit sur parole.
Il nous raconte son premier séjour au foyer : il ne comprenait rien au français, n’avait plus aucun repère, était devenu la tête à claque au sens propre du terme, de la part d’autres jeunes. Dès qu’ils le croisaient, tiens, une claque !.. Il fugue à plusieurs reprises. De nouveau hébergé quelques temps par un compatriote il se retrouve encore à la rue, et de lui-même se rend dans un commissariat de Bobigny pour dire qu’il est seul ici et ne sait pas où aller. Les policiers l’amènent dans un foyer. Il est finalement pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), placé 4 mois dans une famille (gentille) en Normandie pour apprendre le français, puis remis en foyer et il commence enfin à se stabiliser et à suivre une scolarité, en CAP plomberie. Il tient à nous montrer, modestement, des bulletins de notes flatteurs, prouvant son désir d’intégration et un début prometteur.
Il fait une demande de titre de séjour à sa majorité et obtient en 2008 un titre de séjour étudiant, puis bénéficie d’un contrat jeune majeur jusqu’à ses 21 ans. 
Mais à 21 ans il est de nouveau livré à lui-même, remonte à Paris pour essayer de trouver du travail, et trouve un employeur prêt à l’embaucher. La préfecture traîne à lui délivrer un titre de séjour avec un statut de salarié, malgré le certificat d’embauche fourni. Il n’aura que des récépissés de 3 mois renouvelables. Au bout d’un an l’employeur se lasse et renonce à employer Ahmed. La préfecture s’empresse alors de lui notifier une OQTF en mai 2011. Malgré le signalement de son changement d’adresse, elle est envoyée à l’ancienne, donc, Ahmed n'a pas pu faire de recours…
Il est arrêté pour un défaut de titre de transport. Cela pose d’ailleurs une question. Il y aurait-il collusion entre les contrôleurs RATP et la police ? 
Il ne comprend pas pourquoi il est ici, et il l’a dit au juge : « La France m’a recueilli, nourri, logé, formé et maintenant vous voulez me renvoyer au Pakistan ? Je ne comprends pas la logique » Il nous dit avoir bien compris que la devise de la France n’est pas valable pour les gens comme lui…
Au Pakistan, plus personne. Il n’a plus réussi à contacter ses parents depuis 2007. Il ne s’étend pas. Sur le site de RESF on peut lire que des proches lui ont dit qu’ils auraient été assassinés. S’il y retourne, il sera mis d’office en prison, et si personne ne paye pour l’en faire sortir, il y restera et sera le candidat idéal pour remplir le rôle d’un coupable introuvable.
Nous l’écoutons, abasourdies par son histoire. La colère monte et donnera le billet d’humeur que Jacqueline, pleine de rage, proposera d’envoyer au blog Fini de rire sur le site de Mediapart, (billet d’humeur que nous reprenons tous à notre compte).
Nous avons sous les yeux l’incarnation même du migrant sans papiers et donc expulsable, fabriqué par une machine bien rôdée.


Soham , indien, CRA 2, 15e jour de rétention

Ce retenu a été recommandé par un autre retenu qui nous avait signalé au téléphone son terrible isolement lié à une ignorance complète de la langue française. L’entretien a été particulièrement éprouvant car nous ne comprenions que très difficilement son anglais, et il comprenait tout aussi mal le nôtre. Mais aussi parce que nous ressentions l’extrême tension dans laquelle il se trouve. Celle-ci  se traduit d’ailleurs par un mal de tête permanent qu’aucun médicament ne semble vraiment soulager.
Il vit un double enfermement celui du CRA et celui de la langue. D’après son voisin de chambre les autres retenus le malmènent, il se plaint des violences entre retenus liées à la promiscuité, à l’ennui. 

Il a quitté l’Inde en 2010 en payant un intermédiaire au prix fort, son père lui ayant demandé de partir pour gagner de l’argent (Notamment  pour soigner sa mère malade). 
Nous ne saurons pas pourquoi il a « choisi » la France. Il ne parle pas du tout le français car il ne travaille et ne vit qu’avec des compatriotes d’origine indienne. Mais nous avons bien compris que la vie est difficile en France, il faut payer pour le lit (6, 8 personnes par chambre), payer pour les repas, payer pour le travail…
Nous l’avons rencontré  à son 15e jour de rétention qu’il vit très mal.
Il a été arrêté alors qu’il se livrait à l’activité de vendeur à la sauvette de petits gadgets pour les touristes. Les choses se sont très mal passées au Commissariat, il a d’ailleurs porté plainte pour coups et blessures, par l’intermédiaire de l’ASSFAM, et il a été examiné à l’hôpital. Mais les juges n’en ont pas tenu compte, le JLD a prolongé  la rétention de 20 jours 
C’est son deuxième séjour en CRA. Cependant les expulsions des Indiens, en particulier celle des Sikhs, seraient  souvent empêchées par le refus des autorités consulaires de délivrer un laisser- passer. 

Cinq jours plus tard, il a été libéré par le 2e JLD, confirmant le commentaire précédent.



Agnès et Danielle

Une énergie nouvelle pour l'observatoire du CRA de Vincennes : Agnès, amie de Colette, vient nous prêter main forte pour les visites ; et comme un bonheur n'arrive jamais seul, les policiers sont vraiment aimables ; lors de notre seconde visite, ils laissent entrer toutes les personnes qui attendent car, nous disent-ils, il fait très froid. Quatre tables d'occupées dans la salle des visiteurs, nous n'avions pas vu cela depuis bien longtemps. Il est vrai que nous sommes au mois de décembre, le mois de Noël.
Noël toujours… Bien que les retenus visités soient musulmans, est-ce l'approche d'une naissance illustre qui les rend si fatalistes, presque optimiste pour l'un, s'en remettant totalement à Dieu ? 
Et, près de la porte du CRA, Emmaüs finit d'aménager un bâtiment qui depuis une semaine abrite une première famille de sans abris. Le CRA s'ouvre vers l'extérieur, mais ce n'est pas tout à fait ce que nous espérions. Notre Noël attendra…

Daouda (CRA3) Ivoirien, 1 jour de rétention.

