Visites d'élu-e-s

Comptes rendus des visites effectuées au CRA de Vincennes par des élu-e-s, sollicité-e-s par l'Observatoire - ordre chronologique.

31 mai 2013

Rencontre entre des membres de l’Observatoire et les sénateurs du Front de gauche, Laurence Cohen et Pierre Laurent. 

Par leur mandat électif, les parlementaires sont les seuls à disposer d’un droit de visite entièrement libre dans tous les lieux privatifs de liberté. A ce titre, l’Observatoire citoyen du centre de rétention de Vincennes a adressé aux élus du Val de Marne, un courrier leur demandant de faire valoir ce droit pour visiter le centre de rétention pour étrangers de Vincennes.

Nous avions rendez-vous à 9h avec Laurence Cohen et Pierre Laurent pour échanger avant la visite du CRA prévue vers 10h. 

Nous enregistrons une bonne écoute, la question n’est pas inconnue. 

Nous avons pu leur faire part de nos observations recueillies lors de visites privées faites aux retenus. Nous leur avons également demandé de poser un certain nombre de questions lors de leur visite en écho aux demandes de retenus mais aussi plus généralement au nom d’une veille citoyenne destinée à garantir les droits des retenus dans ces lieux manquant de transparence. 


La visite avait été annoncée la veille à la direction du CRA. Elle a dépassé deux heures, elle s’est faite avec le Commandant Marey, « un homme intelligent », qui applique ce qui lui est demandé en tant que fonctionnaire. Il ne les a pas lâchés, si bien qu’ils n’ont pas pu parler directement aux retenus et qu’ils ont visité les sanitaires du nouveau CRA plutôt que ceux de l’ancien, « mais ils en ont senti l’odeur »... 

Ils étaient un peu figés en sortant de leur visite, manifestement secoués, conscients d’avoir vu une           « situation d’une grande violence », où n’est garantie « qu’une humanité minimale » à l’égard de personnes devant quitter la France, mais également une violence à l’encontre du personnel. En fait       « Rien ne va » dit Pierre Laurent, « Les structures ne sont prévues au mieux que pour quelques jours » renchérit Laurence Cohen. Un jeune policier répondant que « cela allait bien » a été corrigé par le Ct Marey « Non, c’est très dur pour de jeunes policiers qui débutent ». Ce sont en effet des postes délaissés qui reviennent à ceux qui entrent dans la carrière. Il reconnaît d’ailleurs un important turnover.

Pourtant les effectifs ne leur ont pas semblé insuffisants : 300 policiers pour toutes les tâches des 4 CRA (3 à Vincennes, et celui des femmes à Paris). Les policiers passent 45 mn devant les caméras de surveillance puis sont affectés à d’autres tâches. Ils ne leur sont pas apparus intrusifs dans la vie quotidienne des retenus. (De fait la surveillance 
dans les espaces communs se fait par les caméras et les équipes y font des rondes régulièrement. D’après ce qui nous a été dit, ils entrent dans les chambres quand un retenu demande une surveillance particulière, en cas de dépression importante par exemple. Cependant des retenus nous ont signalé une intrusion récurrente et très dérangeante).

Ils ont remarqué des retenus manifestement « tendus », l’un était malade (vomissements) ce qui a créé une certaine perturbation. Mais ils n’ont à aucun moment eu « l’impression d’un danger » due à la tension (la visite a eu lieu le matin. À cette heure, beaucoup de retenus dorment et sont dans leur chambre).

Le contact avec le médecin a été perçu très négativement : cette personne trouvait manifestement normal de gaver les retenus de médicaments…. « Evidemment, ils donnaient des médicaments de substitution aux drogués »… Automutilations ? « C’est du cinéma »….Suicides ? « Il n’y en a pas » …Un soutien psychologique ne serait-il pas nécessaire ? « Pour quoi faire ? ». Devant l’effet produit, le Commandant l’a interrompue et est intervenu pour atténuer ses paroles.

