LE CRA ET LE COVID : première visite après le déconfinement

C’est avec une certaine curiosité et une bonne dose d’appréhension que j’ai effectué ma première visite post confinement au CRA, début août. J’ai tout pour être mal à l’aise, car l’amie qui m’accompagne, a oublié sa carte d’identité et ne peut pas entrer, j’y vais donc seule, ce que je n’aime pas du tout… Notre pratique est de toujours être deux. On essaye d'éviter ainsi divers problèmes : subjectivité, difficultés de compréhension, analyse commune de la visite...



La police prend 2 visites en même temps, ce qui est plutôt positif et va m’éviter d’être seule visiteuse dans le local, ce qui veut dire : haute surveillance des échanges par la police. Fouille comme d’habitude puis arrivée dans le local. Là, tout est changé, bien sûr. Le policier assis à la table à gauche est désormais protégé par un plexiglas, il porte, comme tous ses collègues, un masque, autant dire que les échanges ne sont pas faciles, mais là n’est pas l’essentiel. Le local comprend désormais 2 emplacements de conversation, parallèles et placés en biais, par rapport aux policiers qui occupent toujours le mur de gauche : la surveillance des échanges est ainsi beaucoup plus efficace qu’avant.
Avant le Covid (autant dire dans une autre vie), les tables des visiteurs étaient perpendiculaires et les plus éloignées des policiers, finalement assez discrètes : les amoureux se plaçaient ainsi, au fond, à droite, si les policiers le permettaient (et ce n’était pas toujours le cas) et pouvaient échanger tendrement.
Ce n’est plus le cas ! Chaque place est constituée de 2 tables face à face, séparées par un plexiglace ; en bas, au centre, une ouverture très étroite permet de passer des papiers. Comme les policiers, les retenus arrivent masqués, on s’installe…


Je vous laisse imaginer la qualité des échanges : deux personnes masquées, séparées par un épais plexiglace, tentent de se parler : mais nous avons ici une barrière supplémentaire, celle de la langue, ce qui complique encore le semblant de communication que nous cherchons -désespérément- à établir. Pendant ce temps, les policiers, toujours aussi nombreux, discutent, d’autant plus fort, qu’ils sont masqués et haussent la voix pour se faire comprendre.
Le retenu et moi cherchons des trucs pour améliorer la situation : on commence par retirer le masque : coup de semonce des policiers, on se remasque dare-dare. Le retenu parle assez bien français, mais il déforme malgré tout certains mots et nous peinons beaucoup. Les policiers sont six à présent, le niveau sonore monte. Le retenu tente un dernier essai : il se couche sur la table et me parle à travers la fente passe-documents ; à mon tour, je me couche sur la table et approche mon oreille. Je vous laisse imaginer la scène, du plus haut comique, si elle ne me paraissait pas, surtout, pathétique… Cela me fait penser à une scène de Chaplin, clown triste s’il en est…
Fin de la visite : nous quittons notre plexiglace et, à côté des tables, le retenu m’embrasse chaleureusement, il n’y a pas à dire, ça fait du bien !


Pendant la visite, mon amie a parlé avec les familles qui attendent et a recueilli des renseignements supplémentaires : à leur arrivée, les retenus sont mis 48h à l’isolement, pour vérifier qu’ils ne sont pas contaminés : ainsi, des familles qui se sont précipitées pour rendre visite à leur parent, fraîchement arrivé, sont reparties bredouilles ; nous ignorons si les nouveaux arrivés sont testés… Sinon, nous ne comprenons pas la raison d’un isolement, finalement assez bref…
C’est comme toujours, bien tristement, que nous repartons, avec cette question qui nous taraude : allons-nous continuer à effectuer des visites dans de telles conditions ?


Dernière info : désormais, les policiers n’autorisent plus qu’un seul visiteur par retenu. Cela nous pose problème : être seul avec le retenu n’est pas facile ; par ailleurs, en cas de difficultés avec la police, c’est toujours mieux d’avoir un témoin. Nous réfléchissons à une autre organisation de nos futures visites.