Depuis un an et neuf mois en France, Daouda s'est fait arrêter hier à 7h du matin vers Châtelet alors qu'il partait chercher du travail. Quatre heures de garde à vue, OQTF que l'ASSFAM va tenter de faire annuler devant le tribunal administratif dans deux jours.
Avant la France il a résidé deux ans en Espagne où il a fait une première demande d'asile politique, refusée. Puis, après un bref séjour en France, une seconde demande également refusée. L'ASSFAM va faire une autre demande, en France cette fois-ci. En fait l'asile politique a peu de chance d'être octroyée car le retenu a quitté la Côte d'Ivoire en raison de profondes mésententes avec tous les membres de sa famille.
En Côte d'Ivoire il était chauffeur dans une société de taxis.
Le retenu a une adresse postale dans une association et dort par terre dans le couloir d'un foyer car il n'a pas assez d'argent pour payer un lit. Il n'a aucune famille en France et a 31 ans. Au milieu de cette galère, il a un ami qui lui téléphone à plusieurs reprises lors de notre entretien, et va lui rendre visite juste après nous.
Daouda comprend assez bien sa situation et le risque d'expulsion vers la Côte d'Ivoire. Il s'en remet à Dieu : « si je dois retourner en Afrique… je partirai… c'est Dieu qui décide… » et ne semble pas envisager de s'opposer à une telle mesure d'éloignement.



Abdoulaye (CRA3) Ivoirien, 2e visite, 30e jour de rétention.

Abdoulaye n'est plus l'homme angoissé, au débit de paroles très rapide, que nous avions rencontré en novembre avec Gérard.
Je comprends vite ce changement spectaculaire : il a rencontré Madame le Consul, lui a expliqué combien il craignait de repartir en côte d'Ivoire, craignant pour sa vie car connu comme opposant au régime actuel. 
Madame le Consul promet qu'elle ne donnera pas de laissez passer, c'est trop dangereux pour lui. Et Abdoulaye m'explique combien il est soulagé depuis.
Soulagé et heureux car il est devenu une personnalité reconnue et appréciée des autres retenus : il organise la vie spirituelle dans le CRA3, cinq prières par jour pour une trentaine de personnes (soit environ la moitié de l'effectif actuel), réunies dans la « pièce à vivre » près des cabines téléphoniques ; au début, les policiers n'ont pas trop aimé que cette pièce devienne une salle de prières ; mais le retenu a su les convaincre que la quiétude qui règne au CRA est dû à ces moments, aux paroles qu'il sait trouver pour convaincre ses compagnons de rester calmes, respectueux de l'ordre policier. 
Et le CRA3 est serein grâce aux prières d'Abdoulaye… enfin, beaucoup autour de lui prennent quand même des médicaments pour oublier la rétention, l'expulsion. Lui il en a aussi pour de l'allergie et pour l'aider à dormir.
Mais il n'est plus qu'un sourire, rit même en me racontant son dernier coup d'éclat : un autre retenu profitait de ces moments de prière pour voler, alors lui et ses amis l'ont enfermé dans une chambre, sans lui faire de mal me précise t-il,  et sont allés chercher « le monsieur policier » pour tout lui expliquer ; fort de son aura, il a demandé que ce voleur soit changé de CRA : le CRA1 a maintenant un nouveau retenu, peut être bien voleur.
« Dieu m'a donné des amis, je n'en avais pas en arrivant ici, mais maintenant on m'écoute, on me connaît, je les aide ». Puis, en hésitant, le mot est difficile « c'est une compensation ; je suis enfermé alors Dieu me donne une compensation ».
Madame la policière vient nous dire très gentiment que la visite est terminée. C'est vrai, Abdoulaye est vraiment très apprécié.



Visite par Odile et Jacqueline

Ahmed Sohail  (CRA 2), pakistanais de 23 ans, au 20jour de rétention. 

C’est la deuxième visite de l’Observatoire, son cas a fait l’objet d’une alerte de RESF, nous avons essayé de faire connaître ses difficultés aux medias, sans succès sauf auprès des auteurs du blog Fini de rire hébergé par MEDIAPART qui a accepté de publier notre billet d’humeur. Politis l’a cité aussi dans le blog RESF-Politis 

Aujourd'hui, il était plutôt en forme, il semble qu'il joue un rôle de conciliateur entre les retenus lorsque montent des tensions liées à la promiscuité et à l’ennui.
Il a des contacts avec l'extérieur, son ancien voisin de chambre libéré lui voue une grande reconnaissance pour l'avoir soutenu (« Je ne t'oublierai jamais »). Il « protège » les jeunes entrants dont un marocain de 19 ans qui était en dérive, à la rue, soumis à l'influence de « mauvais amis » dépendant de l'alcool, de la  drogue : il lui a prêté son téléphone pour qu'il appelle sa mère au Maroc (à qui il n'avait pas parlé depuis 5 mois), il est plus calme maintenant. 
Il est même prêt à s'occuper d’un jeune majeur du CRA 1, que nous visitons également et qui nous inquiète beaucoup : arraché à son lycée, à sa famille, il demeure prostré et incapable de parler.
 Ahmed dit qu'il aurait une promesse d'embauche (Entreprise d'électricité où il a travaillé). Il veut compléter son dossier de régularisation  commencé avec une association juste avant son arrestation. Il nous a demandé de susciter des témoignages en sa faveur auprès de son ancien Lycée et auprès d’un agent de l’ASE qui lui avait dit « Si tu as un problème, appelle-nous ».