Les échanges ont été très intéressants avec l’ASSFAM, seule association habilitée à faire valoir les droits des retenus en matière juridique : la permanente du CRA1 a expliqué son travail qui consiste à rencontrer tous les retenus et à les assister tout le long de la procédure pour préparer leur dossier. Lors de la visite, la permanente a été très réactive : elle a signalé le dossier dramatique d’un Algérien en France depuis plusieurs décennies, obligé de quitter sa famille car il partait pour prendre le vol prévu par la Préfecture, encadré par les policiers.

Pierre Laurent a immédiatement soumis le cas au Préfet par téléphone. La réponse lui a été fournie pendant que nous parlions ensemble : le retenu était dans l’avion. Le Préfet a fait valoir que ce cas était plus compliqué que dans le dossier fourni à l’ASSFAM (Tiens ? comme pour Ahmed Sohail !) : une lourde condamnation il y a 20 ans avec interdiction définitive du territoire (mais qui n’aurait jamais été appliquée. Pourquoi ?) C’est parce que le retenu a été accusé de violences conjugales par sa femme, qu’un contrôle de police a été fait… Ce n’est pas en prison qu’il a été envoyé mais au CRA..! C’était du gibier pour faire du chiffre. Même l’intervention d’un sénateur n’a pu permettre le maintien sur le sol français d’une personne qui y a passé la plus grande partie de sa vie, la double peine supprimée par la loi se maintient donc dans les faits.

Les élus ont soumis au Chef de centre, la question de la confidentialité des entretiens entre retenu et visiteurs. Réponse : les box sont strictement réservés aux avocats et autorités consulaires. Cependant le règlement intérieur (Article 20) stipule que « Les visiteurs sont reçus dans les locaux prévus à cet effet. Si les visiteurs souhaitent avoir avec eux une conversation confidentielle, les visites peuvent également s’effectuer dans des boxes réservés en priorité aux avocats et aux consuls s’il y en a un de libre ».

Les sénateurs ont fait état de nombreuses plaintes concernant les repas. Il leur a été répondu que la nourriture était servie dans des barquettes qu’il faut réchauffer, c’est celle d’une cantine industrielle. Parce que des retenus jettent la viande qui n’est pas hallal, un effort a été fait pour introduire du poisson dans les menus, un repas sur deux.

Nous leur avons rappelé la campagne Open Access Now en cours menée à l’échelle européenne pour obtenir l’accès des medias et des ONG dans les 471 centres de rétention et zones d’attente que compte l’Union européenne, et fourni les documents la concernant.
Ils connaissaient les questions posées (5 mars 2013), par les parlementaires européens à la Commission avec demande de réponse écrite, sur l’amélioration du droit de savoir et d’information inscrits à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux et sur la mise en œuvre de l’article 16, paragraphe 4 de la directive européenne « retour » ( 2008/115/CE) prévoyant la transparence de ces lieux privatifs de liberté, ainsi que sur l'accès aux organisations non gouvernementales en référence aux engagements des pays membres de l'UE.

(Voir la réponse donnée par Madame Malmström au nom de la Commission ( 30 mai 2013) en ce qui concerne les ONG).

Pierre Laurent et Laurence Cohen se sont engagés à faire un rapport de leur visite et à inscrire leurs conclusions et propositions dans la campagne Open Access Now.

Nous avons insisté sur les demandes de l’Observatoire citoyen du CRA de Vincennes auprès des élus parlementaires :

- accès des associations et des médias dans les CRA

- réduction de la durée de rétention et à terme fin des CRA. La rétention étant un système inhumain, coûteux et inutile.

- rétablissement du contrôle du JLD à 48h au lieu du 5e jour pour garantir les droits des retenus

- refonte du CESEDA, retour au droit commun dans le traitement des étrangers





8 juillet 2013


Visite du sénateur Jean-Yves Leconte ( PS, français de l’étranger)

Cette visite avait été préparée en amont : nous étions rendus au Sénat pour rencontrer M. Leconte et son attaché parlementaire, M. Castagna. Lors de cette rencontre, nous avions eu tout le temps de préciser les points que nous souhaitions voir aborder lors de sa visite au CRA.
L’horaire de cette dernière a été modifié plusieurs fois (y compris la veille, dimanche !!), la visite a été annoncée au CRA de façon vague (visite dans la semaine).

Le sénateur est arrivé très ponctuellement à 13h et après nous avoir rapidement salués, s’est engouffré dans le CRA, suivi de son attaché…
Nous patientons donc à l’extérieur et observons le ballet incessant des entrées et sorties : camionnettes sans aucune mention, d’autres avec mention (la camionnette « peinture » nous fait penser que, suite à l’annonce la visite sénatoriale, on repeint rapidement les toilettes), personnes à pied, à vélo,  en moto, en trottinette, hommes, femmes, sportifs accro de gonflette qui vont s’entraîner au jogging dans le bois et pour finir, un impressionnant cortège de voitures de police qui déverse un non moins impressionnant cortège de policiers, armés jusqu’aux dents et chargés de sacs : reviennent-ils de l’entraînement ?
Plusieurs visiteurs patientent : aujourd’hui, ils n’entrent que par 2 visites et sont soumis à la « poêle à frire » ; tous sont chargés : le Ramadan commence demain.

Le sénateur Leconte sort au bout de 2 heures et demie de visite ! Son attaché n’a pas pu l’accompagner et a patienté à « l’accueil » en compagnie des policiers qui gèrent sur ordinateurs les retenus, papotent et échangent leurs impressions sur leur travail au CRA. D’après M. Castagna, ce sont des jeunes (stagiaires ?), qui commencent leur carrière au CRA, se plaignent et échangent des infos sur les différentes « clés » à utiliser pour neutraliser les retenus récalcitrants.
Le sénateur Leconte arbore une mine réjouie (façade ?) et nous expose trop brièvement ses impressions : il n’a pas voulu voir les bâtiments neufs (CRA 2 et 3) et n’a donc vu que le CRA 1, le plus vieux. Il a beaucoup échangé avec les retenus, certains retenus lui ont même remis leur dossier. Le gros sujet de tension est le Ramadan et les problèmes de nourriture. Nous apprenons que M.Valls a diffusé une circulaire permettant aux familles d’apporter des plats cuisinés « maison » aux retenus, mais que cette dernière n’est pas appliquée à Vincennes, où les règles sont drastiques : pas de yaourts par exemple. Le distributeur d’eau minérale fournit des bouteilles de 50cl à …2 euros (marché signé par le ministère de l’Intérieur !!!).
M. Leconte est entré dans la chambre froide pour examiner les barquettes de nourriture. Un des membres du personnel a évoqué le gâchis énorme du fait que la nourriture n’était pas halal, donc non consommée par les retenus musulmans. Il a visité les sanitaires (pas propres, mais pas scandaleux), les toilettes sont « à la turque ».
Il s’est aussi intéressé aux lieux de promenade : celui du CRA1 est une pelouse entourée de grillage, lui-même surmonté de barbelés, ceux des CRA 2 et 3 sont des cages, sol bétonné et entièrement grillagées, style volière. D’après la personne qui l’accompagnait( ce n’était pas le commandant Marey), le Contrôleur des lieux de privation de liberté est favorable à cette seconde solution (après recherche sur le site du Contrôleur, il semble que ce dernier n’ait effectué aucune visite au CRA de Vincennes; en tout cas, il n’y a pas de rapport de visite : à creuser…)
Il n’y a pas de livre au CRA, par peur de départ d’incendie !!! (Nos journaux sont toujours passés…à creuser encore). Détail amusant : la play station, en panne depuis plusieurs jours, avait été réparée le matin même. Minuscule effet positif de l’annonce d’une visite de parlementaire ?

Au-delà des conditions de vie, M. Leconte s’est intéressé aux problèmes juridiques, grâce à sa rencontre avec l’ASSFAM. Il semble qu’il y ait beaucoup de demandeurs d’asile au CRA. Un problème évoqué tant par l’ASSFAM que par les retenus est celui du menottage systématique de ces derniers. Enfin, tous les retenus se plaignent du JLD, au point que le sénateur Leconte se dit prêt à assister à des audiences et se demande quel est le bon combat à mener : réclamer l’intervention du JLD plus tôt, ou obtenir une réforme des conditions de travail du JLD ? Nous lui fournirons éventuellement des contacts d’avocats pour éclairer ce point.