Visite de Colette et Danielle 

Expulsions mode d'emploi : 
Peut-être avez vous lu l'histoire de d'Abdoulaye, ce monsieur de Côte d'Ivoire très anxieux et nerveux lorsque nous l'avons rencontré la première fois, envahi d'une peur palpable : demandes d'asile politique refusées malgré plusieurs contacts avec l'Ofpra et l'aide d'associations, prolongation au CRA par le JLD, un vol évoqué mais inimaginable pour lui, vers un pays où il craint pour sa vie. 
Un tout autre homme trois semaines plus tard : Madame le consul l'a complètement rassuré, elle ne donnera pas de laissez-passer, un retour vers La Côte d'Ivoire serait trop dangereux pour lui. Il est serein Abdoulaye, épanoui, heureux ; il se sent même aimé par les autres retenus, devenus amis, pour qui il organise les prières dans « la salle de vie » avec l'accord, nous n'osons pas dire la bénédiction, des policiers ; il est reconnu, enfin, il n'est plus un sans papier qui se cache. Il faut juste rester au CRA encore un peu, quatorze jours, pour arriver à 45.
Trop gentil Abdoulaye comme nous le dit un retenu vu aujourd'hui : il a tout dit à Madame le Consul, tout ce qu'il fallait pour que le laissez passer qu'elle va pouvoir établir permette son expulsion vers la Côte d'Ivoire, deux jours après notre deuxième visite. 
Il semble qu'il y ait aussi d'autres façons de faciliter l'expulsion : celle-ci est évoquée par Monsieur X, tunisien rencontré devant le CRA qu'il a connu il y a plusieurs années. Monsieur X nous raconte un bout de son parcours : 
En France depuis 20 ans ainsi que plusieurs membres de sa famille, Monsieur X est emprisonné pour « des bêtises » et, application de la double peine, est amené au CRA à sa sortie de prison. Il veut évidemment rester en France et ne communique rien qui pourrait permettre son expulsion à l'administration. Et pourtant, sans trop savoir comment, il se retrouve à l'aéroport, accepte de partir, sans protester. Aujourd'hui encore, il ne comprend pas, mais est persuadé que sa passivité d'alors fut liée à la prise de médicaments ; camisole chimique ? 
Le retour en France de Monsieur X mérite quelques mots : au bout de 5 ans en Tunisie, très malheureux et sans famille, il a enfin un nouveau passeport qui lui permet d'aller en Turquie ; arrestation au moment de quitter la Turquie, 4 mois de prison ; à sa sortie, passage en Grèce avec 5 compagnons en marchant 15 jours à travers la montagne, se nourrissant comme ils pouvaient ; travail en Grèce pendant quelques temps pour s'offrir un billet d'avion vers la Belgique, puis le train vers la France…. Aujourd'hui il est marié, a une enfant née en France, scolarisée depuis deux ans ; courage Monsieur X, dans un an la France ne pourra plus vous expulser, sauf si...


Hamid (CRA3) Maghrébin, 34 jours de rétention.

Jeune homme qui parle et comprend mal le français ; ne donne pas sa nationalité réelle aux autorités. C'est à lui que nous demandons des nouvelles d'Abdoulaye qui était aussi au CRA3.
En France depuis 3 ans, travail au noir. Nous essayons de lui expliquer pourquoi nous sommes là, pourquoi nous posons des questions sur le consul… mais il sait tout par ses copains et notamment qu'il ne faut pas parler au consul…
Garde à vue de 48h à Barbés dans un « endroit froid et qui sentait très mauvais » ; pas vu d'avocat ????
Plutôt souriant et épanoui, ravi des cigarettes, a la visite de son amie et devait se marier « demain » dit-il ! Mais l'administration lui a demandé des preuves et il ne comprend pas très bien pourquoi.

Sortie théorique du CRA : fin décembre 2012


Visite par Christine et Jacqueline

Une seule policière pour nous emmener au parloir.
Nous n’avons pas pu donner aux retenus les abricots secs qui avaient pourtant été tolérés par un autre policier lors  la dernière visite. Application stricte du règlement cette fois. Pour obtenir un changement, il nous a été recommandé d’écrire au chef de centre ou demander un rendez-vous  pour obtenir qu’à titre exceptionnel soit accordé un élargissement des cadeaux possibles aux retenus.


A., CRA2, 17e jour de rétention

A. a été arrêté au début de décembre.
Il a été défendu devant le juge administratif par un avocat personnel mais il n’a pas  vu l’ASSFAM dont il ne semblait pas avoir compris le rôle à cette époque, il n’a pas fait appel.
Son avocat n’a pas voulu le défendre pour le premier JLD (problème d’honoraires semble-t-il.) Pas d’appel non plus. Il a pris contact avec un autre avocat (1000 euros) pour le deuxième JLD par l’intermédiaire d’Ahmed Sohail.

Il ne s’est pas présenté sous sa vraie nationalité.

Il réside en France depuis  2000 mais ne dispose de preuves de vie que pour les 10 dernières années :  il était associé à une autre personne qui avait mis l’affaire à son nom, il a des quittances de loyer. Il vit à Paris avec une amie qui n’est venue le voir qu’une fois car elle a son travail. Il regrette d’avoir perdu son travail et son logement avec sa mise en rétention mais il fait  preuve de calme. 

Il s’entend bien avec Ahmed qui le fait profiter de son expérience du CRA et de ses conseils.
Il partage les avis de son camarade sur la nourriture « immangeable», sur les bagarres déclenchées par certains , sur les discriminations de l’association qui gère la vie matérielle du CRA ( favoritisme pour les maghrébins pour la distribution de couvertures par exemple)


Ahmed SOHAIL, CRA2, 30e jour de rétention.

Il a manifestement retrouvé son calme après les désillusions de son deuxième JLD (dimanche) : libération annoncée puis suspendue par l’appel du Procureur dans les 6 heures . Enfin libération  annulé par la Cour d’appel le mardi. 
Il a apporté son dossier comme nous l’avions demandé au téléphone, nous avons pu lire les attendus des jugements successifs. Ahmed a pu s’exprimer à la première audience, ses paroles sont retranscrites en partie. La première juge a accepté les deux arguments de l’avocat d’Ahmed : d’une part la retransmission incomplète (une feuille manquante) d’une ordonnance le concernant, d’autre part l’insuffisance de preuves apportées par la Préfecture de police sur son action en vue d’obtenir un laisser passer du Pakistan ( pas de trace du passage à l’ambassade, Ahmed soutenait qu’il n’avait pas vu le consul malgré une attente de plusieurs heures à laquelle les policiers avaient fini par mettre fin ). Le deuxième juge en appel n’a pas retenu ces arguments : l’ordonnance en question avait été lue pendant l’audience, par ailleurs des courriers électroniques et une demande du Préfet  prouvaient que des moyens suffisants avaient été déployés.

Ahmed fait toujours preuve d’initiative : il a demandé et obtenu de l’ASSFAM l’envoi de tout son dossier  à  Dominique Simonnot du Canard enchaîné . L’ASSFAM semble s’intéresser particulièrement à son cas comme à ceux de plusieurs jeunes majeurs retenus au CRA récemment. 
Il demande des visites pour prouver qu’il a des appuis à l’extérieur. 


Visite par Danielle et Agnès

Ahmed Sohail, 37e jour de rétention.

Après l’attente habituelle sous « le hall d’accueil des visiteurs du C.R.A. », nous sommes toutes deux conduites à la salle de rencontre avec les retenus. Le passage à « la poêle à frire » n’a pas été considéré comme obligatoire aujourd’hui. M. Ahmed SOHAIL arrive après nous dans la salle. Grand jeune homme de 23 ans, il apprécie les cigarettes et le portable neuf que nous lui apportons. Il nous remercie.

Notre échange, très alerte, nous permet de comprendre qu’Ahmed est très bien informé de sa situation et en a pleinement conscience. Il attend, dans l’après-midi, une autre visite, celle de Richard, un ami de la militante du RESF qui le soutient depuis son arrestation. Après cette visite qui doit permettre à Richard de compléter sa connaissance du dossier d’Ahmed, Richard ira à la Préfecture essayer à nouveau de faire bouger les choses. Ahmed évoque avec incompréhension la décision de la Cour d’appel, soulignant les avis contraires émanés de deux juges, le premier qui lui permettait de sortir du C.R.A., le second qui ordonnait son expulsion. 

Danielle commente les documents de RESF et les comptes rendus d’articles de Médiapart qu’elle a pris soin d’apporter, et Ahmed sort de son dossier ce qui lui est déjà parvenu en ce domaine. Ahmed nous dit qu’il se sait soutenu par de nombreuses personnes et que cela contribue à maintenir son moral. En effet nous le sentons fort.

Il a été arrêté et mis au C.R.A. pour avoir pris le métro sans ticket à la station de la Gare de Lyon où il venait faire une démarche pour un ami. Où peut mener la solidarité ! Il n’avait pas d’argent pour renouveler son « navigo » et a tenté le coup : hélas ! « Pas de chance ! » dit-il. C’était le 21 novembre, Il allait avoir un contrat de travail le 28 ! 

Il saura très bien initialiser son nouveau portable et, l’évocation de ses métiers de plombier et d’électricien ouvre sur le récit qu’il nous fait de son histoire, parcours étalé sur neuf années ; Il souligne sa bonne scolarité, nous montre ses bulletins de notes et appréciations, etc. Une ombre sur son visage quand il avoue ne plus savoir sa langue : oubli douloureux. 

Il sait ce qu’il doit faire pour refuser le premier vol et à quel moment il doit manifester son refus. Nous le quittons, lui réaffirmant que la militante du RESF nous tiendra au courant du lieu et de l’heure du vol prévu pour dimanche. Espérons que ne surgira pas d’obstacle inattendu.



Janvier 2013

Visite de Jacqueline et Guy

Jacqueline est venue ce matin, à 9h, pour donner un dossier à un retenu pour son passage au TA.
Ce premier contact avec « la guérite » lui a permis à 13h d’obtenir très facilement l’appel du retenu.
Nous sommes rentrés sans aucune fouille, mais avec des questions insistantes sur notre appartenance à une organisation ; après notre réponse habituelle (« nous venons à la demande du retenu »), le policier a continué en demandant comment on les connaissait, si on avait des contacts avec eux dans leur pays ; on fut évasifs mais fermes.


Issa, jeune Sénégalais de 20 ans, au 12e jour de rétention 

Il  a été arrêté dans un magasin après vérification d’un achat de vêtements alors qu’il était avec des camarades. Il a été le seul à être emmené au commissariat parce qu’il n’avait pas de papiers en règle. Il a été conduit au CRA après 24h de garde à vue pour « vol en réunion ». 
Il a bien expliqué ses problèmes à l’ASSFAM. Le JLD l’a condamné à 20 jours de rétention,  ce qui lui semble insurmontable. Il devait aller aujourd’hui à l’ambassade du Sénégal mais il n’a pu y aller car il avait mal au ventre. Pourtant le  Sénégal n’a pas signé d’accord de réadmission de ses ressortissants.
Issa est arrivé en France en 2009, il a un peu travaillé à droite et à gauche, et est hébergé  chez des amis.
Il est très angoissé, il dort mal car il se fait du souci pour son amie qui va accoucher dans trois mois, en effet,  il n’a pas contribué aux achats nécessaires pour faire face à cette naissance. Il ne peut pas vivre avec elle car la maison familiale est très petite (en grande banlieue) et il n’a pas les moyens d’avoir un appartement personnel.
Cette jeune femme (20 ans) qui ne travaille pas, vient le voir régulièrement, elle s’occupe de l’entretien de son linge. Elle est très affectée par sa mise en rétention, ils n’arrivent pas à se parler quand ils se voient. Il affirme qu’elle est bien suivie médicalement et socialement.
Le moral de Issa est très mauvais. Rappelé au téléphone pour  obtenir  le nom de la personne  isolée qui souhaitait une visite, il  a évoqué la mort comme une solution à ses problèmes.