En conclusion, les différents angles de vue des parlementaires nous permettent d’appréhender la vie au CRA de façon un peu plus large et complète que la vision donnée par les retenus au cours de nos visites. Il convient donc de continuer à solliciter les parlementaires pour enrichir encore nos informations. Nous n’avons pas eu l’occasion de reparler de la campagne Open Access Now (signalée avec documents à l’appui lors de la rencontre de préparation). Il faut donc redemander s’il compte communiquer un rapport aux organisateurs. M.Castagna a évoqué la possibilité d’un billet dans le blog de M. Leconte. Une possible conférence de presse à la rentrée de septembre avec les sénateurs de la majorité ayant déjà visité le CRA et ceux devant le faire, a de nouveau été évoquée. M. Castagna a parlé de relancer Mme Benbassa. 

Voir en plus l'article publié sur ce blog


18 avril 2014


Encore une visite d'élues au CRA, et des articles dans 94.Citoyens et le Parisien.

Suite à nos sollicitations, Mme Laurence ABEILLE (députée) et Esther BENBASSA (sénatrice) d'EELV ont effectué une visite surprise au CRA le 18 avril 2014.

Compte rendu :

Nos deux parlementaires ont joué le jeu : elles sont arrivées à l’improviste, ni le commandant Marey, ni son adjoint ne sont présents, elles seront accompagnées par un jeune gradé.
En revanche, l’abord du CRA est impressionnant, avec un déploiement de voitures et de policiers à proximité de la grille d’entrée. Les parlementaires sont entrées, nous patientons dans l’abri en échangeant avec l’attachée parlementaire de Mme Abeille. Deux policiers en civil viennent nous demander pourquoi nous sommes là. Guy rétorque  avec véhémence que nous ne répondrons pas. Les policiers insistent : « C’est pour le lycéen que vous êtes là ? » Tiens donc, il y a un lycéen enfermé au CRA, à suivre… Finalement, échanger avec la police peut donner des info ! En fait, il y a eu plusieurs incidents : le 14 avril, vers 1h du matin des retenus ont mis le feu à leur matelas pour protester contre le tabassage de l’un d’eux par la police ; par ailleurs, un  lycéen du 19e arrondissement a en effet été arrêté et enfermé au CRA. Ces 2 incidents expliquent largement le renforcement policier.
Vers 15h30, les parlementaires ressortent, deux journalistes sont là : 94 citoyens et Le Parisien. Les visiteuses brossent un bref bilan de leur visite : elles n’ont pu que constater l’état de vétusté du CRA1, elles ont longuement parlé avec des retenus. Ces derniers ne se plaignent pas de la police. Les CRA2 et 3 sont en meilleur état, mais ce sont de sinistres lieux d’enfermement. Elles soulignent le désœuvrement de ces hommes jeunes, qui tournent en rond dans leur cage, « qui fait penser à celles du zoo, tout proche et récemment rouvert.. » Les informations concrètes qu’elles nous donnent sur les CRA ne sont pas nouvelles et se trouvent déjà dans les rapports du CGLPL, mais elles sont soigneusement notées par les journalistes.
Les parlementaires font une proposition concrète : il faudrait que les retenus soient informés de leurs droits en matière, non pas d’éloignement, mais de régularisation ; à leur sortie du CRA (les libérations sont nettement plus importantes que les expulsions), les étrangers pourraient entreprendre rapidement une demande de papiers. Elles vont écrire dans ce sens au ministre de l’Intérieur.
Leurs déclarations finales sont particulièrement intéressantes : les deux élus proclament que la rétention est inutile et absurde (sans parler de son coût). Il s’agit en fait d’une vitrine symbolique destinée à montrer à l’opinion que les pouvoirs publics luttent contre l’immigration clandestine. Les parlementaires nous assurent de leur soutien dans notre lutte et assurent que nous ne manquerons pas de nous revoir.
Après leur départ, nous échangeons encore avec les journalistes. Celles-ci souhaitent à leur tour rencontrer des retenus et demandent à nous accompagner quand nous nous rendrons au CRA. 

Articles 94.Citoyens et Le Parisien.