Il serait bon qu’une seconde visite soit organisée pour voir s’il a pu « s’adapter » à l’impuissance de la vie au CRA et s’il n’y a pas d’autres problèmes à régler.



Colette et Danielle

Copains de misère : l'un est venu de Guinée, l'autre du Sénégal ; deux d'Afrique, réunis par le hasard et la malchance dans la même chambre au CRA. L'un battant, énergique qui essaie de remonter le moral de son copain sénégalais, qui lui est « fragile » , déprimé, amaigri depuis son arrivée ici, incapable de faire face à cette première rétention, à une paternité proche.

Mansour (CRA2) Guinéen, 29 jours de rétention, 37 ans. 

En France depuis 2004, Mansour est au CRA depuis la mi-décembre pour un deuxième séjour ; le premier il y a deux ans d'une durée maximale, 32 jours à l'époque. Il a eu une garde à vue de 24 h comme presque tous au CRA dit-il…
Il a perdu une bonne partie de ses papiers (de 2004 à 2008) mais devrait pouvoir obtenir des doubles de fiche de paye, de passeport, d'impôts. Car en effet, il travaille, un peu en alternance entre déménagement et nettoyage, est en partie déclaré, paye des impôts nous dit-il. Peut-être aussi des doubles de ses demandes d'asile politique…
Moussa arrive avec la copie d'un jugement récent lui reconnaissant le droit à une indemnité en raison d'une détention abusive à la suite d'une dénonciation non fondée alors qu'il était déjà en prison. Son histoire est un peu compliquée, il aurait désiré faire un recours mais a été amené au CRA juste avant. 
Il n'a pas voulu rencontrer le consul et n'a pas voulu non plus aller à la deuxième audience du JLD : il pense que ça ne servait à rien et que son avocate allait encore lui demander de l'argent. 
Il a un bon moral, trouve que les conditions sont bonnes au CRA et est sûr de sortir après ses 45 jours. Aucune famille en France mais des amis et seule sa mère, qu'il aide, est encore en Guinée alors que le reste de la fratrie est dispersée entre différents pays. 
Il nous parle assez longuement de son copain de chambre, ce jeune homme sénégalais qui est notre deuxième visite. Moussa nous dit à plusieurs reprises que ce jeune est « fragile », dort beaucoup bien que ne prenant pas de médicaments ; il essaie manifestement de lui remonter le moral et de l'entourer mais cela semble difficile.

Sortie théorique du CRA : fin janvier


Issa (CRA2) Sénégalais, 13e jour de rétention, 20 ans, 

Jacqueline et Guy ont déjà rencontré ce Monsieur très déprimé et qu'il fallait revoir.
Nous avons pensé à son arrivée qu'il n'allait pas parler puis peu à peu nous avons pu discuter avec lui. Issa est effectivement très déprimé d'une part par la rétention (il nous dit à plusieurs reprises que Mansour a, lui, l'habitude !) mais aussi par sa situation personnelle face à laquelle il ne sait que faire.
Il a demandé à son amie de ne plus venir le voir au CRA ; volonté de rompre ? mais il nous parle peu à peu de sa compagne : elle a 20 ans aussi, vit chez ses parents à Créteil, est née en France et a maintenant la nationalité française ; nous expliquons à Issa que le fait que sa compagne soit française peut beaucoup les aider et lui donnons la liste des associations en insistant sur l'ASSOUEVAM de Créteil. Il semble d'accord à la fin de l'entretien pour téléphoner à nouveau à sa compagne. Sa compagne s'occupait de personnes âgées mais est en arrêt en raison de sa grossesse.
Il nous donne son numéro de téléphone dont se sert aussi Mansour ; il doit aller à la deuxième audience du JLD bientôt mais, comme Mansour, pense que ça ne sert à rien malgré l'avocat donné par l'ASSFAM.

Moments très difficiles probablement quand Mansour va quitter le CRA  alors que  Issa est en principe au CRA jusqu'au début février. Il faut lui téléphoner et avoir des nouvelles aussi par Mansour.

Sortie théorique du CRA : mi-Février


Visites par Jacqueline

Yacine, Algérien, 11e jour de rétention, CRA1.

La personne que le policier amène au parloir est abattue, pâle… « Oh, cela n’a pas l’air d’aller » ? « Non, cela ne peut aller, ils ont voulu me mettre sur un vol pour  l'Algérie il y a deux jours alors que j’ai ma femme et mon enfant ici… » Il soulève son pull pour me montrer un abdomen tailladé volontairement pour empêcher le vol annoncé. 
Arrêté sans papiers en règle 11 jours avant,  il a été emmené au CRA, le  jugement du TA a été défavorable, le JLD lui a mis 20 jours de rétention bien qu’il soit marié avec une Française et ait un enfant né en France ( 7 ans aujourd’hui). 
Comme je m’en étonne, il me raconte les bribes d’une vie compliquée : il est venu en France en 2000 mais il a été expulsé après 5 ans, sa compagne française l’a rejoint en Algérie où ils se sont mariés, le mariage a bien été enregistré auprès des autorités françaises, mais il n’a pas de papiers en règle. Par ailleurs il suit actuellement un traitement de substitution à la drogue auprès d’un centre spécialisé et aspire à la vie régulière qu’il n’a peut être pas eue précédemment.  Sa mère souhaite qu’il rentre en Algérie, le juge aurait aussi conseillé de rentrer et de faire une demande de regroupement familial.
Lui est décidé à rester ici et veut refuser un deuxième vol s’il le faut. 
Nous évoquons différents lieux d’Algérie dont sa ville natale, j’apprends alors qu’il a fait ses études chez des religieuses françaises, ce qui explique son très bon niveau de langue et son absence d’accent et aussi que « la France a toujours été proche pour moi et que je veux y habiter ». Je lui rappelle alors qu’il faut satisfaire aux exigences de la Préfecture et constituer un dossier complet : des bénévoles d’associations peuvent l’aider à le compléter en apportant les documents officiels et les preuves de vie en France, pour cela lui est fournie une liste de permanences juridiques et une fiche sur les preuves de vie recevables.


Djibril, sénégalais, 17 jour de rétention, CRA 2.

Je rencontre Djibril en remplacement de la personne que je devais initialement visiter car cette dernière devait être emmenée à son consulat par la police qui a besoin d’obtenir un laisser passer du pays d’origine pour organiser l’expulsion d’un migrant du territoire.
Après vérification par les policiers, je  lui remets le paquet de vêtements de rechange confié  par un camarade extérieur : il existe en effet une grande solidarité entre compatriotes, sur le mode traditionnel de l’entraide familiale, villageoise, régionale mais aussi parce que c’est la condition de la survie dans le monde très dur qu’ils ont à affronter en France (appuis matériels - hébergement, prêt - mais aussi appui moral dont témoignent les regroupements selon la nationalité au CRA même). Les camarades ne ménagent pas leur peine, ainsi celui qui m’a apporté le paquet à remettre au retenu, s’est excusé de repousser notre rendez-vous « à cause du travail », en fait une heure de travail pour deux heures de trajet en transport en commun, mais c’est tout ce qu’il avait trouvé  ce jour là.  
 Djibril est enfermé au CRA depuis 17 jours et n’a pas le moral car il y perd son temps alors qu’il est dans une impasse : il est entré dans l’espace Schengen par le Portugal où il n’a vécu que deux ans, le chômage qui s’est développé rendait la vie impossible aux migrants, il a décidé de tenter sa chance en France mais s’est vite aperçu qu’il était très difficile de trouver du travail ici aussi , de régulariser sa situation. Il compte accepter la reconduite au Portugal.
Et au Sénégal où vit toujours sa  femme, sa famille ? Oui, il aimerait bien y retourner mais c’est impossible sans rapporter de l’argent… Il est parti pour les aider à vivre mieux.
Il parle un très bon français qu’il explique par le fait qu’il est originaire de Saint Louis qui est restée française pendant 4 siècles.

Ces deux retenus avaient retrouvé le sourire en partant, quelqu’un les avaient écoutés,  avait manifesté de l’intérêt pour  leur vie difficile : une visite d’une demi-heure c’est peu, mais cela apporte une diversion au milieu de longues journées d’hiver passées dans l’ennui et à regarder passivement la télévision. 
Ces retenus ne se plaignent pas des policiers, ni même de la qualité des repas mais de la perte de leur vie, inutilement, alors qu’ils n’aspirent qu’à travailler et à honorer leurs responsabilités d’adulte.


 Visite d'Agnès et Danielle


« La Fête des Voisins » : c'est l'inscription inscrite sur le ballon avec lequel joue cette petite fille de 3 ans venue voir son papa enfermé au CRA depuis quelques jours ; elle est accompagnée de sa maman et de son petit frère de 2 ans qui s'agite dans sa poussette. C'est une famille de Géorgie, en France depuis 3 ans, qui a fait sans résultat plusieurs demandes d'asile politique. Les enfants sont nés en France, l’aînée est inscrite à l’école maternelle, sans doute dans le IX°  arrondissement où ils habitent.
Il fait très froid et nous nous déplaçons avec le soleil au cours de cette longue attente, sauf parfois la petite fille qui pleure, appelle son papa et ne veut pas s'éloigner de la porte d'entrée. Il y a heureusement avec nous une dame marocaine très douce, qui s'occupe d'enfants nous dit-elle et sait leur parler. Peu à peu, la petite fille se calme, lance son ballon dans la neige, rit, puis s'impatiente à nouveau au milieu de ces adultes qu'elle ne connaît pas et qui essaient maladroitement de jouer avec elle pour lui faire oublier l'attente.
La dame marocaine, carte de séjour d'un an renouvelée depuis 2001, est venue elle voir son compagnon, Kurde d'Irak, en France depuis 2003, au CRA depuis la veille ; emmené au CRA, alors qu'il a une jambe artificielle à la suite de la guerre d'Irak ; il demande l’asile politique, « l’asile humanitaire » nous dit-elle ; le lendemain nous apprendrons sa libération, liberté « conditionnelle » d'une semaine pour présenter un dossier. Nous avons donné à sa compagne l’adresse d’Associations susceptibles de les aider dans ces démarches administratives compliquées surtout si, comme pour cet homme, la langue française n’est pas maîtrisée.
« Fête des voisins » ? Presque, avec une équipe policière amusant les enfants avec la « poêle à gaufres », pour qui les 30 minutes seront plutôt 45, accompagnant parents et enfants aux toilettes, et, image forte, cette jeune femme policier aidant la petite fille dans les escaliers et lui donnant la main tout le long du retour… et faisant tout aussi pour nous faciliter une autre visite alors que le retenu que nous devions voir avait été libéré. Oui, manifestement, ces policiers-là n'aiment pas le travail qu'ils sont obligés de faire et font tout pour le rendre un peu plus humain.


Hocine (CRA1) Algérien, 15 jours de rétention, 38 ans.

Arrivé en France en 2001, à 26 ans. A déjà fait trois demandes de régularisation depuis début 2010, la dernière il y a 1 an à la préfecture du Val-de-Marne.
Hocine a une avocate qui s'occupe de son dossier à la préfecture mais pas de sa rétention : « un autre problème » dit-elle, il faudrait vraisemblablement payer à nouveau… L’ASSFAM lui a obtenu un avocat. Il est resté un peu moins de 4 heures au commissariat.
Pas de famille en France, sa mère et deux sœurs (13 et 14 ans) sont en Algérie et il les aide matériellement ; son père et son frère aîné sont décédés. Avant son décès, c'est son frère aîné qui aidait la famille : Hocine nous montre le certificat de décès de son frère pour que l'on comprenne bien que maintenant c'est lui qui doit aider.
Il nous dit à plusieurs reprises qu'il n'a jamais rien fait de mal, qu'il n'a jamais été en prison ; comme tous au CRA, il ne comprend pas cet enfermement, le trouve profondément injuste et est très démoralisé. Hocine travaille dans le bâtiment, travail non déclaré mais comment faire autrement, dit-il ? Son employeur sait qu'il a été arrêté et est en contact avec lui.
Il veut nous convaincre, et ne sait pas que nous le sommes déjà mais que nous ne pouvons qu'écouter, impuissantes à modifier le cours des choses. Il nous dit l’importance du groupe d’Algériens présents au CRA, qui s’entraident.
Il n'a pas encore vu le consul, le rendez-vous a été annulé, peut-être en raison de la prise d'otages récente. Nous lui parlons de l'entretien avec le consul, du vol éventuel, du premier, puis des autres… Nous avons son téléphone, nous l'appellerons.

Sortie théorique du CRA : mi-février 2013


Yacine (CRA1) Algérien, 34 jours de rétention, appelé par une policière.

Le retenu que nous devions voir ayant en fait été libéré (ce que ne semblait pas savoir les policiers de la guérite…), la jeune femme qui dirige l'équipe des policiers nous en propose un autre.
Au fur et à mesure de la conversation, Yacine semble bien la même personne que celle vue mardi par Jacqueline et dont nous avons parlé la veille au téléphone. Quelques différences, vraisemblablement expliquées par une prise de somnifères et de médicaments de substitution.
Nous ne reviendrons pas sur l'essentiel : une femme, actuellement absente car près de sa mère malade, et un enfant français de 7 ans, scolarisé, en ce moment hébergé chez une cousine. En France en 2000, reparti (expulsé ?) en Algérie en 2005, mariage, puis retour en France en 2007 en obtenant des papiers pour 3 ans.
Un premier vol refusé facilement, un deuxième évité le début janvier en se mutilant (coupures au bras et au torse, lame de rasoir avalée), mutilations qui le conduisent à l'hôpital. Il est bien décidé à éviter les prochains vols et n'est pas inscrit sur les listes jusqu'au 21 janvier. Yacine nous fait part de très nombreuses tentatives de suicide dans le CRA.
Il nous dit avoir été arrêté en décembre à Châtelet et pense sortir vers la fin janvier, date compatible avec celle de l'arrestation.
Deux informations importantes : 
- son traitement de substitution commencé en dehors du CRA était de 16mg/prise au début et est actuellement de 2 mg/prise. A son arrivée au CRA, on a voulu lui donner d'emblée 16mg/prise, dose semble-t-il systématique au CRA de Vincennes, ce qu'il a refusé.  Ce problème de surdosage a été récemment évoqué lors d'assises médicales des centres de rétention et ne peut être évité qu'en effectuant à l'arrivée au CRA des dosages urinaires des drogues prises ; les résultats permettent d'adapter le traitement de substitution, ce qui évite de rendre encore plus dépendants les retenus. De tels dosages sont pratiqués au CRA de Lyon mais malheureusement pas à Vincennes.
- la diligence avec laquelle les consuls délivrent des laissez-passer serait liée à une « prime » de 200€ perçue pour chaque procédure…
Nous redonnons à Yacine la liste des adresses, insistons sur celles des médecins ; il travaillait dans la sécurité, son patron lui garde son poste pour quand il sortira, nous redit-il, avant de nous quitter après une longue visite sans policiers près de nous.

Sortie théorique du CRA : fin janvier 2013


Visite de Jacqueline

Attente d’une heure et demie  dans le froid sous un auvent de bois entre les bacs à ordures,  soumise aux jets d’eau et de neige fondue  des voitures qui entraient au CRA en passant dans l’immense mare accumulée à l’entrée . Puisque le contribuable paie 30 000 euros par retenu en moyenne, ne pourrait-on ajouter quelque dépense supplémentaire pour aménager  une salle d’attente à l’intérieur pour que les visiteurs soient accueillis décemment «  au nom du Peuple français » ? 

Amidou, au 16e jour de rétention, CRA2.

Amidou est en France depuis 1997 mais n’a pas encore été régularisé faute de pouvoir montrer des preuves de travail en France à son nom. Cependant il travaille régulièrement à Rungis et a des preuves de son séjour en France. 
Il avait constitué un dossier complet pour obtenir sa régularisation  avec  l’aide d’une association (celui que je lui ai apporté voici deux semaines à la demande d’un de ses amis pour le Tribunal), il allait se rendre à un rendez-vous à la Préfecture quand il a été arrêté dans la rue pour vérification d’identité, puis amené au CRA le lendemain.
Il doit revoir l’ASSFAM pour faire une demande d’aide juridictionnelle.
Il a refusé de rencontrer le consul du Mali et s’apprête à refuser à nouveau malgré les menaces de prison (?) des policiers. Son problème est qu’il n’a jamais vécu au Mali et n’y a aucune attache, son père était commerçant au Niger. Après la mort de ce dernier, il a voulu rejoindre son frère installé en France depuis 1988 (carte de séjour de 10 ans) mais il n’a pas trouvé l’appui escompté. Il  a été victime de lois plus restrictives pour la régularisation par le travail.
C’est son premier séjour en CRA. Il supporte avec un calme apparent cette rétention et ne se plaint pas des conditions de vie au CRA. 

Il m’a appris avec joie  la libération, le jour même,  par le deuxième JLD, d’un jeune homme de 20 ans, Issa, que nous avions visité plusieurs fois car il était dépressif et supportait très mal la rétention.

Selon un de ses camarades de rétention qui a appelé après sa sortie, Amidou a été relâché au 45ème jour. 



Christine et Guy

Nous sommes les seuls à attendre dans l’abri devant le centre ; lieu toujours aussi « accueillant » ; on prend quelques photos pour le blog.
On décide de voir en même temps les deux retenus prévus ; Christine : Lamin (voir billet du 10/02/2013) ; Guy : Oumar.
Pas de poêle à frire à l’entrée aujourd’hui. Les policiers, qui l’appellent raquette (le geste, plutôt menaçant malgré le côté décontractés des policiers, accompagnant le mot), l’avaient oubliée. On y a eu droit dans la salle des visites. On a aussi eu droit de se mettre où on voulait. Guy a choisi le fond de la salle et moi devant mais dans le coin le plus éloigné du bureau. Nous avons remarqué pour la première fois, le grand cahier dans lequel nos noms et celui des personnes visitées étaient inscrits. Ce fut une surprise, nous l’ignorions, mais finalement cela nous a semblé logique que cela soit fait. 


Oumar – CRA 2- Gabonais – 20e jour de rétention.

Jeune homme de 27 ans, arrivé en France en 1997, à 12 ans !
Après la mort de ses deux parents, son cousin, vivant en France, le fait venir. Ce cousin et sa femme (français ou en situation régulière ?), le traitent comme un domestique. Il n’est pas scolarisé et doit s’occuper de la maison et des enfants du couple.
À 17 ans il décide de fuguer et est livré à lui-même dans Paris (rue, squats, hébergements chez des amis…). Vit de petits boulots (vendanges, bâtiment) et commence à se droguer.
Est arrêté en 2005. Le consul du Gabon délivre un laissez-passer et il est envoyé par avion au Gabon. Il reste 6 jours en détention à l’aéroport. Le 7e jour les autorités gabonaises le renvoient en France en contestant sa nationalité gabonaise.
Il est retenu en ZAPI 2 – zone d'attente des personnes en instance dans les aéroports (un policier écrit qu’il a fait un refus d’embarquement !) puis est détenu à Bobigny 3 mois.
Il a, depuis, souvent été placé en détention (problèmes de stupéfiants) ou en rétention (2 fois au Mesnil Amelot, à la Cité). Il a eu 5 ou 6 contrôles judiciaires. Il y a 8 mois, il a fait 4 mois de détention à Fresnes pour contrôle judiciaire non suivi.
Arrêté début janvier, il fait 24 h de GAV pour usurpation d’identité (il avait dans un premier temps donner un faux nom) et est placé à Vincennes. Son prochain passage au JLD est début février.
Le 16 mai 2012 la CIMADE lui a conseillé de faire auprès de l’OFPRA une demande d’apatride. Il n’a pas de papiers, ni gabonais ni français.
Les preuves de sa présence en France débutent en 2005 avec ses premiers ennuis avec la police. Il n’a plus aucune nouvelle de son cousin et ne sait  pas où il se trouve.
Il parle très bien français et dit qu’il a appris seul à lire et à écrire.
La demi-heure étant écoulée, nous devons malheureusement interrompre la discussion.
Il demande à nous revoir et insiste pour discuter avec Christine avec qui il avait parlé par téléphone.


Lamin, gambien, CRA2, 15e jour de rétention.

Lamin vit habituellement en Hollande depuis 2004. Il est marié depuis 2009 avec une femme de nationalité hollandaise et est père d’une petite fille d’1 an, et d’un garçon de 3 ans.
Il était en situation régulière en Hollande et à l’expiration de son titre de séjour, la préfecture lui a délivré un récépissé de 4 mois, en attendant son renouvellement. Dans le courant de ces 4 mois, alors qu’il était en France, il a été condamné à 15 mois de prison qu’il a effectué à la Santé. À sa sortie, on lui a signifié immédiatement une OQTF et il a été amené au CRA. La préfecture a demandé son expulsion vers la Gambie.
Malgré le soutien d’un avocat (800€) conseillé par l’ASSFAM et l’explication de sa situation familiale avec preuves à l’appui, la préfecture a maintenu sa demande d’expulsion vers la Gambie et la prolongation de 20 jours de la rétention a été confirmée en appel. Le juge s’est permis d’ironiser sur le fait que Lamin voulait retourner en Hollande alors qu’il n’avait que 40 euros en poche. Cette remarque plus qu’inopportune étant donnée sa situation l’a choqué et il a bien relevé que ce juge outrepassait son rôle ! On entend dans cette réflexion méprisante, le déni de la réalité vécue par les retenus, et le parti pris que certains juges osent afficher ouvertement…

La préfecture a faxé une demande de situation en Hollande. D’après la femme de Lamin, la réponse a été envoyée mais la préfecture dit ne pas l’avoir reçue.

Lamin, bien qu’expliquant tout cela avec un petit sourire, est assez désespéré. Sa femme est actuellement sans travail et l’idée d’être éventuellement expulsé vers la Gambie et de la laisser seule avec ses 2 enfants lui est insupportable.

Pour la vie dans le CRA, il dit le bruit infernal qui empêche de dormir, les tensions entre retenus et policiers, ou entre retenus et retenus…
C’est vrai que quand j’ai appelé hier soir pour lui parler, en attendant son arrivée au téléphone, j’entendais un vacarme infernal plein de cris et de résonance.